BHL, envoyé spécial du W. Bush Post
On n’avait pas encore tout lu !
Envoyé spécial autoinstitué sur le terrain, BHL, partout chez lui dans les médias si possible dominants, nous dit dans Le Monde du 19 août tout le bien qu’il pense de la vaillante Géorgie tellement magnifiquement libérale-démocrate et toute son exécration du Russe, éternel abject communiste travesti en social-démocrate bidon..
On passera sur un ton vieillot qui espère ressusciter Lucien Bodard en le pastichant pour se délecter de cela :
« L’un d’entre eux (un réfugié), un paysan blessé au front, encore hébété de terreur, me raconte l’histoire de ce village, en Ossétie, d’où il a fui à pied voici trois jours. Les Russes sont arrivés. Les bandes ossètes et cosaques ont, dans leur sillage, pillé, violé, assassiné. »
Vous êtes priés de croire Bernard-Henri sur parole, enfin sur celle du traducteur, à moins que notre philosophe combattant ne parle couramment, talent parmi tant d’autres, le géorgien et le russe, même si cette prose furieusement propagandiste, raciste et farcie de clichés (« Vous êtes en territoire russe, aboie un officier bouffi d’importance et de vodka. ») vous rappelle étrangement celle de ses prédécesseurs en information "orientée" qui, en 1914, décrivaient avec force détails "le Boche mangeur d’enfants".
A lire Mikhaïl Gorbatchev, dans Le Monde d’aujourd’hui, il semblerait plutôt que ce soit le soudard géorgien qui ait massacré du civil ossète, ou du terroriste, selon la focale qu’on adopte. Certes, « Gorby » n’est pas plus crédible que BHL, mais pas moins. Que cette contradiction ne préoccupe pas un employé du W.Bush Post, on le comprend, mais un philosophe comme tous ses pairs naturellement obsédé par la recherche de la vérité ?
Ensuite, notre Pulitzer chez les néo-Soviets n’hésite pas user, en toute impartialité, de la prosopopée pour faire parler un « Micha » (un ami, un frère, un vieux pote) Saakachvili qu’il n’a pas encore rencontré : « Vous vous prétendez nos amis ? Vous nous avez cent fois dit qu’avec nos institutions démocratiques, notre désir d’Europe, notre gouvernement où – fait unique dans les annales – siègent un premier ministre anglo-géorgien, des ministres américano-géorgiens, un ministre de la défense israélo-géorgien, était le premier de la classe occidentale ? Eh bien, c’est le moment ou jamais de le prouver ».
Ah bon ? la Géorgie, « premier de la classe occidentale » ? on croyait jusqu’ici que c’était les inventeurs du concept, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. Va pour la Géorgie, dont on découvre au passage qu’elle se trouve davantage en Occident que la Turquie. Devinez pourquoi ?
La suite se passerait presque de commentaire puisque BHL, emporté par la fougue de sa passion intègre, donne naïvement raison à Poutine lorsque celui-ci prétend que la Géorgie est dirigée par l’étranger. Et pas exactement n’importe lequel.
Tiens, laissons causer le général Vyachislav Borisov (ou du moins ce que BHL lui fait dire) : « Il me montre, sur son téléphone portable, des photos d’armes dont il souligne lourdement (vous cherchiez une preuve de l’antisémitisme ontologique du Russe ? la voilà) l’origine israélienne ». Quant à Saakachvili « il lui a été dit que, s’il continuait à fournir les Géorgiens, nous continuerions, nous, de livrer le Hezbollah et le Hamas. »
« Nous continuerions… Quel aveu ! » ajoute Bernard-Henri, tout content de soi, estimant évidemment parfaitement normal que les armes israéliennes abondent en Géorgie (c’est le commerce libéral, bon sang !) et, prenant les propos du gradé pour paroles sacrées, scandaleux que les pires des Palestiniens utilisent des armes russes (à ce qu’on en sait, c’est aussi le cas du Fatah, mais Rouletabille a ses têtes, qui joue Abbas contre Haniyeh).
Quel aveu en effet : (à propos du gouvernement Saakachvili) « Tous ces ministres et conseillers sont des boursiers de fondations type Soros dont la "révolution des roses" a interrompu les études à Yale, Princeton, Chicago. Il est francophile et francophone. Féru de philosophie (tendance Barnum, comme notre intrépide journaliste ?). Démocrate. Européen. Libéral au double sens, américain et européen. »
Si tout cela n’en fait pas, de cette équipe, un produit occidental bon teint (des Anglo-Américains avec des passeports Géorgiens, quoi) à la solde d’intérêts pas franchement prorusses, voire carrément hostiles à ceux-ci, on veut bien retourner à l’école, mais pas avec Bernard-Henri pour professeur.
Mais écoutons le président Saakachvili : "Primo, nous sommes une démocratie et nous incarnons donc, quant à la sortie du communisme, une alternative au poutinisme. Secundo, nous sommes le pays où passe le BTC, ce pipe-line qui relie Bakou à Ceyhan via Tbilissi ; en sorte que, si nous tombons, si Moscou met à ma place un employé de Gazprom, vous serez, vous, les Européens, dépendants à 100% des Russes pour votre approvisionnement en énergie. Et puis, tertio, regardez la carte. La Russie est l’alliée de l’Iran. Nos voisins arméniens ne sont pas loin non plus des Iraniens. Imaginez que s’installe à Tbilissi un régime prorusse. Vous auriez un continuum géostratégique qui irait de Moscou à Téhéran et dont je doute qu’il fasse les affaires du monde libre. J’espère que l’OTAN comprend cela…"
Primo, la Géorgie est de ces démocraties qui envoient des chars contre les occupants d’une région séparatiste (les régions, selon Tintin Lévy, n’ont le droit, et même le devoir, d’être séparatistes que si elles sont antirusses, autrement dit, comme le rappelle pour la nième fois notre penseur, Poutine est un monstre de vouloir "buter jusque dans les chiottes" les civils de Tchétchénie, mais Saakachvili a raison d’être prêt à "buter jusque dans les chiottes" les civils Ossètes).
On notera que pour la bonne cause manichéenne, les « terroristes » des uns deviennent les « civils » des autres.
Secundo, on comprend que les Européens ont intérêt à dépendre de Tbilissi plutôt que de Moscou pour leur approvisionnement en pétrole, argument dont il ne semble même pas besoin de démontrer la pertinence tant on sait qu’en affaires les Occidentaux et leurs alliés sont des agneaux fort doux entre eux, au moins tant que le pouvoir politique se trouve aux ordres de leur conception particulière de l’économie (à titre d’exemple canonique, nul n’ignore que les Américains ont besoin de plus du tiers de toute l’énergie fossile du globe pour maintenir un mode de vie incroyablement dispendieux que personne n’a le droit de remettre en question).
Néanmoins, l’esprit tatillon aura du mal à comprendre ce qui fait que dans une région située dans leur orbite géographique, les appétits russes soient moins légitimes que ceux des Occidentaux.
Tertio, encore plus grave, un régime prorusse en Géorgie installerait un « continuum géostratégique qui irait de Moscou à Téhéran ». Diable ! et nous qui pensions que la Russie, ce fourbe soutien du terrorisme islamiste qui ne dit pas son nom, qu’on découvre alliée indéfectible des mollahs, n’avait pas besoin de la Géorgie pour être frontalière de l’Iran via la mer Caspienne !
Rassurons-nous, le sort du président américano-anglo-israélo-géorgien n’est pas encore scellé, puisque le candidat McCain, "proche de Madame Rice"(huit ans de bushisme, une référence), lui téléphone trois fois par jour. Ouf ! du moment qu’il ne s’agit pas de ce traître d’Obama !
Mais non, mauvais esprit ! Barack lui aussi s’exprime par personne interposée : « C’est l’Américain Richard Holbrooke, diplomate de fort calibre (le contraire de Kouchner ?) et proche de Barack Obama, qui, retrouvé, à la fin de la nuit, au bar de notre hôtel commun, aura le dernier mot : "Il flotte, dans cette affaire, un mauvais parfum d’apaisement et de munichisme." (on lui abandonne volontiers la paternité de ce néologisme ridicule).
Ah ! le lâche apaisement femelle préféré à la force virile ! Ah ! l’esprit capitulard de Munich !
Qu’est-ce qu’on nous l’aura servi à toutes les sauces, Munich 1938, comme si la fermeté franco-britannique envers Hitler eût pu déclencher autre chose qu’un conflit immédiat ou, pire, le différer de quelques années de sorte que la puissance techno-guerrière nazie aurait eu le temps d’assurer sa suprématie, voire de développer l’arme atomique avant les Etats-Unis. C’est traiter avec légèreté de la volonté de revanche et de conquête qui animait alors le peuple allemand fanatisé par la propagande de Goebbels que de penser que la détermination des nations de l’Ouest l’aurait fait durablement reculer dans ses entreprises d’annexions. La seule solution eût été de porter la guerre chez lui. Avec nos chars Renault modèle 1917 et nos troufions à bandes molletières ? Y a-t-il quelqu’un d’assez naïf pour supposer que le régime hitlérien ne se serait pas défendu avec un acharnement tel qu’il aurait rapidement déplacé chez ses adversaires le théâtre des opérations militaires ?
Et notre impartial reporter - accoudé au bar de l’hôtel international, il se la joue Bogart dans Casablanca - de prédire pour demain l’apocalypse de la liberté si « nous » sommes incapables de dire « stop à Poutine ».
Ca se dit comment en russe, Bernard-Henri, « stop à Poutine », sachant que les Américano-Occidentaux ne sont pas même fichus de « pacifier » l’Irak et l’Afghanistan ? rétorsion économique quand nous avons tant besoin des matières premières et de la consommation de ce partenaire industriel et commercial ou bombes nucléaires sur la gueule ?
MD
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