Azouz Begag, l’homme qui n’aimait pas les maroquins
A l’occasion de la sortie en poche d’Un mouton dans la baignoire, revenons un peu sur les mots de l’ancien ministre délégué à la promotion de l’Egalité des chances. Dans cet ouvrage sous-titré, dans les coulisses du pouvoir, Azouz Begag nous présente ses origines, ses amis et ses ennemis en politique ; politique dont il ne cesse de montrer qu’il en est étranger. Pour essayer de comprendre ce que peut nous apporter ce livre nous allons nous intéresser à ses différents points, en nous arrêtons sur les mots qu’il utilise pour parler de ses origines, de sa fonction et enfin de ses ennemis politiques dont l’actuel président est la figure de prou.
Azouz Begag, est le premier Français issu de l’immigration maghrébine à devenir ministre. On sent dans ce
livre que c’est sa fierté, bien qu’il refuse d’imaginer que ce soit la raison
pour laquelle il soit entré au gouvernement. Il est conscient que le fait qu’il
soit le premier fait de lui un exemple à suivre. Il a ainsi le sentiment qu’il
« débarque dans l’histoire de
France ». Cette expression reviendra régulièrement dans ce livre
notamment pour affirmer que « ce qu’
[il] vivait ressemblait à un remboursement de l’Histoire. Madame
Dans Un mouton dans la baignoire, Azouz
Begag, se présente comme un nouveau en politique, il ne fait en aucun cas état
de ses tentatives passées, comme si elles n’avaient jamais eu lieu. Il a pourtant
été candidat aux législatives de 1997 sous l’étiquette
« divers gauche » puisque le RPR avait refusé sa candidature ;
il n’a pu se présenter aux européennes à cause d’un jugement le rendant
inéligible (pour ne pas avoir publié ses comptes de campagne), il a eu
l’intention de se présenter aux municipales de 2001... bref il n’est pas aussi « bleu » qu’il le dit. De
nombreuses expressions témoignent pourtant de son inexpérience. Pour lui, il aurait
l’air « d’un bleu dans la cour de récréation
le jour de la rentrée de classe », d’un « étranger comme le nouveau dans la classe », il affirme
même qu’il est « nul dans ce métier »
que sa « place n’est pas là »,
qu’il s’est « gouré de destin, [il
a] pris celui d’un autre ». En fait, il va se présenter comme « le jeune inconnu de la société
civile ». Bien qu’il ne le cite pas, on comprend que son bagage de
sociologue pèse dans ses mots, il nous parle en fait de la théorie des champs
de Bourdieu. Le champ politique s’étant autonomisé, il a édité ses propres
règles de fonctionnement, ses propres règles du jeu. Azouz Begag se retrouve en
fait dans un jeu dont on ne lui a jamais expliqué les règles. Pour appuyer
cette idée, je me base sur toute une série de mots qu’il utilise pour montrer
que le champ politique est un champ fermé, à part. Un « cénacle »
comme disait Janine Mossuz-Lavau. Pour lui, c’est un « nouveau monde » où « tout
est codé, formalisé, préparé, décidé », tant est si bien qu’« [il ne sait] pas se comporter comme un
ministre ». Il montre cette fermeture par le terme « cage » qu’il emploie plus de
vingt fois dans ce livre. Cette « cage »,
c’est le monde politique, son personnel étant les « gnous », « les
lions et les loups ». Il va
nous montrer comment il va s’adapter à la vie dans cette « cage aux ennuis ». Au départ il s’y sent totalement
étranger, puis petit à petit il va s’y intégrer, même s’il sort « gentiment dégoûté de cette vie dans
cette cage ». Pour montrer son adaptation Azouz Begag en bon écrivain
écule une synecdoque tout au long de son ouvrage. Il va se représenter par ses
chaussures ou son costume-cravate. Les références y sont extrêmement nombreuses
et ce n’est pas rare qu’il parle de lui au travers de ces « chaussures à 300 euros » ou de ses « costumes bleus de ministre ». Ainsi quant il fait référence à sa vie en
dehors de la politique il dit qu’il enfile « ses
chaussures d’avant », quand il se sent mal à l’aise « ses cravates l’étouffent »,
puis petit à petit il s’intègre, il déclare : « je suis dedans, je me suis coulé dans le moule, ma cravate ne me
serre plus », l’apogée de son installation dans son rôle de ministre
de
On a vu tout à l’heure qu’Azouz Begag réfute l’idée qu’il soit entré au gouvernement pour incarner la diversité, en tant qu’« arabe qui cache la forêt ». Avant de voir comment il qualifie ses ennemis, regardons un peu les noms qu’il se donne dans ce livre, noms qui semblent être les cicatrices des attaques qu’il a pu recevoir. Tout au long de ce livre, l’ancien ministre nous explique comme il a souffert de son déficit de médiatisation, et particulièrement du fait que personne ne savait vraiment quel était le nom de son ministère. Pour les personnes qu’il croise il est « le ministre de l’Intégration, le ministre des Arabes, le ministre arabe de l’Intégration, le ministre de l’Intégration des Arabes... ». Il est le « beur de Villepin » (2) donc il doit sûrement s’occuper des beurs. L’un des termes le plus souvent utilisé c’est celui de « bicot » (9), il est le « bicot de service » ou « l’Arabe de service » (6). C’est « la caution du gouvernement », « le beuralibi », c’est un « sous-ministre ». Il en conclut que « la colonisation a laissé des sérieuses séquelles dans les esprits » et que cette aversion pour celui qui est « un ministre français, mais [qui a] une tête étrange » a contribué à faire de lui un « ministre invisible » ce qui est « le comble pour un ministre issu d’une minorité visible ». Mais « l’ancien refoulé de discothèque lyonnaise » va se défendre.
Dans
ce livre, ses coups s’orientent essentiellement vers notre actuel président de
Dans le sillage de Sarkozy, Begag voit un Jean-Louis Borloo qui s’imagine devenir Premier ministre une fois le président de l’UMP élu, en lisant ce livre, vous verrez les sentiments qu’il lui porte en corollaire.
Avant
de conclure, notons ces quelques mots qu’il adresse au PS. Pour lui, « les militants socialistes s’en
foutent des minorités en politique » ce qui se voit aussi à
l’Assemblée où il n’y a « pas un Arabe pas un Noir dans les rangs des députés socialistes ». Il essaie de montrer qu’il faut sortir du
clivage droite-gauche, avec d’un côté le social et de l’autre les méchants
libéraux : « Qui croit encore
qu’il y a les « genbiens » d’un côté et les méchants de
l’autre ? ». Selon lui, le « problème
des socialistes c’est qu’au lieu de s’autoflageller pour leur trahison des
banlieues, ils [lui] demandent pourquoi [il a] accepté d’être
ministre ! ». Il qualifie Jospin de « l’homme du j’ai décidé de me retirer de la politique » et
garde quelques coups pour SOS racisme qui « fait
bien son travail idéologique » et dont « la médiatisation est une industrie qui tourne à plein
régime ».
En conclusion, ce livre permet d’une certaine façon de revivre les derniers mois du gouvernement Villepin, ceux des émeutes en banlieues, du CPE et de Clearstream dans un style assez agréable à lire bien que parfois décrédibilisé par des expressions trop littéraires comme lorsqu’il décrit sa nomination : « Brusquement, sous la pression du destin, une porte s’est ouverte, un courant d’air a tout aspiré dans une sorte de dépressurisation de ma cabine, j’ai été transporté dans un accélérateur temporel, sans masque à oxygène » ou quand il parle de l’automne : « Les feuilles mortes jonchent les rues de la ville comme des cadavres de l’été. Sur les quais du Rhône, les péniches attendent leur heure. ». C’est aussi un livre qui nous livre de précieux scoops comme le fait qu’Azouz Begag ait pris trois kilos en mangeant du chocolat, qu’il fasse ses courses au Casino en portant lui-même ses sacs ou qu’il regarde un tableau mural à chaque séance de conseil des ministres... bref, un incontournable !
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