Quand la reine Christine passe RFI au Kärcher
Dans la moiteur de l’été finissant, la nouvelle est quasiment passée inaperçue : Richard Labévière, journaliste spécialisé sur les questions proche-orientales, a été viré manu militari de la station RFI. Le prétexte : une interview exclusive de Bachar El Assad, à la veille de la conférence de l’Union pour la Méditerranée. L’intéressé contre-attaque, en justice et en vidéo. Décryptage d’une affaire politico-médiatique.

Depuis sa nomination à la tête de l’Audiovisuel extérieur, regroupant France 24, RFI et TV5 Monde, le tandem Alain de Pouzhilac/Christine Ockrent se voulait rassurant. La synergie des rédactions était l’objectif affiché, mais les licenciements collectifs seraient évités. Ils ont tenu parole : pas de charrette de salariés sur la passerelle du paquebot France. Mais juste une victime expiatoire pour donner l’exemple : Richard Labévière. Essayiste, auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’islamisme, à la question palestinienne ou à la politique arabe de la France, l’homme a été licencié le 12 août dernier, sans susciter trop d’émois de la part de ses collègues en exercice. Certes, il ne s’agit pas là de "l’icône de la ménagère" PPDA dont la sortie précipitée a déclenché des dizaines d’éditos et de commentaires à travers le pays.
Ici, rien de tel : dans le vacarme des jeux Olympiques et de la guerre en Ossétie, la nouvelle n’a pas eu d’écho, si ce n’est au travers du web militant et de la presse arabe, globalement outrée par la décision. Que s’est-il passé au juste ? Labévière, connu pour ses sympathies pro-palestiniennes, avait réussi à décrocher, en exclusivité, une interview du président syrien, Bachar El Assad. Le contexte n’est pas anodin : dans quelques jours devait se tenir à Paris le grand barnum des chefs d’Etat impliqués dans la création de l’UPM, vaste confédération embryonnaire autour de la Méditerranée. La direction de RFI fait la moue au sujet de l’entretien, déplorant qu’Assad puisse agréer un seul journaliste pour l’interroger. Il est vrai qu’en France, il serait insensé d’imaginer un seul instant que les journalistes questionnant le chef de l’Etat au soir du 14 juillet aient été désignés par le staff de l’Elysée... Labévière passe outre l’avis négatif de la direction et part à Damas enregistrer l’entretien le 8 juillet. Celui-ci sera diffusé sur TV5 Monde puis, finalement, le lendemain sur RFI, dans Géopolitique, son magazine hebdomadaire.
Du rififi à RFI
Il est reproché à Labévière de ne pas avoir prévenu la direction de la station suffisamment à l’avance de son projet d’entretien avec le leader syrien. Abasourdi par la futilité du motif officiel de son licenciement, Labévière réplique et plutôt radicalement : il dénonce à la fois l’attitude de la Société des journalistes de RFI, instrumentalisée selon lui par une faction pro-israélienne, et la direction du holding de l’Audiovisuel extérieur, coupable de "néo-conservatisme ". En clair, Labévière estime être la victime d’une cabale politique en raison de ses positions notoirement pro-arabes. Il est avéré que l’homme a connu, au sein de RFI, une succession de disgrâces depuis 2003, se voyant systématiquement rétrograder dans ses fonctions journalistiques. Sa critique régulière de la politique d’Israël et des Etats-Unis, sa relative indulgence envers certains gouvernants arabes, son soutien à un autre journaliste, licencié de RFI et critique radical d’Israël, Alain Ménargues, l’ont fait vite fait taxer de "partisan de l’axe syro-iranien et grand ami du Hezbollah", selon les mots doux affectionnés par les groupuscules ultra-sionistes. S’ils savaient que le personnage avait, en outre, "commis" l’an dernier un ouvrage, La Règle du Je, tournant en dérision notre baudruche littéraire nationale, BHL, une pétition pour dénoncer un quelconque antisémitisme aurait déjà circulé...
Richard Labévière, demeuré publiquement silencieux, a décidé, la semaine dernière, de faire une sortie fracassante : le journaliste excommunié vide son sac dans une vidéo bientôt culte de 5 minutes, au contenu déjà polémique. Il y détaille, cigarillo à la main et colère froide, les griefs à l’encontre de sa hiérarchie : harcèlement professionnel, pensée unique, parti pris pro-israélien et américain, "orwellisation" rampante sur toutes les questions relatives au Moyen-Orient, intimidations, "mise au pas éditoriale", terrorisme intellectuel, "criminalisation des journalistes déviants", etc.
Nul doute que le buzz qui va surgir autour du J’accuse d’un journaliste reconnu promet de relancer le débat très franco-français des "risques de l’anti-sionisme dans l’expression médiatique". Fin août, Richard Labévière pourrait s’exprimer davantage dans une conférence de presse qui se tiendrait à Beyrouth. Et en parallèle de l’action médiatique et d’une pétition en ligne, l’offensive judiciaire a déjà commencé : un référé prud’homal aura lieu le 22 septembre. D’ici là, la prochaine visite de Sarkozy en Syrie promet d’être piquante : que pourront bien se dire en aparté El Assad, "responsable" malgré lui de l’expulsion de Labévière, et Kouchner, compagnon d’Ockrent mais aussi garant, en tant que ministre des Affaires étrangères, de la tutelle de RFI ? Le monde de la politique, des médias et de la diplomatie est décidément bien petit pour de si grands hommes...
NDLR : à lire sur AgoraVox TV : Richard Labévière dénonce l’orwellisation de la presse française
Crédit photo : Sipa
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