Aubry, pour finir
Ségolène recalée, Martine récolée : le PS a tranché, plaçant la fille de Jacques Delors aux commandes de la barque ivre à la rose au poing. La gagnante, grand seigneur, a invité son adversaire dégoûtée à la rejoindre. En vain, pour l’instant.
Au bout du bout d’un suspense grotesque, le Parti Socialiste a fini par choisir une nouvelle cheftaine, en la personne de Martine Aubry, gauche conservatrice, il y a quelques semaines de cela pas du tout candidate au titre. Qu’à cela ne tienne, après une série de votes tortueux, compliqués et finalement houleux, c’est bien elle, et pas Bertrand Delanoë, un temps pressenti, qui se retrouve à la barre. Hier, après l’avis de la commission de récolement, François Hollande a entériné la victoire de l’archaïsme contre la rénovation. Un peu plus de 100 voix d’écart, au final, entre Aubry et Royal. Manuel Valls a beau promettre des lendemains de tribunal, rien n’y fera, la fête est finie pour les amis de Ségolène, qui ont eu certainement tort de vouloir jouer avec d’anciennes règles qu’ils ne maîtrisaient qu’imparfaitement.
Aubry a gagné, les éléphants n’ont pas perdu. Ils sont enfin parvenus à leur fin ultime : se débarrasser de Ségolène Royal, sinon physiquement, du moins de ce leadership qu’elle revendiquait jusque là et qui n’est plus qu’un mauvais souvenir pour les amis de Fabius, de Lang, d’Emmanuelli et autres vieux pétales de la rose, passés si près de l’extinction, qui aujourd’hui respirent. L’humiliation pour Royal ne fait que commencer, sans doute. Elle va devoir avaler bien d’autres chapeaux, dans les mois qui viennent, ravaler sa fierté, digérer ses rancoeurs, ne pas moufter sans doute dans un premier temps, et espérer que sa garde rapprochée reste unie et ne se disperse pas aux vents mauvais pour elle. Ségolène Royal a perdu, et pas que le poste anecdotique de Premier secrétaire, mais bien son meilleur tremplin pour la présidentielle de 2012. Désormais, pour s’imposer comme la candidate idéale à cette prochaine cruciale échéance, il lui faudra déployer des trésors de finesse, un sens politique hors pair, de la maîtrise et de l’habilité, tout le contraire de ce à quoi elle nous a habitué depuis deux ans.
Les premiers mots de Martine Aubry, très à l’aise dans le rôle de grande seigneure, carrément royale, ont été pour souligner qu’elle était la première femme élue à la tête d’un grand parti, tout comme Ségolène avait été la première femme candidate d’un grand parti à une élection présidentielle. Autrement dit, Ségolène n’a plus le monopole de la révolution, elle n’a plus le monopole de l’innovation, elle n’est qu’une femme parmi d’autre, qui a réussi, un jour, à s’imposer. Ce faux compliment d’Aubry avait bel et bien pour objectif d’écraser un peu plus son ex adversaire, de minimiser sa performance passée. Après quoi Martine, de plus en plus royale, demanda à sa rivale déçue de la rejoindre au sein du parti pour travailler. Ségolène pâle comme un jour de pluie, cernée de micros et de caméras, assise parmi la foule (et non plus dominant sur une estrade) répondit que pour elle la bataille continuait, sans préciser laquelle. On se demandait si elle était au bord de pleurer ou de hurler. Peut-être un peu des deux.
Aubry élue, c’est une certaine idée du PS qui l’emporte aussi : un PS ancien modèle, n’en déplaise à Benoît Hamon, un PS écrasé par le poids de certains éléphants qui vont se placer, un par un, tranquillement, en ordre de bataille pour 2012, trop heureux de se retrouver encore en course, quelque part. Un PS un peu raide sur les articulations, sans imagination, qui risque de manquer de souffle pour combattre l’UMP. Aubry tentera bien sûr de rajeunir l’attelage, pour la forme, mais on a encore du mal à l’imaginer en chef de troupe, on a plutôt l’impression qu’on va repartir vers une gestion pantouflarde, à la Hollande, sans ligne directrice claire, sans espoir de voir discuter les questions qui fâchent, comme l’ouverture au Centre ou comment faire en sorte de minimiser l’impact de la gauche de la gauche. Un des seuls atouts de Aubry, c’est la méfiance qu’elle inspire à Sarkozy. Le Duce de la droite, qui a regardé de haut les soubresauts d’une campagne dont il se moque comme de son dernier divorce, a toujours répété qu’il craignait davantage le gauchisme d’Aubry que les gesticulations de Royal. On doute pourtant que la mère des 35 heures puisse lui poser de gros problèmes d’ici 2012.
Martine, pourtant, on l’a entendu hier, a assuré que la droite devait profiter de ses derniers jours de rigolade parce que le PS n’allait pas tarder à revenir. Un souffle d’air glacial a dû peut-être passer sur l’échine des cadors de l’UMP, soudain transis de peur, mais on en doute quand même. Le très pénible accouchement de l’opposition, mélange d’Urgences et de H, n’aura vraisemblablement pas trop lézardé le mur de certitude qui protège le chef de l’Etat, le gouvernement et la droite dans son ensemble. Pire même : ni Kouchner, ni Besson, ni Strauss Kahn n’ont dû regretter leur choix de céder, à différents niveaux, aux appels du pied de l’actuel chef de l’Europe. Vu ce qu’est devenu leur ancien parti, ils sont bien mieux au chaud, au pouvoir, loin des gauches de la gauche. Pire, encore : on peut compter sur le grand Nicolas pour tout tenter pour ramener quelques socialistes frustrés (Dray, Peillon, Valls, Moscovici) vers son gouvernement d’ouverture, qu’il compte remanier, peut-être au début de l’année prochaine. Pire, enfin, pour les bobos de Solferino : d’ici que Martine ait finit de dissoudre Ségolène dans son PS, Sarkozy sera réélu. Sans opposition.
Seule consolation pour les roses effeuillées : avoir transformé une élection mineure en évènement national, qui aura intrigué quelques jours durant bien plus de monde que la gauche n’en rassemblera jamais. Comme si le PS comptait encore.
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