22 avril 2007
Dans un mois nous y sommes...
Dans un mois... Exactement.
Le 22 avril.
La veille, ce 21 de sinistre mémoire, la plupart des éditoriaux de ceux qui comptent à Paris ont rappelé le "coup de tonnerre", il y a cinq ans.
Dans Libération qui affiche une Ségolène Royal souriante en couverture "Tous pour une !", Joffrin y va de son "Plus jamais ça" en expliquant combien la présence de Jean-Marie Le Pen ou de François Bayrou au second tour serait la confirmation de l’immaturité électorale des Français. Une motion de défiance est mise au vote dès l’après-midi.
L’éditorial du Monde est plus ambigü : "Entre la démocratie d’opinion et le néopopulisme".
Le Figaro ne fait pas dans la dentelle. Un Sarkozy accompagné de Cécilia semble regarder ce titre : "Le plein de voix".
À Aujourd’hui/Le Parisien on s’interroge. Alors que les photos des quatre principaux candidats s’affichent, un énorme "Qui ?" barre la couverture.
Le samedi s’achève. Des chiraquiens font courir le bruit en début d’après-midi d’un nouveau départ de Cécilia Sarkozy pour New York. Les rédactions s’enflamment... avant que le soufflé ne retombe. Le couple est repéré en fin de journée rue du Faubourg-Saint-Honoré chez Tod’s... Fausse alerte !
En ce dimanche matin pluvieux la France glose. Que vaut la bruine un matin d’élection ?
Ni le JDD, ni Aujourd’hui n’ont osé se mouiller. Leurs deux titres : "L’incertitude" et "Très serré !" rivalisent d’originalité.
Alors qu’aucun sondage n’est publié, les rumeurs les plus folles commencent à parvenir via le net et les portables, depuis la Suisse, la Belgique et l’Angleterre.
Des petits malins ont demandé à nos voisins sondeurs de leur donner des éléments chiffrés tout au long de la journée. Malheureusement, peu versés dans l’art du redressement à la française, les chiffres que donnent ces sondeurs sont inexploitables. En dépit des 75 000 euros qu’ils ont versés, les commanditaires de l’opération sont bredouilles. Comment annoncer de tels chiffres sans prendre le risque de se ridiculiser dans les heures qui viennent ?
C’est un échec.
Juste le premier du jour...
Alors qu’à 13 heures le taux d’abstention reste encore important, ce sont les bouchons qui s’accumulent en direction de la capitale qui font l’actualité des journaux télévisés. Il semble bien que les Parisiens aient décidé de profiter de leurs vacances jusqu’au dernier moment plutôt que de rentrer la veille pour accomplir leur devoir électoral.
À 15 h les journalistes politiques sont tous à leurs postes.
Mais c’est vers 16 h 30 que la tension monte d’un cran dans toutes les rédactions.
Alors que les images des votes des candidats dans leurs bureaux respectifs tournent en boucle inlassablement, les patrons de l’info cherchent à en savoir plus en questionnant tous leurs contacts. Il est pourtant bien trop tôt. Encore deux bonnes heures à ronger leur frein. Et l’autoroute du sud qui ne désemplit pas !
C’est vers 17 h qu’un incident a lieu à la mairie d’Issy-les-Moulineaux. L’électrice âgée qui a été prise d’épilepsie devant les deux boutons de la machine à voter électronique a été évacuée par le SAMU 92. Mais l’image tournée par un JRI d’i-télé fait le tour des chaînes d’info en continu. André Santini descendu de son bureau cigare au bec se veut rassurant. Mais on apprend la mort de l’électrice à 17 h 42.
Un présage ?
18 h. D’ici une demi-heure les sondages sortis des urnes (les SSU) devraient permettre de produire les premières estimations qui resteront secrètes jusqu’à 20 h, sauf pour les "initiés"...
18 h 30. Les lieutenants des principaux sondeurs des différents instituts sont en ligne les uns avec les autres depuis dix bonnes minutes.
Quelque chose ne tourne pas rond.
Alors que l’abstention est donnée autour de 29%, aucun d’entre eux ne parvient pour le moment à séparer les quatre candidats de tête, ni à les classer, sans sortir dangereusement des fameuses marges d’erreur.
De quelque manière qu’ils procèdent, ils sont tous contraints d’avouer passablement penauds à leurs clients respectifs que si les choses continuent comme cela, d’estimation à 20 heures il n’y aura pas. Juste une fourchette. Pas davantage.
L’événement est inédit. Dans les QG politiques plus personne n’est visible.
19 h. Arlette Chabot est ivre de rage. Après avoir traité de " bande de connards" la moitié du service politique, elle se replie dans son bureau, portable collé à l’oreille. Elle balance ses pompes contre le mur et s’asseoit les jambes collées sur son bureau. "Qu’ils se démerdent !".
À TF1, on commence à réfléchir au type d’infographie possible à 20 heures. Mais la chaîne a prévu tous les cas de figure depuis longtemps.
Sur France 2 et France 3, en revanche, on cherche en urgence un infographiste d’astreinte (!) pouvant sortir les chaînes de service public de la mouise en réalisant une animation présentant les candidats en même temps. Les chaînes n’ont pas du tout prévu ce cas de figure...
19h15. PPDA vient de prendre l’antenne sur TF1 pour annoncer - sybillin - un "événement jamais arrivé sous la Ve République".
La France retient son souffle.
Dans les radios, la panique gagne.
Elkabbach passe son temps enfermé dans son bureau, le portable vissé à l’oreille. Les journalistes tirent à la ligne.
Dans
les quatre principaux partis les candidats sont eux invisibles ou
absents et l’accès aux étages de leurs bureaux désormais verouillé par
des costauds.
19 h 59.
10 9 8 7...
À l’unisson, toutes les chaînes françaises annoncent leur incapacité à fournir une estimation suffisamment précise. Seule l’abstention est connue, mais les écarts entre les candidats sont trop faibles pour que deux visages se dessinent sur nos écrans. Ce sont donc quatre visages à niveau égal qui apparaissent de manière plus ou moins travaillée à la palette graphique. Sur France 3, la tête de Le Pen est coupée dans la largeur... Sur France 2, c’est à Bayrou qu’il manque une oreille dans le cadre...
Les politiques qui se sont rendus dans les chaînes et les radios refusent tous de se rendre en plateau pour débattre et tous les "experts" de la place de Paris sont réquisitionnés pour venir occuper le terrain.
Dans les coulisses les sondeurs s’agitent devant leurs ordinateurs mais rien de cohérent, ni surtout de vérifiable ne sort.
À 20 h 30 pour la deuxième fois, rien ne tombe du chapeau des sondeurs désormais en bras de chemise.
Les débats creux entre journalistes politiques s’enchaînent sur les ondes et sur les antennes, tandis que dans la coulisse des plateaux les seuls politiques décidés à s’exprimer sont les représentants des "petits candidats" mais à eux, personne ne veut laisser la place... Noël Mamère venu en vélo fait le coup de poing pour entrer de force sur le plateau de France 2.
21 h. Dans la coulisse, Arlette Chabot est au bord
de la crise de nerfs. Elle a quitté l’antenne pour tenter de "bouger
ces nazes" mais rien n’y fait.
21 h 30. Alors que sur Canal Plus tous les sketches des Guignols sont inutilisables, Laurence Ferrari doit garder l’antenne sans autre consigne que "il faut meubler". La chaîne enfile des sujets déjà vus. Un naufrage.
21h45. Sur France 3, la direction décide de faire démarrer La grande vadrouille.
Alors que le cinquième tour de France des correspondants en province s’achève sur TF1, la polémique enfle.
Le débat dans le débat prend forme.
Quelques sociologues mal rasés rameutés puis conduits en moto-taxis sur les plateaux mettent en accusation les instituts de sondage.
Les sondeurs sont cloués au pilori. Pour se défendre, ils mettent en cause les électeurs. Leur "volatilité imprévisible" et leur "indécision". On aura tout entendu !
22 h. Alors que depuis deux heures la France ne vote plus et que les autoroutes sont encore saturées, il faut se rendre à l’évidence. Aucune estimation fiable n’existe. Les quatre principaux candidats se tiennent en trois points. Toujours tous dans la marge d’erreur.
22 h 45. Après avoir espéré un signal un quart d’heure plus tôt, TF1 et France 2 décident après près de trois heures de débats insipides sur l’absence de résultat (!) de programmer deux fims qu’ils interrompront dès qu’il leur sera possible de sortir une première estimation.
Alors que Les Bronzés 3 démarrent sur la une, c’est La Boum 2 que France 2 envoie.
Chabot veut rentrer chez elle.
Dans les villes de France, beaucoup de citoyens sont spontanément sortis dans les rues pour attendre "quelque chose" mais, vers 23 h, l’orage qui s’abat - notamment sur la capitale - douche les plus courageux. Les places se vident.
Des bandeaux déroulants indiquent vers minuit en surimpression sur les films en cours que "Pour l’instant, les estimations n’étant pas assez précises, nous ne sommes pas en mesure de départager les candidats..."
Les radios passent de plus en plus de musique entre quelques interventions inutiles de journalistes.
Il est minuit.
Aucun candidat n’est visible depuis le début de la soirée.
À l’Elysée, le Président décide d’aller se coucher et demande qu’on le réveille au cas où...
Vers 0 h 50 alors que les films s’achèvent et que France 3 a pris la décision de programmer un Inspecteur Derrick, la consternation règne dans toutes les rédactions.
La soirée électorale, ce bijou de technologie et
d’inventivité, est totalement foutue. Des millions d’euros dépensés
pour rien...
Et ces "putains de sondeurs" qui refusent toujours de donner la moindre estimation...
Au ministère de l’Intérieur, jamais une telle situation n’a été vécue. François Baroin est en panique totale. Les comptages et recomptages de bulletins dans les bureaux de vote prendront encore des heures tant les scores sont serrés. Seules la cinquantaine de machines électroniques finalement utilisées en France ont rendu des résultats mais comment se baser sur un million et demi de votes répartis de manière totalement fumeuse ?
1 h 30 du matin.
C’est une soirée historique que vit le pays.
Pour la première fois, les Français qui travaillent le lendemain vont en majorité se coucher sans connaître le nom des deux candidats pour qui ils devront voter dans quinze jours.
2 h 30. Le désastre se confirme. Toujours rien de tangible.
2 h 39.
On apprend par Reuters que Nicolas Sarkozy pris de violentes migraines
est rentré chez lui se coucher. L’AFP qui avait l’information ne l’a
pas sortie...
À Montretout la tente mise en place dans le jardin de la propriété de Le Pen s’est totalement vidée. Le président du FN est au lit depuis une heure. Ses filles finissent les bouteilles qui traînent.
Rue de Solférino, les permanents et les
responsables du PS attendent un appel de Ségolène Royal repliée avec
ses conseillers dans son QG voisin du Boulevard Saint-Germain.
François Bayrou a décidé de partir se promener à pied dans Paris avec son ami Lapousterle. Il écarte violemment les caméramen qui veulent l’accompagner.
3 h 30. Toujours rien.
4 h2 0. Enfin une estimation plus fine.
Ou presque.
Ils ne sont plus que trois dans la marge d’erreur...
Les télévisions décident de prendre l’antenne à 5 heures.
4 h 43.
Cette fois c’est fait !
Deux candidats se dégagent de la nasse et c’est sur Internet que s’affiche d’abord le résultat !
De sites en sites et de blogs en blogs !
Les internautes restés connectés apprennent le résultat de l’élection un bon quart d’heure avant les flashs spéciaux des radios et la prise d’antenne des chaînes d’info.
23 avril 2007.
La télévision a perdu l’élection.
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