Qui pleurera la mort de L’Humanité ?
Les semaines se suivent et se ressemblent-elles dans la presse ? Pas une semaine sans qu’un journal appelle au secours. Ainsi, L’Humanité lance un énième appel aux dons et ce, alors que le journal perd 50 centimes d’euros par exemplaire vendu. Rien que ça. L’Huma a beau jouer sur la corde sensible, parler d’indépendance de la presse, de pluralité des media… On a envie de demander s’il y a eu une réflexion préalable sur la ligne éditoriale ? Le lecteur étant le seul juge de paix, la chute des ventes a-t-elle été analysée ?
Certains ont tendance à oublier que la presse reste une industrie qui doit être rentable (choc conceptuel !). Aussi, et au risque d’être cruel, L’Humanité n’est plus représentatif de quelque chose. Et sa disparition ne désolera personne. Inversement, le magazine Society a, en un an, su trouver son créneau et fidéliser un lectorat par des sujets, un ton et des couvertures/typographies qui sortent de l’ordinaire. Ce qui a été reconnu par les professionnels (Cf. palmarès du Prix Relay). Il n’y a donc pas de fatalité… Au contraire.
Autant donc se focaliser sur les grands enjeux à venir, par exemple, sur le rôle des nouvelles technologies, non pas dans le journalisme mais sur les journalistes. En clair, sont-ils voués à disparaître ?

Des algos, des applis…
Autant le dire tout de suite, ce n’est pas une nouvelle bataille des anciens contre les modernes mais plutôt une interrogation sur la manière dont journalistes et développeurs vont être amenés à coexister/travailler ensemble, dans les années à venir. Cette question était au centre du dernier Festival international du journalisme à Pérouse.
Bien sûr, la question n’est pas récente mais elle a pris de l’importance depuis le rachat du Washington Post par Jeff Bezos, patron d’Amazon, en 2013. Le journal a clairement pris le chemin de l’intégration de profils techniques/technologiques au sein même de la rédaction afin qu’ils travaillent de concert avec les journalistes.
Cette dynamique est intéressante dans le sens où elle permet de casser la consanguinité propre au milieu de la presse : personnes issues des mêmes milieux, formations, ayant les mêmes points de vue (pour schématiser). En outre, l’apport technique offre de nouvelles possibilités pour l’investigation. Les ‘Panama Papers’ sont le résultat d’un travail, certes international, mais également technique qui n’a pu être permis que par l’incorporation de méthodologies et de compétences en informatique. Jérémie Baruch et Maxime Vaudano, datajournalistes aux Décodeurs Le Monde, offrent un retour d’expérience particulièrement éclairant sur le travail réalisé ces derniers mois.
De même, les programmeurs permettent la création de nouveaux formats, infographies mais également des applications. Ainsi, Internet n’est pas une fatalité et ne signifie pas la fin des journaux. Au contraire, il permet une régénération du métier de journaliste en incorporant des personnes apportant une plus-value technique.
Et les journalistes alors ?!
Intégrer des programmeurs dans les rédactions serait d’autant plus pertinent que les journaux éviteraient de cette manière de se faire ‘bouffer la laine sur le dos’ par des nouveaux entrants, et les GAFA en particulier.
Petite proposition au passage : au lieu que les aides du ministère de la culture aillent directement dans des puits sans fond que sont les finances des journaux, pourquoi ne pas orienter cette manne financière vers des projets renforçant VRAIMENT les journaux et les journalistes (promotion de leurs articles via la création d’un site/base commun, sorte d’Instant Articles ou d’Apple News français/francophone) ?
Car oui, ce qui est important n’est pas le journal mais le journaliste, sans l’opposer au programmeur. Dans son dernier éditorial, Margaret Sullivan, du NYT, dit les choses clairement concernant Facebook et autres algorithmes : « In dealing with Facebook and other platforms and potential partners whose businesses revolve around algorithms, it’s critical that the paper makes sure the news that readers see is driven by the judgment of editors concerned about journalism, not business-driven formulas that may only reinforce prejudices. This is one of the big questions for the immediate future, one that must be grappled with ». Or, cela suppose le renforcement du ‘travailler ensemble’ là où le métier est hyper individualiste. Ainsi, Internet est aussi une révolution managériale et organisationnelle pour la presse.
L’analyse de Yann Guégan, qui s’appuie sur les interventions lors du Festival international de Pérouse, est lumineuse à ce sujet. Selon lui, ce n’est pas seulement une question liée à l’intégration des développeurs que de trouver des moyens de « se parler à nouveau », c’est-à-dire « collaborer sur des projets, intégrer d’autres points de vue et respecter d’autres impératifs ». The Guardian y va également de son analyse, pour qui la collaboration est le maître mot du journalisme de demain. Et comme on dit, il n’y a plus qu’à…
PS : on lira également avec grand intérêt le retour fait par Damien Van Achter pour Méta-Media sur le festival de Pérouse, plus focalisé sur les données et l’avenir des modèles économiques.
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