Mélenchon, les médias et nous (suite)
Il y a un an, l’auteur de cet article s’était déjà attaché à expliciter le travail de sape des « experts » contre Jean-Luc Mélenchon et le front de gauche. Trois axes étaient alors privilégiés : une tentative d’amalgame avec Marine le Pen au moyen de la notion générique, lapidaire, et en réalité dénuée de sens de « populisme », un procès en irréalisme, véritable antienne de l’idéologie néolibérale, qui s’évertue à faire passer toute alternative pour utopiste, ou bien encore une extrême individualisation du front de gauche autour de la personne de Jean-Luc Mélenchon, dès lors repeint en « rock star ».
Un an après, évidemment, rien n’a changé. Au contraire, la propagande à l’encontre du leader du front de gauche s’est encore amplifiée, et cela pour deux raisons majeures.
Premièrement parce que la tournure des événements depuis la présidentielle confirme les thèses du front de gauche. En effet, sur le plan économique, même si les politiques d’austérité, décriées depuis le début par le front de gauche, continuent pour l’instant d’être appliquées, elles n’ont jamais été théoriquement aussi contestées. De nombreux économistes, même orthodoxes, se sont en effet ralliés à l’idée que l’austérité généralisée en Europe ne pouvait qu’engendrer une contraction significative de l’activité, synonyme de récession, y compris en Allemagne (du moins au 4ème trimestre 2012 avec une baisse de 0,5 % du PIB). Les révélations d’une sous-évaluation par le FMI de l’impact récessif de la politique de rigueur d’une part, et d’une erreur dans les calculs de deux économistes dont le travail avait contribué à justifier celle-ci d’autre part expliquent en effet la palinodie de certains économistes. De même, la crise chypriote a témoigné une nouvelle fois de la dérive autoritaire de l’Union Européenne. Enfin, l’affaire Cahuzac et la crise qui a suivi renforcent l’exigence d’un renouvellement des institutions et légitiment le projet de 6ème République du front de gauche.
Deuxièmement parce que le PS, mesurant l’impopularité de sa politique, voit dans le front de gauche un danger potentiel majeur pour les échéances électorales à venir. Dès lors, tous les coups sont permis, y compris les odieuses accusations d’antisémitisme à l’égard de Jean-Luc-Mélenchon sur la base d’une dépêche AFP tronquée, ou bien encore les procédés peu reluisants du journal Libération (caricatures, amalgames, jeu de mot du plus mauvais goût ou encore une interview falsifiée).
Intéressons-nous maintenant à l’émission « Des Paroles et des Actes », où Jean Luc Mélenchon fut récemment invité, car elle fut en de nombreux points très intéressante et révélatrice.
- Du coté des journalistes et des contradicteurs.
Quasiment toutes les tentatives de déstabilisation habituelles ont été utilisées. Nathalie Saint-Cricq a démarré en trombe en essayant de montrer que Mélenchon était, dans l’ordre, grossier, populiste (le fameux « coup de balai »), faussement indigné (le off dans les coulisses de France inter), et « en plein dans le système » (dixit David Pujadas, à propos de sa présence aux récompenses du magazine GQ). Ensuite, Jacques Attali, premier contradicteur, après avoir qualifié Mélenchon de républicain et de démocrate au début de son intervention, et malgré certains points d’accord (par exemple le fait que jamais la dette ne pourra être remboursée), dans une chute pour le moins grotesque, n’a pu s’empêcher de faire allusion à la Corée du Nord.
Enfin, Jeff Wittenberg a malicieusement profité de la visite de François Hollande en Chine pour dévier sur la question des droits de l’Homme, puis sur la problématique tibétaine qui est un angle d’attaque classique contre Jean-Luc Mélenchon.
- Du coté de Mélenchon.
Ce que Mélenchon essaye de faire lors de toute cette émission est très intéressant. Cela aurait sans doute passionné un sociologue comme Bourdieu, qui ne portait pas non plus le système médiatique dans son cœur. Il essaye en effet de mettre à nu la stratégie des médias, de la dévoiler, de la rendre flagrante. Mais au lieu de se contenter de la décrier dans un livre ou dans un écrit, il la combat en direct, dans l’arène même ! Pour cela, il use de différents stratagèmes : il n’hésite pas à démasquer ses interlocuteurs (David Pujadas comme étant membre du Siècle), à mettre en abime son rapport avec les médias dans l’émission, à utiliser l’humour et même l’auto-dérision pour ridiculiser les tentatives de déstabilisation, à répondre sans aucune gêne à une vidéo qui avait justement pour but de le confondre, ou bien encore à ne pas répondre volontairement à des questions dont il a parfaitement compris l’objectif pour déjouer un piège. Pour ce dernier point, le passage sur le Mali avec Jeff Wittenberg est parlant. Ce dernier veut faire dire à Mélenchon qu’il s’est fourvoyé sur le Mali, les opérations militaires s’étant déroulées convenablement, alors qu’en réalité les critiques de Mélenchon portent sur la légitimité de l’intervention, et non sur son exécution technique, et sont toujours d’actualité. Mélenchon met donc en scène sa rivalité avec les médias pour mieux dénoncer leurs procédés. Et l’exprime ainsi sur son blog : « Je construis en clivant. L’opinion des indifférents ne m’importe pas. M’importe ceux qui apprennent d’une émission à l’autre. Ils apprennent non seulement nos raisonnements mais à déconstruire la technique du système médiatique. Je ne m’en suis jamais caché, si le message c’est le médium selon la formule de Mac Luan, détruire le médium, c’est-à-dire sa crédibilité, fait partie du message et de sa pédagogie. »
- Du coté des spectateurs.
Si le spectateur ne comprend pas le caractère foncièrement théâtral et surfait du déroulement de cette émission, s’il ne voit pas dès la première seconde que Pujadas ne dirige pas un débat, mais orchestre une tentative de lynchage médiatique (« il tonne, il éructe… », tels sont en effet les premiers mots de David Pujadas), alors c’est la stratégie des médias qui prend le dessus. Le spectateur aura dès lors sous ses yeux un individu dangereux et agressif (effet amplifié par l’abus de gros plan), bref, le Jean-Luc Mélenchon des caricatures.
Si en revanche la stratégie de Mélenchon réussit, alors le spectateur prend conscience du guet-apens que constitue cette émission, et de la perfidie du système médiatique. Mélenchon n’a pas été invité pour développer ses idées. Il a été invité pour être caricaturé, pour faire de l’audience, et comme le fait remarquer l’intéressé au cours même de l’émission, pour que « ça saigne ». Jean-Luc Mélenchon encaisse mais n’abdique pas ; il réplique et se bat. C’est cette image d’un homme aux prises avec l’hydre médiatique que Mélenchon veut à juste titre mettre en exergue, au-delà des autres idées qu’il a pu réussir à développer.
Intéressons-nous enfin à cette fameuse expression de « coup de balai sur le système » qui semble effrayer au plus haut point les « belles personnes ». Comment expliquer une telle levée de bouclier devant cette expression qui a déjà été maintes fois employée et qui n’est vraiment pas des plus choquantes. Il s’agit seulement de discréditer un adversaire politique en s’abritant derrière des bienséances, et derrière un certain puritanisme lexical, et d’établir les limites du politiquement correct. Le langage parfois fleuri de Mélenchon ne plaît pas, car il est hautement subversif. Jean-Luc Mélenchon a un vocabulaire riche, une syntaxe soignée, mais il a l’outrecuidance d’utiliser au milieu d’une phrase complexe un terme qui ne rentre pas dans les codes. Car les belles personnes, si grossières puissent elles être dans la sphère privée (pensons à Cahuzac dans la bande sonore diffusée par Médiapart), ne doivent pas jurer ou utiliser certaines expressions en public. Le langage châtié (en apparence) des belles personnes est un instrument de classe qui permet de se donner une légitimité, et de justifier leur domination. En reprochant à Mélenchon d’utiliser des expressions jugées politiquement incorrectes, ces « belles personnes » pratiquent donc la lutte des classes, consciemment ou inconsciemment.
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