21 avril 2002 : on n’en aura jamais fini...
Suite à une discussion, un sujet est revenu sur la table : le "vote utile", inévitablement associé au "21 avril".
Que s'est-il passé lors des élections présidentielles de 2002 ?
La gauche, pour la deuxième fois de la Vème République, a été éliminée du second tour de l'élection présidentielle, cette fois-ci au profit de l'extrême-droite (ça avait été au profit du centre en 1969). A quelques dixièmes de pourcents près, le candidat soutenu par le PS s'est fait raffler la seconde place par le président fondateur du FN. Un véritable traumatisme, il est vrai, à tel point que ça va bientôt faire dix ans et qu'on l'analyse toujours.
Cet article est une reprise d'un article de mon blog.
Bon alors il faut trouver un coupable, tiens. Il y en a un tout désigné puisqu'on le dénonce depuis 2002, c'est Jean-Pierre Chevènement. C'est vrai qu'en obtenant 5,33% des voix, qu'il a piqué un peu sur Le Pen, un peu sur Chirac, un peu sur Hur, et beaucoup sur Jospin, l'absence de sa candidature eût probablement permit à Jospin d'atteindre le second tour. Encore que... Chevènement avait tenté d'unir "les patriotes des deux rives", et cette démarche avait susciter un certain élan dans des strates qui autrement ne prêtaient qu'un intérêt poli aux manoeuvres politiciennes électoralistes. Du coup, peut-être que les électeurs de Chevènement qui autrement auraient voté pour Le Pen se seraient mobilisés, peut-être que ceux qui autrement auraient voté pour Chirac de même, et itou pour ceux qui autrement auraient voté pour Hue, mais par contre, il est plus que probable que l'immense majorité des électeurs de Chevènement se seraient tournés vers l'abstention en cas d'absence du Che.
Pas sûr que les restes auraient fait la différence entre Jospin et Le Pen.
Et puis pourquoi s'en prendre à Chevènement ? Des candidats de gauche qui ont réalisé plus de voix que la différence entre Le Pen et Jospin, il y en avait ! Pourquoi Chevènement et pas Laguillier (5,75%), Mamère (5.25%), Besancenot (4.25%), Hue (3.37%) ou Taubira (2,32%) ?
Bon, alors, la faute en reviendrait à la multiplicité des candidatures ? Et bien c'est vrai qu'en 2002, la gauche est partie divisée...
Jospin, Laguillier, Chevènement, Mamère, Besancenot, Hue, Taubira, Gluckstein : 8 candidats !
C'est beaucoup, 8 candidats. C'est beaucoup plus que d'habitude, non ? Voyons voir...
1974 : Mitterrand, Laguillier, Dumont, Muller, Krivine, Sebag : 6 candidats.
1981 : Mitterrand, Marchais, Lalonde, Laguillier, Crépeau, Bouchardeau : 6 candidats
1988 : Mitterrand, Lajoinie, Juquin, Laguillier, Boussel : 5 candidats
1995 : Jospin, Hue, Laguillier, Voynet : 4 candidats
2007 : Royal, Besancenot, Buffet, Voynet, Laguillier, Bové, Schivardi : 7 candidats
On peut dire que 8 candidats, c'est certes le maximum qu'on a rencontré à gauche, mais ce n'est pas si excessif que cela compte-tenu des nombres aux précédentes élections... et surtout, il faudrait regarder la proportion de candidats de gauche par rapport au nombre total des candidats :
1974 : 6 candidats de gauche sur 12 au total, soit 50% des candidats
1981 : 6 candidats de gauche sur 10 au total, soit 60% des candidats
1988 : 5 candidats de gauche sur 9 au total, soit 56% des candidats
1995 : 4 candidats de gauche sur 9 au total, soit 44% des candidats
2002 : 8 candidats de gauche sur 16 au total, soit 50% des candidats
2007 : 7 candidats de gauche sur 12 au total, soit 58% des candidats
On voit qu'on est plutôt dans la norme, et même dans le bas de la norme.
Mais peut-être qu'en 2002, à droite, ils étaient plus unis qu'à gauche ? En effet, en 2002, à droite, il y avait :
Chirac, Le Pen, Bayrou, Saint-Josse, Madelin, Mégret, Lepage, Boutin : 8 candidats
Ah ben merde alors, la droite était aussi divisée que la gauche. Était-ce normal ? Vérifions :
1974 : Giscard d'Estaing, Chaban-Delmas, Royer, Le Pen : 4 candidats, soit 2 de moins que la gauche
1981 : Giscard d'Estaing, Chirac, Debré, Garraud : 4 candidats, soit 2 de moins que la gauche
1988 : Chirac, Barre, Le Pen : 3 candidats, soit 2 de moins que la gauche
1995 : Chirac, Balladur, Le Pen, Villiers : 4 candidats, soit autant que la gauche
2007 : Sarkozy, Bayrou, Le Pen, Villiers, Nihous : 5 candidats, soit 2 de moins que la gauche
Et bien ma foi, la tendance à droite est nettement à susciter moins de candidatures qu'à gauche. Là, on était dans une conjoncture particulièrement favorable pour la gauche, avec une droite aussi divisée que la gauche.
Exit, donc, l'argument de la multiplicité des candidatures.
- Les candidats de 2002
- De haut en bas et de gauche à droite : Bruno Mégret (MNR), Jacques Chirac (RPR), Corinne Lepage (CAP21), Jean-Marie Le Pen (FN), Daniel Gluckstein (PT), Christianne Taubira (Walwari), François Bayrou (UDF), Jean Saint-Josse (CPNT), Noël Mamère (Les Verts), Jean-Pierre Chevènement (Pôle Républicain), Lionel Jospin (PS), Alain Madelin (DL), Christine Boutin (FRS), Arlette Laguillier (UC-LO), Robert Hue (PCF) et Olivier Besancenot (LCR)
"Ah oui mais alors en 2002, la défaite, elle vient de la division des voix !" entend-t-on généralement après.
Ma foi, il est vrai qu'il s'est trouvé lors de l'élection de 2002 pas moins de 3 candidats dépassant le seuil de 5%, et encore deux autres à récolter plus de 3% des suffrages.
Cet argument est beaucoup plus fallacieux, étant donné que, ma foi, on peut difficilement reprocher à un candidat d'avoir pu rassembler des électeurs sur son nom. La question reste : est-ce qu'il y avait une si grande proportion de voix pour la gauche que cela en 2002 ? Comparons donc avec les élections précédentes :
1974 : les candidats de gauche récoltent ensemble 48,12% des suffrages au premier tour
1981 : les candidats de gauche récoltent ensemble 50,70% des suffrages au premier tour
1988 : les candidats de gauche récoltent ensemble 49,12% des suffrages au premier tour
1995 : les candidats de gauche récoltent ensemble 40,56% des suffrages au premier tour
2002 : les candidats de gauche récoltent ensemble 42.89% des suffrages au premier tour
2007 : les candidats de gauche récoltent ensemble 36,44% des suffrages au premier tour
C'est certain, en 2002, la proportion des voix récoltées par la gauche est plutôt décevante... mais est bien meilleure qu'en 1995 et en 2007, deux élections où le candidat du PS est pourtant arrivé, et de loin, au second tour.
Alors au final, qu'est-ce qui a fait que le scrutin de 2002 a été exceptionnel pour la gauche ?
Ce n'est pas la multiplicité des candidatures, phénomène courant et qui n'a pas empêché la victoire du PS en 1981 et 1988.
Ce n'est pas non plus la proportion de candidats de gauche par rapport au nombre total de candidatures, qui était moindre que d'habitude.
Ce n'est pas non plus l'unité de la droite, qui était plus divisée que d'habitude.
Ce n'est pas non plus une baisse brutale des suffrages de la gauche, qui était à son étiage normal pour les années 1990-2010 (et même un peu au-dessus).
Ce qui a fait du scrutin de 2002 un scrutin exceptionnel pour la gauche, c'est qu'à cette occasion, l'hégémonie du PS sur la gauche n'a plus été si évidente que cela...
En effet :
1981 : le candidat PS a obtenu 25.85% des suffrages, les autres candidats de gauche 24,85%
1988 : le candidat PS a obtenu 34,11% des suffrages, les autres candidats de gauche 15,01%
1995 : le candidat PS a obtenu 23,30% des suffrages, les autres candidats de gauche 17,26%
2002 : le candidat PS a obtenu 16.18% des suffrages, les autres candidats de gauche 26,74%
2007 : la candidate PS a obtenu 25,87% des suffrages, les autres candidats de gauche 10,57%
Avez-vous remarqué pour quel scrutin le candidat PS se fait dépasser par la somme des autres candidats de gauche ? Gagné, c'est le scrutin de 2002. En 2002, le PS et son candidat n'ont pas réussi à apparaître comme une évidence aux yeux de l'électorat de gauche. Pour quelle raison ?
Qui veut conserver la ligne de lecture tendancieuse de l'événement donnée par le petit monde de l'analyse politicienne dira que c'est la faute des autres candidats de gauche, qui se sont montrés trop rassembleurs. Ceux qui ont un minimum d'honnêteté intellectuelle se demanderont plutôt si ce n'est pas le candidat du PS qui ne se l'est pas montré assez.
Toute la question étant alors : pour quelle raison le candidat du PS n'a pas su rassembler en 2002 ?
Une esquisse rapide de réponse :
- il avait le charisme d'un conseiller régional
- son programme n'était pas socialiste
- il était l'héritier idéologique d'une grande figure de la sociale-démocratie et de la "deuxième gauche"
Peut-être faudrait-il en tenir compte, non ?
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