René Vautier : 40 ans de censure
René Vautier a réalisé 180 films, dont la plupart sont interdits. A l’âge de 80 ans, il voit son film « Afrique 50 » enfin diffusé à la télévision française après quarante années de censure.
Avoir 15 ans dans le maquis est une expérience qu’a connue René Vautier, décoré de la Croix de guerre à 16 ans et cité à l’Ordre de la nation en 1944 par le général Charles de Gaulle pour faits de Résistance. Il a continué le combat après la Libération avec une caméra cette fois.
Son documentaire Afrique 50 a connu quarante années d’interdiction en France alors qu’il fut diffusé dans plus de cinquante pays étrangers. De quoi s’agit-il ? En 1950, il réalise ce premier film qui était à l’origine une commande officielle pour vanter les bienfaits du colonialisme. Mais arrivé sur le lieu du tournage, au Mali, il décide de témoigner d’une réalité qu’il ne peut pas passer sous silence, celle d’un colonialisme meurtrier. Ce film, censuré pendant quarante ans en raison d’un sujet encore aujourd’hui tabou, vaudra treize inculpations et une condamnation à la prison à René Vautier pour avoir violé le décret de Pierre Laval de 1934, en filmant sans autorisation du gouverneur et en dehors de la présence d’un représentant de l’autorité (avant d’être le serviteur zélé de la France collaboratrice, Pierre Laval avait été ministre des Colonies).
"Le documentaire, ça consiste à filmer ce qu’on voit et à faire partager ce que ça vous inspire. Alors là, j’ai filmé ce que je voyais, et ce que je voyais n’était pas vraiment à la gloire de la mission civilisatrice de la France. Au bout d’une dizaine de jours, le gouverneur français de la colonie m’a appelé pour me dire que je ne filmais pas ce qui devait être filmé. On a discuté, on s’est disputé, il m’a insulté, je l’ai giflé. Premier incident diplomatique". Le film montre l’exploitation des populations locales, la répression arbitraire menée par l’armée française ou encore la mainmise des « vautours », dirigeants des grandes compagnies financières et commerciales. "Je suis rentré à l’endroit où j’étais logé, et j’ai trouvé un monsieur qui fouillait mes bagages. Alors on s’est un petit peu battu, je l’ai balancé par la fenêtre, il s’est cassé le bras et j’ai su après que c’était l’inspecteur de police. Second incident diplomatique".
René Vautier, ce Breton très persévérant est né le 15 janvier 1928 à Camaret dans le Finistère. Il a fait ses études secondaires au lycée de Quimper avant de sortir diplômé de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques) en 1948, section réalisation.
Son brûlot anticolonialiste a enfin été diffusé le 20 février 2008 sur Cinécinéma Classic ainsi que son documentaire réquisitoire de 1972 sur la guerre d’Algérie Avoir 20 ans dans les Aurès. Afrique noire reste encore aujourd’hui privé de visa d’exploitation. Le négatif appartient à TF1 qui empêche toute distribution.
Le cas du cinéaste René Vautier doit interroger le citoyen français sur l’ampleur de l’oubli de faits graves de notre histoire et sur le poids de la censure y compris quand celle-ci prend la forme de propagande mémorielle en se concentrant sur un fait unique, la Shoah, afin de faire diversion sur d’autres pages sombres dont les livres d’école ne parlent pas et pour lesquels la moindre évocation est marquée du sceau de la "repentance". La guerre d’Algérie est absente des livres d’histoire. Les massacres de Sétif et Guelma sont aussi particulièrement méconnus (lien Wikipedia). Ces répressions sanglantes d’une manifestation pacifiste, par les Français en mai 1945, firent des milliers de victimes innocentes. A propos de ces tueries dignes des nazis, un journaliste américain écrira : "It was an open season", pour dire la chasse à volonté. Les milices exécutaient par paquets les victimes à qui elles demandaient auparavant de creuser leurs propres tombes. On vit des corps arrosés d’essence et brûlés sur la place publique ou dans les fours à chaux, des groupes entiers de prisonniers écrasés sous les chars et des nourrissons pris par les pieds pour être projetés contre les rochers !
La diffusion d’Afrique 50 vaut hommage à René Vautier qui a consacré toute sa vie à la résistance contre la barbarie et sa meilleure alliée, la censure. Il sera parvenu à apporter des témoignages sur la torture en Algérie, témoignages qui aideront à défendre en justice Le Canard enchaîné et Libération en procès contre Jean-Marie Le Pen qui avait attaqué ces journaux pour diffamation. René Vautier a également lutté pour sa Bretagne et contre les crimes du capitalisme : Un homme est mort est un film qu’il a consacré à la mort de l’ouvrier Edouard Mazé, lors des manifestations et des grèves de Brest (mars-avril 1950). Un homme est mort a été récemment transposé en bande dessinée.
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