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Médias et démocratie

Quelles sont les causes de la profonde crise démocratique que nous vivons et de la transformation de notre République en une façade de carton-pâte ?

Aristote puis Montesquieu, entre autres, ont défini la démocratie sur la séparation impérative des pouvoirs fondamentaux qui constituent l’Etat : législatif, exécutif et judiciaire. Nous pourrions rappeler également les domaines régaliens d’un Etat : battre monnaie et assurer la police.
A ces domaines réservés qui orientent le monde et dont le niveau d’équilibre permet de déterminer le niveau démocratique d’une nation, s’est ajouté depuis le XVIIIe siècle l’expression publique de penseurs qui ont donné naissance à la presse, aux médias, véritable quatrième pouvoir de nos sociétés modernes et étendard de la démocratie occidentale.

Décriés de façon plus ou moins visible depuis quelques années, un certain nombre d’évènements clés de notre Histoire récente permettent d’affirmer la responsabilité de premier plan des médias dans notre crise sociétale. Paul Nizan, puis Serge Halimi ont dénoncé depuis longtemps la situation et l’évolution perceptible (dans Les Chiens de garde puis Les Nouveaux Chiens de garde). Incarnation sur le plan institutionnel d’une bourgeoisie parvenue au niveau de pouvoir d’une ancienne élite aristocratique qu’elle souhaite remplacer, les médias se pensent au-dessus de la masse, jugeant et attribuant des bons points sans accepter de procéder à des états-généraux et à une acceptation de leurs dérives. Si tous les autres pouvoirs ont été commentés, critiqués, rien ne semble pouvoir remettre en cause les médias. Dernier exemple en date : le 21 avril 2002. Politiques et sondages ont été accusés d’avoir fait, l’un le terreau thématique du Front national, l’autre de fausser le prisme d’une élection majeure. Aux médias il a parfois été reproché le manque de recul, d’analyse d’une situation qui aurait été prévisible. Quelques rares voix de l’intelligentsia journalistique ont fait de timides mea culpa à l’époque. Et depuis ? L’on n’a jamais autant parlé d’affaires de droit commun dont beaucoup semblent tout droit sorties du Nouveau détective. Les pages judiciaires n’ont jamais été aussi présentes, quel que soit le support. Attention, compatriotes ! Les pédophiles sont partout, ils habitent à côté de chez vous. Les islamistes menacent les institutions dans les banlieues où les policiers n’osent plus s’aventurer. Cette situation en rappelle une toute proche : de façon concomitante avec le durcissement de la politique répressive israélienne, l’on nous assura que la France était redevenue antisémite comme aux grandes heures de Vichy et que le 6 février 1934 n’était pas loin. Quelques mois plus tard, lorsqu’une étude sérieuse montra que les actes antisémites n’avaient pas progressé depuis plusieurs années, l’affaire retomba comme un soufflet... pour être reprise par une autre pour assurer un remplissage rapide ne nécessitant pas d’analyse trop fastidieuse.

Nos journalistes n’ont-ils pas les moyens et les compétences pour vérifier leurs informations ? N’est-ce pas là le b.a.-ba du métier... et un devoir déontologique ? Les médias tournent en rond, n’assument pas leurs erreurs. Chaque fois qu’un journaliste est attaqué, ou voit sa corporation attaquée, ce n’est que volée de bois vert et utilisation de l’arme médiatique pour contre-attaquer sans prendre le temps de la réflexion. Les médias seraient-ils le seul pouvoir incritiquable, parfait, ne commettant jamais d’erreur, dispensé de la réforme ? Lors d’une affaire qui fit du bruit malgré la levée de bouclier du sérail, Pierre Bourdieu analysa dans un article du Monde diplomatique d’avril 1996 combien la télévision constituait un monde à part et plus généralement combien la possession des codes de communication par des professionnels (les journalistes) les plaçait dans une situation de juge et parti terriblement pressante. Le même Monde diplomatique, reconnu par certains comme un journal de marge gauchisant tout en reconnaissant sa grande qualité, ne dérogea pas à la règle lors d’un infantile échange d’amabilités entre un rédacteur américain et Bernard-Henri Lévy à propos de la sortie du livre de ce dernier, Qui a tué Daniel Pearl. BHL avait demandé un droit de réponse qui fut publié... et entraîna une réponse au droit de réponse ! A celui qui a le dernier mot la vérité. Au journal le pouvoir d’enterrer tout argument, quelle que soit sa validité.

Dans un monde de communication et de publicité il faut faire partie du sérail, sans quoi votre voix n’a pas d’écho et la corporation se protègera envers et contre tous. Quelles que soient les opinions des intervenants. Le dérapage récent d’Alain Finkielkraut dans une interview au quotidien israélien Haaretz (2005) donna lieu à un étrange ballet d’amis et de collègues, très mal à l’aise pour défendre une déclaration indéfendable d’un membre du sérail. L’hebdomadaire le Nouvel Observateur publia ainsi deux articles, l’un dénonçant l’attitude du philosophe tout en tentant d’expliquer les raisons d’un tel dérapage, l’autre prenant sa défense. Qui d’autre aurait eu droit à un tel traitement de faveur ? Une telle attitude fait le jeu des populismes, fait grave pour un pouvoir qui se veut dernier rempart de la démocratie.

Il y a aujourd’hui de moins en moins de recul de la profession sur elle-même. Les copinages et accointances (les mêmes têtes à la télé, la radio, service publique un jour, privé le lendemain) ne font rien pour le crédit de la corporation. Aucune analyse, les informations ressemblent de plus en plus à des dépêches AFP (... qui sont parfois plus développées que certains articles). Pis que cela, il ne semble plus nécessaire de cacher l’incompétence. Parlons de ce que l’on ne connaît pas, publions tels quels les dossiers de presse envoyés par les annonceurs, contentons-nous d’approximations... La pré-campagne présidentielle s’annonce sur le même ton que celle de 2002. Les sondages sont présentés sans aucune explication, sans précision de leur origine. L’hebdomadaire Marianne a montré il y a quelques semaines combien le commanditaire d’un sondage pouvait orienter mécaniquement les réponses. Même analyse dans l’émission de Daniel Mermet du 20 novembre dernier sur France Inter. Les sondages CSA (organisme étatique censément indépendant) et IFOP (société privée dirigée par la présidente du Medef, dont le vice-président est le frère de Nicolas Sarkozy) sont présentés sur le même plan sans mise en perspective. Les résultats des deux organismes de sondages donnent systématiquement des résultats sensiblement différents. N’est-ce pas le travail du journaliste que de présenter l’information la plus compréhensible possible à son auditoire ? A quel moment la perte de professionnalisme peut-elle être considérée comme de la désinformation ? Comment déterminer s’il y a dilettantisme ou volonté affichée ? Chaque salarié (voire chaque citoyen) peut être attaqué pour ses manquements aux règles professionnelles. Qu’en est-il des journalistes ?

Les médias sont essentiels à la démocratie, peut-être plus encore que les autres pouvoirs. Ils en sont également le baromètre. Il est incroyable qu’une telle force soit autorisée à une telle consanguinité avec l’économie et la politique. Une démocratie qui autorise le contrôle d’intérêts privés majeurs sur la presse ne fonctionne pas bien. Plusieurs candidats ou ex-candidats à la présidentielle, de droite comme de gauche, ont soulevé ce problème. L’on aurait tort de passer cela par pertes et profits. Jamais la presse française n’a été aussi peu indépendante. Le premier constructeur de chars français s’invite dans les éditos d’un des trois premiers quotidiens nationaux. Le second risque de disparaître. Le second groupe d’édition français est possédé par un groupe d’investissement présidé par l’ancien patron des patrons. Lorsque la situation est telle et que le marché cher à certains ne parvient pas à réguler la donne, il revient au législateur de prendre des mesures.


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5 réactions à cet article    


  • Forest Ent Forest Ent 14 mai 2007 19:18

    Comme d’habitude, je me permets à ce sujet de conseiller la lecture de « la forêt des médias » :

    http://forestent.free.fr/

    dont il me semble de plus en plus qu’elle a tout son avenir devant elle. Site pas sponsorisé. smiley


    • finael finael 15 mai 2007 10:45

      Outre les auteurs que vous avez cité, je vous signale un auteur prolifique et éclairant en la matière : Noam Chomsky le « dissident de l’amérique ».

      En plus de nombreuses conférences, ce professeur de linguistique analyse en profondeur les liens entre médias et pouvoirs, l’historique de la façon dont ces liens se sont créés et les distorsions induites dans l’information dans (entre autres) ces ouvrages traduits en français.

      « De la propagande » (Ed Fayard)

      « Propagande médias et démocratie » avec Robert. W .McChesney (Ed Ecosociété)

      « La fabrique de l’opinion publique » avec Edward S. Herman. (Ed Le Serpent à Plume).

      On pourrait aussi citer Pierre Bourdieu, et bien d’autres, moins connus et dont les ouvrages sont plus difficiles à trouver.

      Pour résumer, là où les dictatures s’imposent par la force, dans une « démocratie » il revient aux puissants de s’assurer le consentement de la population par une propagande efficace.


      • Philippakos Philippakos 21 mai 2007 13:25

        Article fort intéressant mais qui, à mon sens, ne prend pas suffisament en compte le côté commercial d’un média. Peut importe l’info pourvu qu’elle fasse vendre. On met de l’huile sur le feu, on crée artificiellement des polémiques le temps d’un cycle qui se révèle de plus en plus court... et on passe à autre chose parce que l’intérêt du public s’émousse vite (Biafra, Ethiopie, Darfour, que sont devenues ces régions sinistrées ?). Il n’est qu’à voir comment on propulse des envoyés « spéciaux » sur le terrain d’un pays dont ils ne parlent pas la langue, dont ils ignoraient les problèmes deux jours avant, pour réaliser les abîmes dans lesquels l’information tombe souvent. Se pose le problème de la profession journalistique (on ne peut pas tout connaître en effet) et de la confisquation de la parole par des professionnels de l’écriture qui sont rarement des spécialistes des sujets traités. La solution ? Je pensais que « Le Monde Diplomatique » l’avait trouvé en insérant, non pas des journalistes, mais de vrais spécialistes des sujets proposés. Se pose également le problème du rapport entre l’intérêt constaté et le sujet traité. Mais qui fait la poule et qui fait l’oeuf ? Le public ne se lasse-t-il pas d’un sujet quand il est habitué à en changer aussi souvent, quand il est formaté à ne jamais trop l’approfondir ? Et, de plus, il n’a pas le choix ! Quand on sait ce que contiennent les dépêches d’agence, il est édifiant de constater que la presse traite exactement les mêmes sujets au mêmes moments en délaissant les mêmes autres sujets. Comme si les journaux se mettaient d’accord entre eux, ou encore possédaient des espions chez les concurrents pour leur souffler les infos qui feront la une. Alors, pas de place pour une presse différente ? Je n’en suis pas si sûr mais il faut oser, en prenant un risque financier (on en revient toujours là).


        • Netcitoyen 4 juin 2007 22:40

          Maintenant que tous les Médias sont officiellement tout acquis à la cause présidentielle, seul Internet et les nouveaux Médias vont permettre d’assurer le rôle de contre pouvoir, comme le site www.assembleenetionale.com.

          Alors tous au Net, citoyens !!


          • InternetDev InternetDev 12 juillet 2014 08:49

            Passé inaperçu, le Zapping du 21/04/2002 montrant ce que Robert Namias a qualifiée de faute : La fausse affaire Paul Voise.

            Extrait intéressant sur le Monde (pseudo gauche).
            - « Une semaine avant les élection, le Monde avait publié un dossier : »La France est-elle un pays Dangereux ?« 

            Robert Namias (ex-patron de la rédaction de TF1) trop tard ! (2011)  »L’affaire Paul Voise était une faute".

            En plus des génériques modes Scari moovie de TF1 qu’on vus les électeurs avant d’aller aux urnes : Le Zapping très sélectif de Canal+ (Chaine Mittérandiste dont on sait maintenant qu’il avait fait joujou à faire monter Lepen et notamment avec l’aide des shows de Bernard Tapie).

            Le Cas interréssant Bauer - Pseudo Criminologue (Science qui obtint une chaire sous Sarkozy) parrain d’un enfant d’un autre marchand de peur / Communicant (celui-ci) , Valls.

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