Requiem pour un DRM
La semaine dernière, deux des plus gros disquaires de France, Virgin et la Fnac, ont annoncé la vente en ligne de centaines de milliers de titres sans aucun verrou. S’il ne s’agit pour l’instant que de labels indépendants, certaines majors aux Etats-Unis ont également indiqué leur désir d’abandonner les verrous numériques. La question de l’avenir de la musique est plus que jamais d’actualité.
Depuis quelques années, la RATP autorise des musiciens sélectionnés à jouer dans les couloirs du métro. Ces musiciens "légaux" ont peu à peu remplacé les joueurs à la sauvette qui parsemaient ces couloirs auparavant. Il y a à Châtelet, en plein coeur de la capitale, plusieurs guitaristes, accordéonistes ou saxophonistes toujours positionnés dans le même angle. Et quand ils sont en forme, toute la station est envahie de musiques d’une qualité impressionnante. Qu’adviendra-t-il de ces musiciens dans la société du XXIe siècle ? Le couloir du métro est-il une position définitive ? Sont-ils condamnés à jouer éternellement pour un auditoire dont ceux qui ne sont pas pressés s’en moquent ?
On a beaucoup parlé de l’avenir de la musique il y a un an, lors des débats sur la loi DADVSI. Le modèle qui a été retenu était clair : pas de licence non négociée. Et surtout, décision de mettre fin aux "mythes" qui risquaient de tuer définitivement toute la création musicale : les mythes de la gratuité et du libre-accès. L’industrie en faisait une profession de foi : elle ne laisserait jamais distribuer de musique gratuite, ni même au forfait, ce qui aurait dévalorisé la musique. Jamais non plus de musique sans verrou, qui ouvre la porte à tous les voleurs que nous sommes. Le pacte était scellé : si nous voulons écouter de la musique, il faudra négocier et accepter la surveillance et les restrictions.
Pourtant, le vent semble avoir tourné au-dessus des têtes des majors. Les forfaits se sont multipliés, et certains sites proposent même de la musique gratuitement, financée par la publicité. La société SpiralFrog, nouvelle venue sur le marché, a réussi à obtenir de plusieurs majors l’accès à leur catalogue pour le distribuer gratuitement. Alors même que rien ne semblait donner du poids à cette nouvelle entreprise, elle a réussi à faire changer de direction aux éléphants de la musique. Il faut croire qu’elle est arrivée à un meilleur moment que Napster, qui, sept ans plus tôt, a fermé boutique pour avoir essayé de négocier le même genre d’arrangement avec les mêmes studios. A l’époque il n’en avait pas été question : Napster, c’était mal, un point c’est tout. Et même si Napster a proposé des solutions commerciales pour survivre, il a dû fermer pendant plusieurs années avant que le modèle ne soit accepté. Aujourd’hui, on peut écouter de la musique gratuitement contre une simple publicité.
Mais le changement est encore bien plus radical pour les DRM, ces fameux verrous numériques qui restreignent l’utilisation des fichiers qu’ils protègent. Alors qu’il y a un an, personne n’aurait imaginé une vente de musique sans DRM, aujourd’hui même les plus grosses enseignes ont changé de ton. Déjà il y a quelques mois, des voix discordantes se faisaient entendre, et pas des moindres. Il y a d’abord eu des producteurs de musique un peu excentriques, et finalement Dave Goldberg lui-même, vice-président de Yahoo ! Music, a osé remettre en cause le précepte infaillible. Les mauvaises langues prétendront qu’il était évident depuis des années que la musique en ligne était gênée par les DRM, pour ceux qui ont observé ses usages. Il est vrai que les plus gros "pirates" sont prêts à payer jusqu’à vingt euros par mois pour avoir un accès aux newsgroups. Ces fameux forums de discussion sont utilisés par certains pour s’échanger des fichiers et l’on peut y trouver toutes les nouveautés, sans aucune protection. Il est vrai aussi que les étudiants qui bénéficiaient aux Etats-Unis d’un accès offert par l’université à une plate-forme de musique en ligne préféraient continuer à pirater pour éviter les restrictions d’usage. Mais comprendre le changement n’est jamais une chose aisée quand il remet en cause un business qui fait vivre des dizaines de milliers de personnes. Pourtant le mot est tellement bien passé que même de grosses maisons de disques ont vendu sur Internet quelques titres sans DRM, comme le single Thinking About You de Norah Jones, vendu par Yahoo !, et édité par EMI. Le site Digital Music News affirmait même il y a quelques jours qu’une grande maison de disques allait proposer son catalogue en ligne sans DRM. Ceci, quand la porte-parole d’EMI déclare : "Nous n’avons pas fabriqué de disque équipé de protections techniques pendant les derniers mois", laisse tout imaginer.
Mais alors, si on peut obtenir de la musique gratuite et sans DRM, pourquoi se battre pour une licence légale ? Ceux qui pensent que la gratuité était l’objectif principal de la licence légale n’ont pas compris son principe. La licence légale, c’était cette licence accordée par la loi à tous les internautes, ou au moins à un certain nombres de plates-formes de distribution, permettant de distribuer sans restriction de la musique contre une rémunération forfaitaire. L’objectif n’était pas de pouvoir obtenir la musique gratuitement, mais bien d’assurer un droit d’auteur égalitaire, non pas basé sur la négociation individuelle, mais défini par la loi, comme au temps de la licence des radios libres et du droit à la copie privée. Car dans le système négocié, imposé par la loi DADVSI, les services de distribution de musique diffuseront bien les musiques des majors, mais à condition de rester dociles. Il ne faudra pas s’étonner si on voit beaucoup Madonna ou la Star Academy en page d’accueil des sites de musique en ligne. Mais pour la diversité, il faudra repasser.
Alors que deviendront-ils, ces musiciens du métro ? Qui les écoutera, quand, demain, on ne pourra plus copier les CD ? On ne pourra les trouver encore que dans le métro, ou peut-être sur leurs sites personnels, si vous leur en demandez l’adresse... Une licence légale aurait permis de mettre les meilleurs d’entre eux sur Internet, et, pour ceux qui le mériteraient, en page d’accueil, à côté de Madonna. Mais dans un système négocié, ce sont les gros studios qui décident qui doit être mis en avant. Sans l’appui des majors, ils n’ont pas le droit de prendre cette place, et ils se voient condamnés à rester dans les couloirs du métro, à jouer sans jamais être écoutés. Et tant pis s’ils sont bons. On continuera à écouter Madonna et la Star’Ac, pour égayer nos journées. Et parfois, pour les plus chanceux d’entre nous, on prendra le métro un bon jour, et on se laissera emporter par une musique d’un autre genre auquel nos oreilles formatées ne seront plus habituées.
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