Changer la république sans changer de République
Le débat sur les réformes institutionnelles ne doit pas se limiter à l’organisation des pouvoirs au sommet de l’Etat. Il doit intéresser le citoyen, porter sur des sujets concrets, comme la modernisation des pouvoirs publics.
Les fins de double mandat présidentiel sont coutumières de remises en cause des institutions. Le terme des " années Chirac " n’échappe pas aux débats qui avaient lieu à la fin des " années Mitterrand " comme à la fin du gaullisme présidentiel.
L’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif domine ce débat.
L’un des fondements du régime actuel est que le premier ministre protège le président. Il joue même le rôle de " fusible " en cas de crise de confiance ou de défaite électorale de la majorité présidentielle (1). Ou, au contraire, se maintient malgré la crise : on se souvient de la ténacité d’Alain Juppé fin 1995 de celle de... Dominique de Villepin. Mais une étrangeté, non prévue par les constituants en 1958, bouscule ce dispositif. Depuis vingt ans, les premiers ministres ont été plusieurs fois contre le président, de 1986 à 1988, de 1993 à 1995 et de 1997 à 2002, soit une durée neuf ans ! La dernière période dite de " cohabitation " a même vu un premier ministre renforcé par la stabilité de ses gouvernements et le raccourcissement du mandat du président (2). La mise en place du quinquennat empêche théoriquement toute nouvelle cohabitation, mais elle rapproche les deux têtes de l’exécutif.
Faut-il alors les fusionner, autrement dit, évoluer vers un régime présidentiel ? " Les adversaires d’un tel régime, qui supprimerait le premier ministre et mettrait directement face à face le président de la République et le Parlement, font notamment valoir qu’il est inadapté à la France, voire dangereux ", relève Jean-Louis Andreani dans un article paru durant la crise du contrat première embauche (CPE) (3), citant un exemple : " Que se serait-il passé si le CPE avait été présenté, dans les mêmes conditions, non par le premier ministre mais par le président lui-même ? La France aurait sans doute alors été plongée dans une vraie crise de régime. " On peut ainsi penser que le régime présidentiel n’est pas compatible dans un pays où le débat social se transforme régulièrement en crise publique : 1995, 2003 et 2006 pour ne citer que les plus importantes. La distance que prend le président de la République garantit la stabilité du régime.
Le deuxième volet du débat sur la réforme est plus consensuel. C’est celui de la revalorisation du rôle du Parlement. En 1958, la nouvelle constitution met en place un régime en rupture avec les instabilités gouvernementales des IIIe et IVe républiques. Elle renforce l’exécutif pour restaurer une autorité d’un Etat impuissant face aux crises de 1940 et de 1958. Aujourd’hui, la droite et la gauche s’accordent sur un rééquilibrage car le Parlement est souvent contourné par les gouvernements. Celui-ci maîtrise l’ordre du jour parlementaire dont l’assemblée devient caricaturalement une " chambre d’enregistrement ". Le paroxysme a été atteint lors de la crise du CPE : " Que pèse un Parlement qui, privé de parole lors de l’élaboration de la loi, est ensuite prié de bien vouloir la corriger par le biais d’un amendement dont les termes sont en réalité dictés par le gouvernement ? Que les élus soient considérés en France comme quantité négligeable, ce n’est pas nouveau. Mais leur faire boire le calice jusqu’à la lie pour sauver la mise d’un premier ministre en mauvaise posture, c’était ajouter du désordre au désordre ", écrit Françoise Fressoz, éditorialiste aux Echos (4). A l’inverse, le pouvoir du Sénat américain est impressionnant : le législateur demande, par exemple, des comptes au président sur sa politique étrangère ; les critiques sur la guerre en Irak en témoignent. Le Parlement américain est même capable de destituer l’hôte de la Maison Blanche (Nixon, 1972). Mais la comparaison a ses limites. Aux Etats-Unis, le régime présidentiel supprime le poste de premier ministre et instaure un face-à-face exécutif/législatif.
Les partisans du régime parlementaire rêvent d’un président effacé. Ce qui est le cas en Allemagne et en Italie ; dans les monarchies britannique, belge et espagnole, le souverain joue ce rôle de " président effacé ". Là encore, la transposition en France est difficile, car le président est légitimé par son élection au suffrage universel direct depuis 1965. En démocratie, il est dangereux de revenir sur ce type d’acquis.
Tous les étudiants en droit public apprennent que la Ve République se veut donc ni parlementaire, ni présidentielle. Qu’elle est un régime parlementaire (liens Parlement-exécutif) présidentialisé (un chef de l’Etat clé de voûte du pouvoir) : " une ambiguïté, pour citer le constitutionnaliste Guy Carcassonne, qui en fait la souplesse " (5). Les institutions ont été fragilisées par les cohabitations, la crise de la représentation et l’instauration du quinquennat, mais elles tiennent bon.
Le débat institutionnel doit donc s’élargir. Il ne peut se limiter à l’organisation des pouvoirs au sommet de l’Etat. Il doit intéresser le citoyen : le taux d’abstention au référendum sur le quinquennat (près de 70%) montre que l’opinion est peu concernée par les ajustements constitutionnels.
Le débat sur la Ve République doit porter sur la modernisation des pouvoirs publics, par exemple : le rôle de la justice, le fonctionnement du pouvoir judiciaire, les moyens qui lui sont attribués ; l’organisation des pouvoirs locaux, dont les prérogatives et les responsabilités ne cessent de s’accroître ; l’équilibre du contrat et de la loi, l’articulation Etat/corps intermédiaires, les organisation syndicales, les méthodes de gouvernance et de réformes ; la modernisation de l’Etat, le rôle des régulateurs, la mutation des services publics, etc. Par ailleurs, les citoyens attendent une meilleure ventilation du personnel politique. Le partage du pouvoir et la limitation des mandats en sont des outils. Enfin, des élections récentes à l’étranger montrent des difficultés à établir des majorités claires : ce qui s’est passé aux Etats-Unis en 2004, en Allemagne en 2005, en Italie cette année est un problème qui ne peut pas échapper au débat institutionnel français (6). La prochaine élection présidentielle peut-elle être une crise comme la précédente ? Il y a tant à faire pour changer la république sans pour autant changer de République.
(1) Ce fut le cas par exemple de Jean-Pierre Raffarin en 2005 (au lendemain du non au traité constitutionnel européen), d’Edith Cresson en 1992 (défaite aux régionales) ou de Pierre Mauroy en 1984 (après la crise scolaire).
(2) L’instauration du quinquennat, une réforme voulue par Jacques Chirac et Lionel Jospin en 2000
(3) Le CPE et la crise des institutions, Jean-Louis Andreani, Le Monde, 13 avril 2006
(4) De la crise du CPE au malaise institutionnel, Françoise Fressoz, Les Echos, 13 avril 2006
(5) Professeur à l’Université de Paris-X et à l’Institut d’études politiques de Paris
(6) On parle de suffrage " too close to call " (trop serré pour désigner un vainqueur), analysé comme une conséquence de " comportements contrariants ". Voir l’article de Serge Galam se faisant l’écho de recherches américaines, Pourquoi des élections si serrées ?, Le Monde, 19 septembre 2006
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