Renoncer à la télévision publique ou la relancer ? Et si France Télévision devenait France Réseaux ?
Alors que le débat s’enlise à l’assemblée Nationale, le sociologue Eric Donfu fait trois propositions pour une réforme. Tout d’abord, pour l’objectivité, à coté d’un président administratif proposé par le conseil d’administration et désigné par le président de la république avec avis du parlement, qu’un vice président éditorial des chaînes de service public indépendant soit élu par les journalistes, que le nom des chaînes change pour la diversité et l’exemplarité et que France télécom et France télévision fusionnent pour le financement et le développement.
Hier rare et magique, la télévision fait partie de l’univers de toutes et de tous. De janvier à septembre 2008, les téléspectateurs ont ainsi consacré chaque jour 4 heures et 10 minutes, soit 2 minutes supplémentaires sur un an. Et 80% des foyers équipés en télévision, soit la quasi totalité, ont été présents chaque jour devant la TV, que qui représente, en France, 45,3 millions de téléspectateurs. En célébrant avec Joffre Dumazedier le bicentenaire du rapport Condorcet sur l’Instruction publique, j’avais insisté sur l’importance d’un partage des savoirs attractifs, tout au long de la vie. Comme le disait Condorcet « Si la curiosité l’attire déjà, ensuite l’intérêt le retiendra (1). La télévision, et maintenant Internet, sont au cœur du quotidien, et contiennent des clés pour le développement de toute personnalité. Alors, comment ne pas réagir en lisant que la télévision publique serait « menacée d’asphyxie » selon Le Monde ?
Car il est évident qu’ un vrai service public de la télévision et de la radio française, dynamique , populaire, reconnu et professionnel, serait une chance pour notre pays, son avenir et son rayonnement. Il est aussi vrai que ce service public existe aujourd’hui de moins en moins car le système de l’audimat pousse, minute par minute, à privilégier l’audience au contenu, sans pour autant être en capacité de rivaliser avec les chaines privées. Il est donc bien que le pouvoir politique impulse une réforme qui libère France télévision des dictats commerciaux, dans une période où, en plus, la publicité télévisée devrait connaitre un ralentissement et une crise structurelle. En effet, le chiffre d’affaire des chaines de la TNT) va continuer à progresser alors que celui de toutes les chaines généralistes chute et va chuter ((+ 104% sur les 8 premiers mois de 2008 pour les chaines de la TNT et - 3,7% pour TF1 sur la même période). A court ou moyen terme, France télévision aurait eu des difficultés financières.
Un consensus nécessaire
Alors, profiter cette crise pour réformer ? Créer enfin une télévision publique digne de ce nom : La gauche devrait applaudir. Pourtant, elle annonce un « Vietnam parlementaire ». Il est vrai que les portes paroles gouvernementaux et parlementaires de la réforme peinent à convaincre, et sont démentis jour après jour par des études et des rapports d’experts… Dans ces conditions, passer en force serait la pire des choses avec un projet controversé.
Cette réforme est en effet sensible, délicate, et difficile à réaliser. Elle doit en effet venir du plus haut sommet de l’Etat, et se réaliser dans un consensus politique. Pour cela elle doit convaincre et entrainer l’adhésion. Hélas, le gouvernement se montre de la plus grande maladresse dans cette affaire. Le projet déposé à l’Assemblée Nationale n’est ni réaliste ni ambitieux et s’apparente plus à une « asphyxie » du service public – pour reprendre le titre du quotidien le Monde – qu’à sa relance. Le débat tourne à l’affrontement politique et la suspicion d’une remise au pas de la télévision publique et d’un « cadeau » aux chaînes privées, dont TF1, l’emporte sur l’enjeu.
Trois propositions pour une vraie réforme
Il y a, dans ce malentendu profond, des éléments objectifs et subjectifs. Alors, dans ce débat, pourquoi ne pas faire trois propositions dont une majeure, mais, il me semble, logique et necessaire.
Première proposition : L’objectivité renforcée.
Le premier point, rejeté à 70% par l’opinion publique, est celui de la nomination par décret présidentielle du président de France Télévision, avec un contrôle parlementaire théorique. Ce point pourrait être réglé si cette nomination ne concernait que le président administratif et financier, et si, un peu sur le modèle de l’hôpital avec la commission médicale d’établissement, le président éditorial était élu par les journalistes et les réalisateurs, et totalement indépendant à la fois du président administratif et du pouvoir politique. Cet amendement de bon sens serait même un progrès par rapport à la comédie du CSA, dont les nominations sont souvent l’objet de contestations. Accepté par le gouvernement, dans le cadre du nouveau statut de France télévision, il replacerait l’Etat dans son rôle, c’est-à-dire en garant de l’objectivité de la télévision publique. Et il serait ridicule de la part du pouvoir politique de craindre l’élection d’un journaliste de gauche par exemple. La confiance dans le professionnalisme des journalistes passe nécessairement par le respect d’un « devoir d’irrespect » vis-à-vis de tout pouvoir. L’objectivité est toujours relative dans une démocratie, et prendre ce risque serait une vraie preuve d’ouverture. Il s’agit aussi de considérer comme acquise la liberté éditoriale du service public de l’audiovisuel qui date de 1982. Compte-tenu des propositions formulées dans ce papier, il serait aussi nécessaire de respecter le processus de gouvernance propre aux grandes entreprises, et tenir compte de l’avis du conseil d’administration dans toute nomination de dirigeant.
Deuxième proposition, la diversité et l’exemplarité.
Le groupe est une chance, et doit permettre à ses cinq chaines de se développer librement sur leurs créneaux, en démultipliant ce qui fait leur originalité, et en n’excluant pas une saine concurrence entre elles. Mais il faudrait aller plus loin en les renommant. En effet, France 2,3,4, 5 se réfèrent encore à la une, privatisée depuis plus de vingt ans et devenue TF1. Pourquoi ne pas appeler France Télévision France Réseaux, soit FR, France 2 France télévision soit FT, France 3 France Locales, soit FL, et France 4 et France 5 France Curiosités soit FC ? Quant à France Outre mer, il est important de ne rien changer. Enfin, il faudrait même créer une sorte de GIE avec Radio France, pour explorer ensemble les nouvelles technologies de l’Internet et de la téléphonie mobile.
Quel financement ?
Clarifier et crédibiliser le financement reste le sujet qui nécessite le plus d’audace. Pour reprendre les termes du président de France télévision, aujourd’hui, « les comptes n’y sont pas ». Il est vrai que sur ce point, le projet gouvernemental fait penser à une usine à gaz. Comment compenser la perte d’un milliard d’Euros sur un budget de 3 milliards ? Une cure d’austérité pour les effectifs des chaines, comme si les temps étaient à la suppression d’emplois, notamment dans ce secteur, et une baisse de la quantité de programmes et de fictions réalisés. De plus, on n’oublie aussi la question de reclassement des 310 salariés de France Télévision publicités qui n’ont pas démérités. Bref, l’austérité comme horizon, pour ne pas reprendre encore le terme d’asphyxie. De plus, les recettes prévues dans cette usine à gaz semblent hypothétiques. Une taxe sur la publicité de censée revenir aux chaines privées de 3%, sur les fournisseurs d’accès internet et une indexation de la redevance sur l’inflation. Aucune de ces pistes ne semble solide et sont toutes surévaluées. Le montant de publicité reversée aux chaînes privées est contesté le rapport d’experts de AT Kearney qui tient compte de la conjoncture et de l’analyse des chiffres réalisés. Les fournisseurs d’accès Internet ont déjà fait part de leurs réserves, et nous savons que le pouvoir d’achat des ménages n’offre pas de perspectives à une augmentation de la redevance, qui est déjà de 116 euros par an. Dans ces conditions, il semble légitime de se demander si l’annonce surprise de la suppression de la publicité sur les chaines publiques faite par le Président Sarkozy le 8 janvier 2008 n’était pas un peu improvisée, et on pourrait penser que le bon sens serait de renoncer à un changement vers l’inconnu.
Comment trouver un milliard d’Euros de recettes ?
Si on considère qu’une réforme s’impose pour sauver et relancer la télévision publique, comment faire ? Il semble que seul un financement public garanti, à hauteur d’un milliard d’Euros par an, pourrait financer la suppression totale de la publicité sur France 2 à partir du 1er janvier 2011. Dans ce cas, les recettes escomptées seraient affectées à un fonds de soutien aux programmes, susceptible dès lors d’assurer un avantage de contenu au service public de la télévision, un réel bénéfice pour les téléspectateurs, et une relance bienvenue de la production audiovisuelle française. Mais où trouver un milliard d’Euros par an dans le budget de l’Etat , Le casse tête semble insoluble. En effet, alors que la dette de l’Etat s’élève déjà à 65% du PIB, soit 1250 milliards d’euros au 1er semestre 2008 ? Le gouvernement doit déjà trouver environ 7 milliards d’euros dans son budget d’ici à la fin de l’année pour rester en-dessous de la barre des 3% de déficit imposés par le pacte de stabilité européen. Ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux ne suffira pas. A titre d’exemple, l’assurance maladie a déjà un besoin de financement d’Etat de plus de 4 milliards d’euros, et, si l’on ne fait rien, ce déficit se creusera chaque année de 2 milliards d’euros supplémentaires.
Troisième proposition fusionner France Télévision et France Télécom et créer France Réseaux.
Pourquoi France Télévision et France Télécom ne fusionneraient-ils pas ? Ce groupe de téléphonie, qui doit abandonner son statut de monopole d’Etat a enregistré un bénéfice de 7 milliards d’Euros en 2007, avec 100 000 salariés. Et c’est bien sur ce fournisseur d’accès à Internet que comptait le gouvernement pour contribuer, par une taxe, au financement du service public de télévision. Bien sûr, Bruxelles, les personnels et les syndicats, le parlement et les experts auront des idées divergentes. De plus, le cadeau n’est pas évident pour France Télécom, qui se verrait bien prendre le large, alors que France télévision lui prendrait un milliard d’Euros par an. Mais, de plus en plus, entrainé par le phénomène de société que représente Internet et le haut-débit, la téléphonie et la télévision se mélangent, et on observe même au niveau international, une prise de contrôle des networks de télévision par les compagnies de téléphone. Nous avons la chance de garder une belle entreprise de téléphonie devenue un leader des réseaux et de l’Internet, et avec Orange, un groupe commercial performant. Cette mission dynamique et prospective de service publique ne tombe-t-elle pas à point pour remplacer le monopole public du téléphone ? Et puis, il faut se préoccuper des vingt ans a venir, investir le monde et le virtuel, diversifier les supports, inventer demain. Et France Réseau partirait armé dans cet épopée. Alors, les idées les plus folles ne sont pas toujours les plus mauvaises, non ? Après ces trois propositions, le choix est-il plus clair ? En deux mots, renoncer ou relancer ?
(1) Joffre Dumazedier, Eric Donfu, La leçon de Condorcet, une conception de l’instruction pour tous nécessaire à une République, L’harmattan, Paris, 1994
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON