Peut-on se passer d’une loi ?
Imaginez un monde...
Imaginez un monde... Un monde virtuel certes, mais un monde vaste, vivant, créatif, sans DRM, sans rempart ni frontière, et surtout sans parti politique, sans intérêts financiers ni industriels à défendre, et où la substance culturelle médiatisée ne serait pas imposée d’en haut par des industries exploitantes-euses, mais proposée d’en bas par les créateurs eux-mêmes... Un monde où les artistes pourraient non seulement montrer et promouvoir leur travail, mais aussi en tirer de quoi continuer à créer... Un monde où les visiteurs de sites ne seraient plus sur la défensive, où les P2Pistes pourraient continuer d’échanger en toute sérénité leurs fichiers, en parfait accord avec la loi et sans léser personne... Un monde où les programmeurs n’auraient plus besoin de trouver des moyens de contournement des dispositifs de DRM puisqu’il n’y aurait plus... Imaginez !...
STOP ! N’imaginons plus ! Faisons-le !
Ce monde existe ! Il s’appelle Internet.
Il suffit de l’organiser avant que ses adversaires acharnés n’en prennent le contrôle...
Car nous sommes en guerre ! L’ennemi a avancé son pion et gagné la première bataille. N’attendons pas qu’il gagne la guerre. Pressons-nous, car ce jour menace et ce jour-là, il sera trop tard.
Faut-il encore lutter contre DADVSI ?
Inutile ! Cette loi a une guerre de retard !
Décidément, les élus se suivent et se ressemblent... Incapables de comprendre le sens de l’évolution, pas seulement les nouvelles technologies mais la dynamique nouvelle apportée par l’accès libre aux connaissances ou à la culture. Ils ne savent que blinder les positions acquises pour préserver les seuls aspects financiers et économiques du seul monde qu’ils connaissent. Mais l’évolution ? La nécessaire accommodation au futur ? Les voient-ils ?
Ce sont pourtant les mêmes qui, de droite comme de gauche, organisent la mondialisation. On aurait pu croire qu’ils avaient un plan... Mais non, il faut se rendre à l’évidence : ils ne savent pas ce qu’ils font.
Noyés dans le conditionnement mental d’une économie mondiale, entièrement sous la dépendance de l’argent (du roi-dollar plus particulièrement), ils font ce qu’on leur dit et comme on leur dit ! (Si seulement les chiens dans la rue étaient aussi disciplinés !)
Le système législatif a définitivement fait la preuve de son incapacité à gérer le monde réel.
On pourra toujours changer les têtes aux prochaines élections, mais il faudra bien s’assurer avant que les nouveaux venus seront « dans le coup » de l’évolution, et non pas dans le coup de force culturo-médiatique. Ça risque d’être difficile car les politiques, quels qu’ils (ou elles) soient, auront toujours besoin des médias, et les médias sont eux aussi sous dépendance... N’espérons donc pas trop de ces futurs changements. Ne rêvons plus, l’heure est passée ! DADVSI est votée. Sauf surprise de dernière minute venant du Conseil constitutionnel, elle sera bel et bien appliquée.
Il est désormais clair pour tout le monde qu’elle n’apporte aux créateurs aucune garantie réelle supplémentaire par rapport au Code de la propriété intellectuelle, voire plutôt moins, tout en fragilisant le Net et le logiciel libre, et en suspectant chaque internaute d’être un pirate en puissance.
Cette loi est érigée comme un rempart, pour protéger le système établi, autrement dit les intérêts industriels des exploitants-eurs d’artistes du monde réel. Et même si ces défenses sont illusoires, il n’en reste pas moins que le flicage sera réel, et l’ambiance bien plombée.
Alors ? Quoi ? Sommes-nous condamnés à être condamnés pour téléchargements illégaux, pour contournement des DRM et autres délicieuses routines intrusives ?
On peut le craindre si on se contente d’attendre une hypothétique abrogation de la loi.
En attendant cette incertaine et lointaine délivrance, les artistes n’auront en effet d’autre choix que de :
1) « travailler pour rien » en mettant leurs œuvres gratuitement à disposition du public
ou :
2) « enrichir les majors » en entrant dans le seul système légal.
Ils seront conduits à passer obligatoirement par une « major » pour espérer avoir accès aux médias dont ils dépendent pour la diffusion de leurs oeuvres, tandis que le public d’internautes se verra menacé en permanence des foudres de l’in-Justice s’il partage les œuvres protégées, supprimant par là-même toute possibilité de promotion d’artistes non diffusés par les majors.
Le piège est parfait. C’est un monopole de fait accordé aux industriels de la culture. Tout conduit et canalise les bénéfices de la création - et de la seule création estampillée « majors » - tout droit dans l’entonnoir industriel. Aucune échappatoire !
Aucune échappatoire, vraiment ?... Hum, en apparence seulement, car chaque médaille a son revers...
Au lieu de contourner les DRM... si on contournait DADVSI ?
Si l’on ne peut pas « enfreindre » la loi, on peut en revanche la rendre « caduque » en la vidant de sa substance !... Et qui plus est, en utilisant les armes mêmes de l’adversaire.
Dans un monde entièrement voué à l’ultralibéralisme et au capital, la chose la plus positive qui reste est la « liberté d’entreprendre » et de « contracter ».
En matière juridique, tant qu’il ne contrevient pas aux dispositions législatives, le contrat est la seule loi entre les parties.
Or, si DADVSI interdit la copie des œuvres protégées, il n’est dit nulle part dans la loi que les créateurs doivent passer par une major pour « protéger » leurs oeuvres. Il se trouve que dans le système actuellement en place, les principaux organismes de répartition (Sacem et autres) sont phagocytés par les majors, mais nul créateur n’est obligé de passer par un de ces intermédiaires tout-puissants, pas plus qu’il n’est obligé de faire cadeau de son travail.
Il suffit de s’entendre.
Rien n’empêche en effet les internautes et les créateurs d’oeuvres numériques de poursuivre un peu plus loin la démarche entreprise par Alliance public-artistes et par Creative Commons. Il n’y manque que très peu de choses pour mettre en place une véritable licence publique (*).
Une licence « ouverte mais rémunératrice » peut-elle voir le jour « en se passant de la loi » ?
Que pouvons-nous faire ?
Tout d’abord, contrairement à ce que font les majors, ne pas se cramponner aux avantages acquis ou aux habitudes. - Les majors en sont déjà mortes, et elles ne le savent pas ! - Ce sont toujours les « habitudes » qui tuent. Surtout les mauvaises ! Elles peuvent effectivement tuer les réseaux, les forums, et jusqu’à la création elle-même si personne ne se bouge...
Mais elles peuvent aussi tuer à la place les entreprises sclérosées du monde réel, malgré toutes les lignes Maginot qu’on pourra disposer en travers de la vague virtuelle.
Faire preuve en permanence d’imagination et adapter sa réponse au nouveau contexte. C’est ça, le secret de la vie.
Imaginons donc :
Imaginons un vaste réseau d’échange peer-to-peer de produits culturels non protégés - et donc échappant à DADVSI - mais pour autant pas gratuits, qui permette une véritable rémunération des créateurs et non plus des majors exploiteuses.
La première chose que nécessite la mise en place d’une telle organisation est le marquage individuel de chaque oeuvre, un tatouage indélébile permettant de comptabiliser la circulation des œuvres à l’intérieur des flux - et uniquement les œuvres, de manière parfaitement anonyme pour les internautes, sans aucune nécessité de repérage des échangeurs eux-mêmes -.
Le marquage en lui-même (tatouage indélébile) n’est pas une protection contre la copie privée. Il n’empêche aucunement de réaliser des copies, ni qu’elles fonctionnent sur n’importe quel lecteur, ni de les faire circuler et de les partager. Aucun DRM n’a besoin d’être « contourné », puisque par destination, ces œuvres simplement tatouées n’en comportent pas.
Le marquage est juste une « identification » propre à chaque œuvre et donc à chaque créateur.
Ce marquage n’étant pas une protection au sens de DADVSI, les œuvres ainsi marquées ne sont pas réputées « protégées » par la Loi DADVSI, elles relèvent simplement du Code de la propriété intellectuelle et des contrats privés qui leur sont propres.
Les créateurs peuvent ainsi les mettre à disposition du public sous licence Creative Commons à titre gratuit s’ils le souhaitent, ou sous une autre licence à titre onéreux (*voir plus loin), sans passer obligatoirement par la Sacem ou la SACD pour en toucher la rémunération dont il sera question plus loin.
La seconde nécessité est la création d’un registre universel de toutes les œuvres proposées, afin que chaque tatouage porte un numéro unique d’identification, à l’instar des N° ISBN en librairie, et d’un programme de sondages permanents sur tous les réseaux d’échanges.
Étant donné que les œuvres seront uniquement tatouées pour en faciliter le comptage directement dans les flux mais pas « DRMisées » pour repérer les machines, il n’y a aucune raison que des internautes cherchent à faire sauter ces tatouages. Personne ne s’amuse à gratter les N° ISBN sur les ouvrages de bibliothèques, pourtant toutes les statistiques sont basées dessus. Il n’y a donc aucune raison pour que les statistiques d’échanges, ou les comptages, réalisés à partir de ces tatouages ne soient pas le fidèle reflet du succès particulier de chaque œuvre, et la répartition sera incontestablement plus « juste » que l’actuelle répartition Sacem.
La troisième nécessité est l’adhésion volontaire des artistes et des internautes à ce nouveau système que, pour la bonne compréhension de cet exposé, on appellera : Garantie de diffusion numérique légale ou GDDL — General Digital Diffusion Licence, GDDL en anglais - (ou quelque chose d’approchant, ce n’est qu’un exemple).
Diverses enquêtes montrent que 75% à 82% des internautes sont prêts à payer quelques euros par mois pour une juste rémunération des créateurs, à condition que ce ne soit pas une « taxe ». Une taxe est obligatoire par définition, et donc injuste.
Nous ne sommes pas dans ce cas. L’adhésion à ce système sous GDDL resterait un acte volontaire, tant de la part des créateurs que de celle des internautes. Comme l’adhésion à une vaste bibliothèque mondiale.
La masse d’argent collectée par les adhésions volontaires serait répartie ensuite entre les créateurs, en fonction de divers paramètres de répartition au moyen de coefficients.
Il est évident que la copie et l’échange d’un film portent davantage à conséquence pour le réalisateur et la production que la copie et l’échange d’un seul titre de chanson ou même d’un album de douze titres. Le coût de réalisation d’un film est sans comparaison avec celui d’un album de chansons que beaucoup de musiciens indépendants peuvent maintenant produire chez eux, ou encore avec celui d’un livre ou d’œuvres picturales.
Des coefficients de répartition sont donc à définir, prenant en compte le prix moyen des choses et les usages. En comparaison d’un album de chansons qu’on écoute souvent en boucle, on ne va voir un film qu’une ou deux fois en salle. Idem pour un livre : on ne le lit entièrement qu’une fois par personne avant de le prêter autour de soi.
Cela, les artistes eux-mêmes n’ont pas besoin de la loi pour l’établir. Une « Assemblée générale des créateurs d’oeuvres numériques » peut très bien le faire ! Et en toute transparence, avec des délégués du « public » d’internautes.
Il est donc tout à fait possible de mettre en œuvre un système nouveau, innovant et dynamique, bien plus « juste » que la répartition actuelle de la Sacem, qui préserve à la fois les intérêts des créateurs, petits et grands, et la liberté des internautes, sans déroger à la Loi DADVSI (ni à aucune autre étrangère) mais en se positionnant hors de son champ d’application.
Et cette opportunité nouvelle offre de nombreux avantages...
- Tout d’abord, elle libère l’internaute de la menace permanente du flicage.
- Elle supprime de fait la justification de quelconques DRM, et du même coup leur éventuel « contournement » pour copier et faire jouer les œuvres sur tous lecteurs.
- Ensuite, elle booste la création, en permettant aux créateurs, petits et grands, de publier leurs œuvres sans risque ni manque à gagner, elle leur permet d’en vivre si le public lui-même les consacre. Ce qui ne peut qu’encourager la création et du même coup, par effet de compétition, l’améliorer sans cesse en qualité.
- Enfin, elle a un très faible coût. C’est du direct « producteur au consommateur ».
Les deux seules choses coûteuses sont les aspects administratifs du système :
- la tenue d’un répertoire universel des œuvres avec attribution gratuite de lots de n° de tatouages aux créateurs ou à leurs mandataires (les créateurs restant maîtres d’œuvre et en pleine possession de leurs droits d’auteur)
- la systématisation des sondages à la volée sur le réseau.
Sur le même principe que les organismes de répartition existants, un certain pourcentage (lui aussi à définir par l’AG des créateurs numériques) devra être budgétisé pour le bon fonctionnement du système - de la collecte des adhésions, de ces comptages et de la répartition.
Mais ça ne s’arrête pas là !
En effet, pour l’instant, parmi les adhérents de la Sacem et autres, les artistes qui le voudraient ne peuvent pas distribuer leurs œuvres sur le réseau, même gratuitement. Les intérêts des industriels (les fameux droits voisins) les en empêchent.
Mais si ce nouveau système baptisé ici GDDL fonctionne pour tous les artistes indépendants, nous verrons très bientôt y venir les artistes consacrés, les mêmes qui défendaient âprement sur le site de RDDV les thèses du lobby des majors !
Ce jour-là, DADVSI sera proprement enterrée !
Quand est-ce qu’on commence ?
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