Loué soit le gaz de schiste ou la politique énergétique selon un chien de garde
L'industrie pétrolière n'a pas désarmé et sait que si elle y met les moyens elle arrivera à ses fins en matière de gaz de schiste. Les journalistes sont des relais précieux pour amener l'opinion publique à accepter, à terme, l'exploitation du gaz de schiste.
Ce matin, les auditeurs d'Europe 1 ont pu constater que les services de communication de l'industrie pétrolière avaient fait bon travail ...
Il y a quelques jours, Louis Gallois a remis son désormais fameux rapport sur la « compétitivité ». Après une demi-journée de réflexion, le gouvernement a décidé de suivre les précieux conseils de l’ancien patron du groupe industriel EADS concernant la réduction des charges patronales. Par contre, le Premier Ministre s’est montré ferme concernant la question du gaz de schiste qui faisait l’objet de la 5ème proposition formulée dans le rapport :
« Nous plaidons pour que la recherche sur les techniques d’exploitation des gaz de schiste soit poursuivie. La France pourrait d’ailleurs prendre l’initiative de proposer avec l’Allemagne à ses partenaires européens un programme sur ce sujet. L’exploitation du gaz de schiste soutient l’amorce de réindustrialisation constatée aux États-Unis (le gaz y est désormais 2 fois et demi moins cher qu’en Europe) et réduit la pression sur sa balance commerciale de manière très significative. »
Selon Jean-Marc Ayrault, pas question de revenir sur le moratoire touchant cette source d’énergie. Il s’agit évidemment de ne pas se mettre un peu plus à dos ses alliés d’EELV. De toute façon, les partisans du gaz de schiste ne comptaient pas emporter la victoire du premier coup. Il s’agit plutôt ici de travailler le gouvernement et de préparer l’opinion publique au revirement qui interviendra nécessairement dans quelques mois ou quelques années quand l’incontournable « principe de réalité » ne laissera plus le choix à la France.
Le rapport Gallois est cependant une pièce maîtresse du dispositif car il apporte une caution « morale », celle d’un grand serviteur du pays … ou plutôt de son industrie.
Le reste du travail revient au lobby de l’industrie pétrolière et gazière qui doit continuer à travailler l’opinion sans répit. Dans cette optique, les journalistes sont évidemment des relais de choix. Il s’agit donc de faire en sorte que ceux-ci soient bien disposés à l’égard de la cause.
Ce matin, les auditeurs d’Europe 1 ont pu constater que les industriels du secteur ne perdaient pas leur argent en investissant dans la communication. Dans son « édito politique » du jour, Caroline Roux s’est livrée à un vibrant plaidoyer en faveur du gaz de schiste. Si vibrant que le chef du service communication de TOTAL, probablement à l’écoute, a dû se demander si, cette fois, ce n’était pas un peu trop voyant …
http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/L-edito-politique/Videos/Le-debat-est-clos-1309261/
On a droit à une chronique à sens unique. Le gaz de schiste est paré de toutes les vertus et la journaliste se lamente qu’en France le débat soit clos :
- Grace au gaz de schiste, les USA seront bientôt indépendant en matière énergétique,
- Le gaz de schiste a permis la création de 600.000 emplois aux USA,
- Le gaz de schiste redynamise le secteur industriel américain.
Caroline Roux exulte : « notre pays est béni des dieux » avec 5.000 milliards de m3 de gaz de schiste dans le sous-sol français ce qui permettrait un siècle d’autonomie gazière et de rééquilibrer notre balance commerciale ! Nous avons un « trésor enfoui » !
Pour la forme, le complice Bruce Toussaint remarque que ce sont les risques pour l’environnement et le principe de précaution qui l’emportent.
Non ! répond notre passionaria outrée, « c’est le dogmatisme qui l’emporte ! »
Le meilleur arrive : « N’importe qui peut aisément comprendre qu’on ne va pas percer comme des sauvages à tout va dans des paysages protégés sans s’assurer que les nappes phréatiques n’en seront pas durablement polluées. »
C’est vrai que ce n’est pas le genre de choses qui arrivent …
http://www.dailymotion.com/video/xhfvhy_gasland_news
Caroline Roux conclut son édito en résumant l’enjeu : « C’est juste de mettre toutes les chances de notre côté et de crée un avenir énergétique crédible et durable ».
Pour faire une telle déclaration d’amour, nul doute que cette brave Caroline Roux a fait l’objet d’un traitement spécial de la part du lobby du gaz de schiste. Que l’on puisse ne pas être d’accord avec le moratoire actuel, je le conçois parfaitement. Refuser tout débat sur quelque question que ce soit n’est jamais sein. Mais de là à faire l’apologie d’une énergie en balayant d’un revers de main ses nombreux inconvénients connus et s’offusquer qu’on puisse accuser les industriels de ne pas toujours être attentifs à l’environnement et aux conditions de vie des habitants des zones exploitées décrédibilise à coup sûr le discours.
La question est : comment Caroline Roux en est-elle arrivé à pondre un édito aussi grotesque ?
Qu’on se comprenne bien. Je ne parle pas de corruption. Aucune des deux parties ne serait assez folle pour s’y prêter. Du moins, je l’espère.
La réponse la plus probable est que les services communication des industriels ont bien fait leur travail. Caroline Roux s’est probablement vu proposer une visite « informative » aux Etats Unis pour lui permettre de juger sur pièce.
Il y a quelques mois, une polémique a éclaté au sein du journal Le Monde à la suite d’un reportage très favorable à l’exploitation du gaz de schiste au Texas accompagné d’un édito intitulé « N’enterrons pas le débat sur le gaz de schiste ». Ça ne vous rappelle rien ? Un article favorable au gaz de schiste n’a rien de répréhensible en soit. Là où cela devient plus discutable c’est lorsque l’on apprend que son auteur a bénéficié d’un voyage de presse d’une semaine sur place aux frais de Total. Ce journaliste a côtoyé pendant une semaine l’équipe de com de Total qui lui a probablement rabâché matin, midi et soir les avantages du gaz de schiste sans jamais insister sur ses inconvénients ou en dénigrant ses opposants. Comment imaginer que ce journaliste qui n’a entendu qu’un son de cloche et qui s’est « fait entretenir » pendant une semaine va pouvoir sortir un reportage critique ou bien même équilibré et réellement informatif ? C’est impossible et c’est le but ….
Comment s’étonner ensuite de voir des journalistes supposés indépendants répéter comme des chiens savants l’argumentaire des industriels du secteur. A ce propos, je vous propose de comparer la chronique de Caroline Roux avec la prose du rapport Gallois ou celle de l’Union Française des Industries Pétrolières (UFIP). C’est troublant.
http://www.ufip.fr/?rubrique=5&ss_rubrique=680
On pourrait même penser que Caroline Roux a passé trop de temps avec les gens de chez Total, au point d’être totalement imprégnée, au-delà du nécessaire, des formules toutes faites qu’elle a entendues là-bas un certain nombre de fois. Avez-vous remarqué l’usage du pronom personnel « on » dans la phrase « N’importe qui peut aisément comprendre qu’on ne va pas percer comme des sauvages à tout va dans des paysages protégés sans s’assurer que les nappes phréatiques n’en seront pas durablement polluées » ? Mais peut-être vois-je le mal partout.
En conclusion, on peut se demander ce qu’on apprend dans les écoles de journalisme. Comment la « crème » du journalisme peut-elle se laisser aller à une telle collusion avec des groupes industriels puissants au point d’accepter de se prêter à ces simulacres d’enquête journalistique que sont les voyages de presse organisés par Total au Texas ?
On peut imaginer plusieurs raisons. Aucune n’est très glorieuse.
La première est la situation financière critique de la plupart des organes de presse de ce pays. Quel journal français serait prêt aujourd’hui à financer une enquête de plusieurs jours voir semaines outre Atlantique sur un tel sujet ? L’investissement serait disproportionné. On est donc trop content quand le reportage et financé par Total et qu’il ne coute rien au journal. Encore faudrait-il préciser ce point aux lecteurs ce que Le Monde avait omis de faire dans l’affaire précitée.
La seconde explication est que pour un journaliste qui rêve d’un avenir brillant et d’une carrière longue, mieux vaut caresser les grands groupes industriels dans le sens du poil. Qui sait si Boloré, Lagardère ou Dassault ne sera pas un jour votre employeur ? La vie est plus confortable au sein de la meute des chiens de garde dénoncés par Serge Halimi que parmi les chiens galeux du journalisme indépendant …
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