Pour un vrai service public de la télévision !
L’absence de vrai débat citoyen autour de la réforme Sarkozy de l’audiovisuel public est à proprement parler sidérant. Gageons que la commission Copé mise en place par l’Elysée ne corresponde sans doute pas à la totalité du chantier. Pratiquement un mois et demi après l’annonce élyséenne et si l’on excepte la réaction normale des professionnels de la profession et celle des parlementaires : pfuit ! Envolé le débat national !
Sans doute pour rester dans la veine des problèmes de pouvoir d’achat, mes confrères ont choisi de sélectionner dans le discours du président le chapitre consacré à la suppression de la publicité.
Selon moi, c’est la première embrouille : en termes de communication, il est sûr que cela fait l’accroche ! Mais c’est également loin de refléter l’essence des propos présidentiels.
Je m’interroge donc, tout de même, - les jours ayant passés - sur le silence quasi total observé sur le reste de la réforme annoncée. Et sur la volonté du président d’ouvrir l’ensemble du dossier. Certes, dimanche soir, il y a tout de même quelques allusions dans l’interview de Jean-François Copé sur BFMTV Daily Motion. Mais j’insiste : il y a un point qui devrait au moins intéresser les lecteurs d’Agoravox : c’est celui de faire entrer - c’est une quasi-citation - la télévision publique dans le modèle économique de l’industrie numérique.
Le lien, en quelque sorte, avec certaines propositions du rapport Attali.
Et personne n’a évoqué la réforme du cahier des charges de chacune des chaînes déjà existantes puisque le président de la République et son gouvernement se sont portés garants de l’intégrité du périmètre.
Y reviendra-t-on ?
Promesses d’hommes et de femmes politiques, mais sur ce point nous sommes bien obligés de croire : il s’agit du président ! Sans se faire d’illusions parce que dans le domaine de la télévision publique il n’y a aucune différence entre la droite et la gauche !
Cahier des charges donc !
Le président a dit qu’il allait s’y impliquer personnellement : diantre !
Pendant les sept ans de mon temps passé au Conseil d’administration de France Télévisions, j’ai été convoqué deux fois par des associations familiales :
- la première pour évoquer la violence des
images diffusées à tous pendant des heures de grande
écoute et donc le traumatisme éventuel des jeunes
téléspectateurs ;
- la seconde pour évoquer la
« publicité » faite au dopage et aux
sports d’argent !
Que font donc aujourd’hui les associations familiales - pourtant puissantes - et les associations de consommateurs - pourtant efficaces - pour intégrer le débat sur la télévision publique et exiger que ces questions soient posées ! Ne peuvent-elles pas elles aussi, ces associations, ces confédérations syndicales qui s’intéressent au « cadre de vie », exiger de figurer au nombre des interlocuteurs de l’Elysée et de la culture !
Réfléchir au financement, c’est bien sûr réfléchir au contenu parce que tous les programmes ne sont pas égaux devant le porte-monnaie public !
De façon à bien marquer les spécificités propres aux programmes du secteur public de l’audiovisuel en matière d’éducation, de culture et de divertissement, pourquoi ne créerait-on pas un comité de l’éthique et de la déontologie. Ce comité permanent pourrait donner son avis sur le contenu des programmes du service public.
Remplacer le CSA par un comité d’éthique
Intégré dans la nouvelle loi, il serait composé de 12 représentants des associations sociales et familiales représentatives, de l’université, du parlement, etc., et produirait des recommandations et des avis...
Les médiateurs des sociétés du secteur public audiovisuel - interface entre les téléspectateurs et les professionnels - seraient membres consultatifs de ce haut comité spécialisé.
Cet organisme serait plus un observatoire « moral » qu’un commissariat de police.
Sans préjuger du Comité présidé par Jean-François Copé, je pense que ce serait à un organisme de ce type de rédiger le cahier des charges, le contrat, la charte qui doivent être passés entre la nation et les sociétés de l’audiovisuel public.
Une fois ce texte adopté, il serait soumis solennellement à l’approbation du président de la République - qui sera, comme pour les magistrats, le garant de l’indépendance - et au vote du Parlement - qui suivra tous les ans l’évolution des choses ne serait-ce qu’en votant le budget.
Le Haut Comité de l’éthique choisirait également le président de la société tête de groupe après qu’une short list ait été établie par la présidence de la République sur propositions du Parlement. In fine, le président de l’organisme public de télévision sera donc nommé par le chef de l’Etat.
Gageons que la Commission Copé n’ira pas jusque-là dans sa réflexion sur le cahier des charges.
Tenir compte de l’aménagement du territoire
Le problème - récurrent - de France 3 pose, par exemple, très nettement, la question de l’aménagement du territoire. Au-delà de la grille nationale de programme, c’est de la régionalisation de toute une industrie audiovisuelle et numérique dont il faut parler ! La remise à plat de cet ensemble - si l’on veut vraiment aller au fond des choses et réfléchir à quelque chose qui tienne la route plus de cinq ans - exigerait une redéfinition des régions de France 3.
Qu’est-ce que la région Centre qui englobe Paris, Chartres, Orléans et Blois ?
Qu’est-ce que la région Sud qui englobe Toulouse et Montpellier ?
Qu’est-ce que la région Bourgogne qui englobe Dijon et Besançon ?
Quelle est la réalité politique, culturelle, pourquoi pas linguistique qui sous-tend ce découpage ?
Les régions, politiques celles-là, seraient bien inspirées de faire des propositions au lieu de se cantonner, comme elles le font depuis des années, dans un silence abyssal ! Mais je n’ouvre pas cette véritable boîte de Pandore !
Une fois toutes ces données mises sur la table, reste maintenant le problème du financement !
De quelle télévision publique parle-t-on ?
De celle qui arrive sur le poste de la télévision familiale par voie hertzienne. Point.
On ne parle que du « push » classique tel qu’il a été défini par la Commission européenne...
Mais, je me répète, la télévision nous arrive aujourd’hui par bien d’autres supports : ADSL, câble, satellite, G3, WiFi, etc. Sur ces supports il y a bien d’autres intervenants que les faibles éditeurs d’images animées que sont devenues les chaînes de télévision classiques. Pour ces nouveaux opérateurs diffuseurs - Free, Neuf Telecom, Orange, Vodaphone-SFR, Bouygues Télécom, etc. -, les images animées sont des produits d’appel dont ils font des arguments commerciaux. Pour tous ceux qui, comme les lecteurs d’Agoravox, sont connectés en permanence, c’est véritablement le B.A.-BA de notre environnement.
En France, un internaute sur deux est un consommateur de la télévision sur un autre écran que celui du poste classique. Ça donne la mesure du problème !
Selon moi, cette constatation impose de nouveaux raisonnements financiers. Vis-à-vis du « téléspectateur » d’abord !
Tout ce qui vient de la télévision publique - push and pull - doit-il être gratuit ?
Le contenu d’intérêt général doit-il être perpétuellement gratuit ?
Y a-t-il la possibilité de faire la distinction entre ce qui doit continuer à être gratuit de ce qui peut commencer à être payant.
Pour lancer la réflexion je propose que tout ce qui est actuellement linéaire - France 2, France 3 - y compris bien sûr dans sa déclinaison régionale -, France 4, France 5, RFO - soit diffusé gratuitement sur tous les supports...
Par contre, tout ce qui est pull, services associés non linéaires - et ce peut être de nouvelles chaînes de télévision en IP ou de la diffusion à la demande VOD et autres - deviendrait payant...
Il y a bien sûr des correctifs possibles, amendements, réserves, dans tous les sens à ces propositions qui ne sont que des points de départ d’une réflexion orientée davantage sur la « vraie télévision d’aujourd’hui »... sauf à refaire une nouvelle loi tous les deux ans !
Mais ce constat implique d’autres bouleversements.
Augmenter l’assiette de la redevance !
Jusque-là la redevance était calculée sur la possession d’un téléviseur classique et c’est toujours à ce type d’écran que l’on faisait référence pour parler des « maisons de campagne » et décider qu’il n’y aurait plus qu’une redevance par famille quel que soit le nombre d’écrans classiques.
A l’évidence, ce raisonnement est dépassé. Comment demander l’augmentation de la redevance dans ces conditions : cette augmentation serait profondément inégalitaire. Il doit y avoir une augmentation de la redevance, mais elle doit aujourd’hui tenir compte de la fameuse « fracture numérique ». Ceux qui sont du bon côté - les nantis des réseaux - paieront davantage que ceux qui ne possèdent que la TNT... Comme actuellement, la déclaration pourrait être faite sur sa feuille d’impôts avec trois cases - éventuellement - à cocher :
-
je possède un ou plusieurs téléviseurs ;
-
je possède un ou plusieurs ordinateurs permettant de recevoir des services de télévisions ;
-
je possède un récepteur mobile me permettant de recevoir des services de télévisions.
On comprendra qu’il existe une possibilité d’être plus contraignant pour ceux qui n’ont pas foi en l’homme.
Il s’agirait donc de modifier l’assiette de la perception pour que Mme Michu qui ne peut que recevoir - et encore - la TNT ne paye pas la même redevance que M. Stroumpf qui peut recevoir tous les programmes sur son poste classique, son ordinateur et même son téléphone !
Les inspecteurs des finances pourront calculer la modification des recettes qui seraient issues de ce nouveau type de calcul !
Mais, il y a pourtant deux choses qui ne permettent pas, brutalement, de faire ici des hypothèses chiffrées. Le périmètre retenu dans cet état des lieux ne me semble pas correspondre exactement à celui dont on semble parler actuellement et qui, pour ce qui me concerne - et j’y insiste - ne concerne que la télévision de papa : pas en dépenses, mais en recettes sûrement. Les chiffres évoqués ici et là ne correspondent qu’à un budget couvrant les dépenses d’aujourd’hui, mais en aucun cas les prévisions de programmes concernant demain.
Va-t-on enfin tenir compte de la nécessité qu’il va y avoir, comme les Américains l’ont constaté de développer des programmes différents selon les écrans... La Haute Définition n’a aucune chance de se développer si elle se borne à diffuser les sempiternelles émissions de plateau qui ne gênent pas sur un écran normal. Il est clair que dans ce cadre le sport va prendre une dimension différente - une fois les problèmes déontologiques des sportifs réglés par le Haut Conseil.
Il est clair également que les documentaires vont prendre un poids encore plus important qu’aujourd’hui dans les désidératas des téléspectateurs équipés de grands écrans.
Va-t-on se résoudre également à se préparer à fabriquer une chaîne spécifique d’information pour la télévision portable comme la NHK- télévision japonaise de service public - le fabrique déjà !
Enfin inutile de préciser que les services associés - en surimpression des écrans - ou sur internet - comme le fait déjà Arte - vont se multiplier !
Ça coûte de l’argent tout ça et c’est loin d’être inclus dans le gros milliard d’euros dont parlent les « experts » si l’on supprime la publicité des antennes push...
Dans les rentrées d’argent, on compte donc dans le raisonnement que je viens de développer sur une augmentation de la seule assiette de la redevance... A l’évidence ce ne sera pas suffisant.
Faire payer le contenu diffusé à tous les fournisseurs d’accès
Pour augmenter les revenus, il y a une solution complémentaire : celle d’exiger des fournisseurs d’accès, de tous les fournisseurs d’accès, qu’ils versent une « redevance » dès lors qu’ils diffusent les images animées en push ou en pull qui sont pour eux de vrais produits d’appel. Il n’y a aucune raison que la modernisation de l’industrie du numérique soit adossée sur le seul secteur de l’audiovisuel. N’oublions pas qu’à l’inverse des groupes privés dominants France Télévisions ne s’appuie sur aucun opérateur télécoms. Orange - ex-France Télécom - serait même plutôt un vrai prédateur de France Télévisions.
Jusqu’à aujourd’hui, les quelques dizaines de milliers de « téléphonespectateurs » qui regardent les chaînes de télévision sur leurs appareils portables ne savent pas que sur leur facture de visionnage aucun centime d’euros n’est reversé aux véritables éditeurs des images : ça suffit !
Il ne s’agit pas là d’une taxe, mais du simple règlement d’une facture correspondant à un service fourni !
Réformer les accords Tasca
Le dernier aspect concernant les gains potentiels consiste à renégocier les « décrets Tasca », on connaît l’influence des lobbies de producteurs sur le pouvoir politique. Gageons qu’ils seront bien représentés dans la commission élyséenne. Je ne rentrerai pas ici dans l’intérieur de ce dossier dont on commence par des livres récents à connaître quelques réalités. J’espère que l’on entrera dans les détails et que l’on en profitera pour supprimer une des sources de l’emploi précaire dans ce secteur en limitant les marges et en contrôlant devis et suivis de ces contrats. Mais à l’ère de la VOD et de la télévision à la demande, il est impératif que France Télévisions puisse commercialiser - comme le fait la BBC - l’ensemble des produits qu’elle édite et diffuse. Ce pourrait être une part importante de ses revenus. Ainsi, le groupe public pourrait augmenter ses ressources propres sans mettre à mal la création dont les producteurs privés ne sont pas les seuls garants.
Enfin, il faut faire une dernière remarque : supprimer la publicité sur les chaînes premium, ce n’est pas supprimer la publicité dans l’audiovisuel public !
Jusqu’à preuve du contraire, la Commission européenne n’interdit pas de continuer la publicité sur les services à la demande, sur les produits associés et généralement sur tout ce qui fait le pull !
Si un sou est un sou, un mot est un mot !
L’effet accordéon, une fois l’essentiel sauvegardé consisterait également à se limiter à l’exemple allemand : le premium de prime time - eh oui, je l’ai écrit - sans une goutte de pub... et le reste - hors émissions enfantines bien sûr - avec un zeste de réclame !
Voilà quelques pistes. Il y en a sans doute d’autres. Reste un point sur lequel j’ai l’intention d’attirer l’attention si c’est possible : la contrepartie de ces efforts qui consisterait à donner plus d’indépendance aux dirigeants et aux rédactions du service public de la télévision.
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