André Rossinot, le roi philosophe de Nancy
« La laïcité est d’abord un idéal avant d’être une norme juridique créatrice de droits et d’obligations. Le caractère laïque de la République ne sera définitivement acquis que si toutes les composantes de la société, et notamment les populations issues de l’immigration, voient dans ce principe une chance, une garantie de pouvoir exercer librement leur culte et, plus généralement, une valeur indissociable des notions de liberté et d’égalité. C’est donc essentiellement vers un effort d’explication, d‘information et d’éducation à la laïcité que doit s’orienter l’action publique. » (André Rossinot, le 20 septembre 2006).
Mercredi 22 mai 2019, André Rossinot a fêté son 80e anniversaire. Né à Briey, dans le nord de la Meurthe-et-Moselle, André Rossinot reste sans doute la personnalité politique la plus forte de ce département des quarante dernières années. Mon titre est un peu "exagéré" pour ce républicain enthousiaste, nourri au radicalisme lorrain. Nancy, la ville catholique par excellence, s’est associée pendant de longues années avec un maire radical. Il n’y a donc rien d’étrange à ce que ce fût André Rossinot qui présida une mission sur la laïcité en 2006 (voir plus loin). Je reprends ici seulement le titre, en le parodiant, de son livre sur le roi Stanislas, devenu duc de Lorraine, coécrit avec Emmanuel Haymann (éd. Michel Lafon, 1999).
Aujourd’hui quasiment à la retraite (pas tout à fait encore !), André Rossinot montre des allures de père Noël, mais sous cette apparence débonnaire, il y a un homme politique rigoureux, exigeant, qui a montré une vision pour la ville de Nancy et son agglomération. Grâce à lui, Nancy a rompu avec la morosité des années 1970 et avec l’instabilité des maires qui étaient évincés à la fin de leur premier ou au milieu de leur second mandat à cause de la réalisation des projets de leur prédécesseur (c’est en fait un peu plus compliqué que cela).
L’une des plus dramatiques "défaites" de Nancy a eu lieu à la fin des années 1960 lorsqu’il a été décidé de faire passer l’autoroute Paris-Strasbourg (A4) par Reims et Metz et pas par Nancy comme la logique géométrique aurait voulu : le maire de Reims et le maire de Metz étaient alors membres du gouvernement, tandis que le maire de Nancy manquait à son rayonnement national, même si à cette époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber a eu quelques velléités (ce dernier a quand même été élu député de Nancy contre un gaulliste sortant, ancien résistant, considéré comme indéboulonnable, et fut également président du conseil régional de Lorraine à l’époque d’avant la décentralisation). L’autre "défaite" de Nancy, ce fut le choix en 1969 de Metz comme chef-lieu de la région Lorraine (au lieu de Nancy), ce qui provoqua une grave crise au sein du conseil municipal de Nancy (avec dissolution par décret du 20 décembre 1969).
André Rossinot fut à l’origine un médecin ORL (oto-rhino-laryngologiste), élu conseiller municipal de Nancy depuis juillet 1969 (réélu au conseil municipal à toutes les élections jusqu’à maintenant). Dans la municipalité dirigée entre mars 1977 et mars 1983 par Claude Coulais, qui fut membre du gouvernement sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, André Rossinot fut élu deuxième adjoint au maire chargé des affaires sociales. L’année suivante, André Rossinot fut élu député de Nancy en mars 1978, parmi de nombreux nouveaux députés UDF. Il avait alors 38 ans et a battu le député sortant RI Pierre Weber, médecin lui aussi et ancien maire très contesté de Nancy. Il fut réélu député sans discontinuer jusqu’en juin 1997.
Ce fut par une petite révolution de palais qu’André Rossinot a conquis la mairie de Nancy le 12 mars 1983. Il a entamé alors une longue série de mandats de maire, puisqu’il est resté maire de Nancy pendant trente et un ans, jusqu’au 6 avril 2014. Nancy est sa passion et il s’y consacre pleinement. Son premier mandat fut très efficace en incitant les propriétaires à rénover les façades dans le centre historique de la ville, ce qui a complètement changé l’aspect de la ville.
André Rossinot s’est aussi beaucoup investi dans l’agglomération de Nancy, d’abord en alternant vice-présidence et présidence du district urbain de Nancy (il présida le district de mars 1989 à mars 1992), en alternance avec un autre élu de l’agglomération. Notamment Charles Choné qui présida ensuite la communauté urbaine du Grand Nancy. André Rossinot a repris la présidence de la communauté urbaine du Grand Nancy en mars 2001 et a été constamment réélu, jusqu’en mars 2020 en principe (la communauté urbaine du Grand Nancy, créée le 1er janvier 1996, est devenue la Métropole du Grand Nancy le 1er juillet 2016 par décret du 20 avril 2016, représentant un bassin de vie de 266 000 habitants). Dans l’agglomération, il a vécu deux générations de transports en commun. D’abord les trolleybus au début des années 1980 (dont il n’était pas le réalisateur), puis, plus tard, le (fameux) tramway avec et sans rail.
1983 fut une année capitale pour André Rossinot dans sa vie politique car, devenu l’influent député-maire de Nancy, il a pris la présidence nationale du Parti radical valoisien. À cause des statuts du plus vieux parti de France, il ne pouvait pas faire plus de deux mandats successifs, il a alterné avec d’autres responsables de ce parti. Ainsi, il a présidé le Parti radical du 26 novembre 1983 au 15 octobre 1988, puis du 20 novembre 1993 au 12 octobre 1997, enfin du 26 octobre 2003 au 12 novembre 2007, avec une coprésidence partagée avec Jean-Louis Borloo à partir de 2005, qu’il laissa seul président à partir de 2007 (jusqu’en 2014), en prenant le titre de président d’honneur du Parti radical (le Parti radical fut une composante de l’UDF de 1978 à 2002, puis de l’UMP de 2002 à 2011, puis de l’UDI de 2012 à 2017).
Par ailleurs, il fut élu vice-président du conseil régional de Lorraine en 1983 et réélu en 1986 jusqu’en 1988. Le 16 mars 1986, il y a eu deux élections, toutes les deux à la proportionnelle intégrale dans le cadre départemental. Des élections législatives où André Rossinot fut le deuxième de la liste UDF menée en Meurthe-et-Moselle par l’ancien ministre, le général Marcel Bigeard (député sortant de Toul), suivi en troisième position de l’ancien Ministre de l’Éducation nationale René Haby (qui était le député sortant de Lunéville), et des élections régionales où André Rossinot fut la tête de la liste UDF.
Devenu chef de l’un des partis de l’alliance UDF-RPR, André Rossinot fut incontournable lors de la formation des deux premiers gouvernements de cohabitation. Ainsi il fut nommé Ministre des Relations avec le Parlement du 20 mars 1986 au 10 mai 1988 dans le second gouvernement de Jacques Chirac, puis Ministre de la Fonction publique du 30 mars 1993 au 11 mai 1995 dans le gouvernement d’Édouard Balladur où il fut proche d'une collègue, Simone Veil, dont le nom fut donné à la grande place devant la gare de Nancy.
Lors de la dissolution de l’Assemblée Nationale, aux élections législatives de juin 1997, à la surprise générale, André Rossinot fut battu de justesse dans sa circonscription de Nancy par un candidat socialiste inconnu. Il n’est pas un coureur de mandats. Il aurait pu en effet chercher un moyen d’avoir un autre mandat parlementaire, par exemple, en se présentant aux élections européennes de juin 1999 ou aux élections sénatoriales de septembre 2001, ou encore tenter de conquérir le conseil régional de Lorraine en mars 1998, mais il a préféré se replier exclusivement sur Nancy et son agglomération, à tel point qu’il a préféré ne pas se représenter aux élections législatives de juin 2002 (alors qu’il aurait été probablement réélu), préparant ainsi sa succession avec son adjoint Laurent Hénart qui fut élu député de juin 2002 à juin 2012 (battu en 2012), membre du troisième gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (mars 2004 à mai 2005), et élu (sur son nom) maire de Nancy en mars 2014 (également élu président du Parti radical à partir de 2014).
Parmi les très nombreuses autres responsabilités qu’il a eues dans sa carrière politique, on peut citer également président de la Fédération nationale des agences d’urbanisme de 1995 à 2010 (président d’honneur à partir de 2014), président du Centre national de la fonction publique territoriale, secrétaire général de l’Association des maires de grandes villes de France de 2001à 2014 et président du Pôle métropolitain européen du Sillon lorrain en 2012 (regroupement des agglomérations de Thionville, Metz, Nancy et Épinal). Membre d’honneur de la prestigieuse Académie Stanislas, André Rossinot a été également élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur par François Hollande (décret du 14 juillet 2015).
Dans ses prises de position aux élections présidentielles, André Rossinot a soutenu Valéry Giscard d’Estaing en 1981, Raymond Barre en 1988, Édouard Balladur en 1995, Jacques Chirac en 2002, Nicolas Sarkozy en 2007 et 2012 et Emmanuel Macron en 2017 (officiellement le 4 avril 2018, il a annoncé son soutien au Président de la République).
Lorsqu’il était Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy a demandé à André Rossinot de présider un groupe de travail sur la laïcité dans les services publics après la loi du 15 mars 2004 consécutive aux conclusion de la Commission présidée par Bernard Stasi. Ce groupe de travail était composé notamment de Jean-Paul Alduy (sénateur-maire de Perpignan), Pierre Carlo (député-maire de Chanteloup-les-Vignes, "tombeur" de Michel Rocard en mars 1993), Didier Maus (constitutionnaliste) et de Laurent Wauquiez (député de Haute-Loire, ancien rapporteur de la Commission Stasi). Les auditions et réflexions de ce groupe de travail a fait l’objet d’un rapport qui a été rendu au ministre le 20 septembre 2006.
Le rapport expliquait entre autres que l’école devait enseigner le fait religieux : « La relégation de la connaissance de la laïcité et du fait religieux hors des enceintes scolaires et universitaires avalise le refus de tout esprit critique à l’égard du discours religieux, et par là, les extrémismes. Face à ce risque, l’école républicaine ne peut rester inactive. Il lui appartient, sans s’immiscer dans l’interprétation du sacré, de développer une approche raisonnée et objective de la laïcité et des religions comme faits de civilisation. ».
Revenons à Nancy. Mars 2020 devrait sonner l’heure du retrait complet des responsabilités politiques pour André Rossinot. Le 23 mars 2014, lorsque Laurent Hénart s’est présenté aux élections municipales de Nancy, il expliquait pourquoi André Rossinot était présent sur sa liste : « André Rossinot a redressé Nancy. La ville gagne des habitants et a retrouvé sa fierté. Ce bon bilan est incontesté. Son expérience apportera de la sérénité face aux crises et aux mutations actuelles. ». André Rossinot aura réussi à faire revivre une ville rayonnante de sa culture, de ses universités, de son art, de son industrie, qui s’était un peu "assoupie" dans les années 1970 après la crise sidérurgique et son isolement des infrastructures de l’Est de la France (absence d’autoroute, absence de ligne TGV, absence d’aéroport régional, etc.).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 mai 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
André Rossinot.
Les Radicaux en marche vers l’Europe.
Discours de Laurent Hénart le 9 mars 2019 à Paris (texte intégral).
Laurent Hénart en 2019.
Le Manifeste européen du Mouvement radical adopté le 6 février 2019 (à télécharger).
L’unité des radicaux.
La famille centriste.
La défense de la laïcité.
Laurent Hénart en 2014.
Jean-Louis Borloo.
Programme de Sylvia Pinel.
Jean-Michel Baylet.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Françoise Giroud.
Robert Fabre.
Jean Moulin.
Maurice Faure.
Edgar Faure.
Édouard Herriot.
Pierre Mendès France.
Georges Clemenceau.
Jean Zay.
Jules Jeanneney.
René Cassin.
Joseph Caillaux.
Jean-François Hory.
Évelyne Baylet.
Yves Jégo.
Rama Yade.
Christiane Taubira.
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