Le naufrage de la DADVSI
Le "rapport Fnac" (ou "rapport Olivennes") et l’accord subséquent entre certains détenteurs de droits et fournisseurs d’accès internet a suscité sur Agoravox et ailleurs nombre de réactions à bon escient indignées comme ces deux articles de "Le Cas G" et de Julien. Il semble qu’il n’y ait pas grand-chose de plus à en dire que de constater son ineptie. Cet article tente néanmoins de compléter ces réactions sur deux points : montrer que ce rapport entérine le naufrage de la DADVSI, et que l’accord sera inapplicable tout comme elle.
Résumé des épisodes précédents
Les CD et DVD sont des supports obsolètes. Le mode dominant de diffusion des immatériels est maintenant internet, et le coût de diffusion est inclus dans tout contrat d’accès. Pour la vente d’audio et de vidéo, la Fnac est obsolète. Il faut depuis dix ans trouver un moyen de facturer directement du producteur au consommateur sur internet d’une manière simple et qui prenne raisonnablement en compte pour le client l’économie réalisée. Il existe pour cela beaucoup d’approches possibles que l’on ne rediscutera pas ici à nouveau. Pour qu’elles fonctionnent, il faut qu’elles soient à un prix raisonnable et pratiques pour le client, c’est-à-dire simples, rapides et utilisables facilement sur tous ses appareils.
Plutôt que de chercher ainsi de nouveaux marchés, les industriels concernés (RIAA, IFPI, MPAA, SNEP, ALPA...) ont préféré faire pendant dix ans comme si le progrès technique n’existait pas et ne se sont jamais remis en cause. A la suite de nombreuses démarches de lobbying initiées aux Etats-Unis, ils ont tenté d’écrire des lois qui annuleraient le progrès technique (DMCA, EUCD, DADVSI...).
La DADVSI, publiée il y a à peine plus d’un an sous l’impulsion de M. Sarkozy, tentait d’établir un double barrage contre le progrès technique, en sanctifiant les DRM et en interdisant le p2p.
Les DRM sont les "mesures techniques de protection" (MTP) qui doivent prévenir à la base la rediffusion des immatériels et empêchent en pratique les clients de faire ce qu’ils souhaitent de ce qu’ils ont acheté. La DADVSI transforme en délit pénal le fait de "contourner" un DRM, de disposer d’un logiciel comme VLC qui permet de le faire, d’expliquer comment le faire sur un forum, etc. Un procédé industriel devenait ainsi un secret d’Etat, protégé comme une cryptographie militaire. Une "autorité indépendante", l’ARMT, devait préciser quels étaient les DRM ainsi sanctifiés. Elle a été créée il y a six mois et n’a jamais rien publié.
Pour le p2p, la DADVSI interdisait les logiciels "manifestement destinés" à un usage illégal. Ca ne veut pas dire grand-chose. C’était aux tribunaux d’interpréter. Mais ils n’ont été saisis depuis d’aucun recours contre aucun logiciel. En revanche, certains détenteurs de droits ci-dessus ont lancé de grandes campagnes pour faire fermer les serveurs p2p et sites de liens à coups de menaces de plaintes et procès ruineux. Non seulement cela n’avait rien à voir avec la DADVSI et ses « manifestement », mais est également en contradiction avec la LCEN qui limite la responsabilité des "intermédiaires techniques". Ce qui montre qu’on est bien dans le far-west : l’argent permet d’établir un certain ordre plus efficacement que le respect de l’esprit de la loi, qui semble le dernier souci des majors.
L’intention du législateur était également de créer un délit spécifique de "téléchargement" qui serait passible d’amende. Le Conseil constitutionnel a refusé cela, en considérant que le moyen, ici internet, ne caractérisait pas le délit, qui restait de la contrefaçon. Donc trois ans de taule.
Le "rapport Fnac"
Le "rapport Olivennes" s’inscrit dans cette tradition d’autisme des "industries culturelles" et de propension au flicage généralisé. Mais, à y regarder de près, il consacre l’échec de la DADVSI, à peine plus d’un an après sa publication. Il développe essentiellement quatre thèmes : création d’un nouveau mécanisme de sanctions, filtrage d’internet, abandon des DRM, facilités fiscales.
Les facilités fiscales sont risibles pour sauver une industrie mondialisée et oligopolistique. Elles préfigurent simplement la suite des événements et le sauvetage du soldat Universal aux frais du contribuable, qui a d’ailleurs déjà "contribué" à l’achat d’Universal par ses abonnements à la Compagnie générale des eaux.
L’abandon des DRM est promis après les sanctions. Cela entérine le fait qu’une moitié de la DADVSI ne servait à rien. Entre-temps, les industriels ont eu le temps de s’assurer du fait que ces DRM étaient gênants surtout pour leurs clients.
Les sanctions et le filtrage démontrent que le p2p se porte bien, et que les "manifestement" et les campagnes anti-serveurs n’ont rien apporté. L’autre moitié de la DADVSI tombe à l’eau.
Exit un texte inepte, et place au texte inepte suivant, en attendant la marée.
R.I.P. DADVSI 2006-2007, décédée d’un grave défaut congénital.
Examinons maintenant la faisabilité des nouvelles orientations figurant dans l’accord signé.
L’abandon des DRM n’est qu’une promesse creuse. Elle n’indique pas que les fichiers sans DRM seront vendus à un prix acceptable. Elle ne concerne que les signataires. Elle n’engage pas Microsoft ni Apple ni Intel ni Google ni... Pour qu’elle soit mise en oeuvre, il faudrait au moins une obligation générale, qui tomberait en contradiction avec EUCD. Il serait amusant de voir une nouvelle loi interdire les DRM que la DADVSI avait sanctifiés.
Le "filtrage" est proposé à titre expérimental. Des FAI pratiquent déjà discrètement et illégalement le filtrage de protocoles. Mais tout protocole non filtré pourra être utilisé pour le p2p. L’idée cette fois est plutôt de tester le filtrage de fichiers, à l’aide par exemple d’empreintes numériques de fichiers. Cela signifie qu’un FAI refuserait de transmettre un fichier ayant une certaine empreinte. Pour le savoir, il faudrait qu’il examine dans le doute toutes les informations émises par tous ses abonnés. Ca doublerait au moins son travail de routage. Bonjour le ping à counter-strike !
Et ça risque de dépendre aussi du nombre d’empreintes à tester. S’il y en a quelques milliers, cela permettra tout juste aux majors de tenter de protéger leurs dernières publications, et consacrera alors l’abandon de leurs catalogues et droits patrimoniaux. Or il y a en circulation sur le net plus de cent millions de fichiers audio et vidéo couverts par droits d’auteurs. Et le sujet ne concerne pas que ces thèmes. Quid des textes et photos ? Un journal en ligne ne demandera-t-il pas la protection de ses publications ? La quantité d’empreintes à établir est quasiment infinie, et c’est pour cela que le sujet du dépôt légal est toujours une pierre d’achoppement entre l’alliance UGC et Google. La seule solution pour empêcher la circulation d’informations sur internet est d’interdire internet, ce qui serait la solution préférée du SNEP qui a exprimé son souhait personnel de faire interdire le p2p.
En ce qui concerne les "nouvelles sanctions", les FAI ayant refusé de tenir le rôle, il est prévu de créer une nouvelle "autorité indépendante" (eh oui, encore une. Je me demande combien il y en a qui traînent ainsi dans les poubelles de l’histoire administrative). Cette autorité serait saisie de dénonciations par des ayant-droit comme l’ALPA. Elle enjoindrait ensuite aux FAI de procéder à des sanctions standardisées contre leurs abonnés : interruptions d’abonnements, ruptures d’abonnements. Et elle tiendrait à jour un fichier des personnes physiques ayant fait l’objet de telles sanctions, en interdisant aux FAI de réabonner les personnes figurant sur ce fichier. Tout cela n’est pas juridiquement de la petite bière.
Ces ruptures d’abonnement ne peuvent être raisonnablement considérées autrement que comme des sanctions pénales. Il ne peut en effet s’agir de procédures civiles entre le FAI et l’abonné, puisque la décision est prise par un tiers "indépendant". Nous devrions logiquement nous attendre à voir présenter une nouvelle loi pénale, qui posera vis-à-vis de la caractérisation du délit les mêmes problèmes que la DADVSI. Mais on peut prévoir que le gouvernement tentera d’échapper au problème et prétendra que la sanction n’est pas pénale. Et cela posera quelques problèmes de droits fondamentaux. Qui aura la charge de la preuve ? Quelle sera la procédure de recours ?
Ce que l’on peut craindre ici est que le gouvernement ne tente de suivre les idées de l’ALPA, et ne considère les futures dénonciations comme éléments suffisant à charge alors qu’elles reposent sur les déclarations d’une seule partie. Mme Thomas a été ainsi condamnée aux Etats-Unis sur la seule base des déclarations d’une milice privée, mais elle a au moins eu droit à un procès, elle. Une telle option consisterait à faire régner sur le "far-west" d’internet la justice des shériffs de la MPAA. Comment une erreur d’une telle milice privée pourrait-elle être constatée et redressée ?
Si ce n’est pas le cas, alors ce sera à cette "autorité indépendante" de surveiller internet. Ce n’est pas une tâche simple, et l’on peut se demander combien cela coûtera en plus au contribuable, voire si cela ne coûtera pas plus cher que le chiffre d’affaires que l’on cherche ainsi à préserver.
En conclusion de tout cela, M. Sarkozy a déclaré : « La France va retrouver une position de pays leader dans la campagne de civilisation des nouveaux réseaux. » Je croirais ré-entendre M. Nixon se félicitant du succès d’une offensive au Vietnam.
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