Chômage : Les statistiques cachées de Eurostat
Eurostat est une direction générale de la Commission européenne chargée de l'information statistique à l'échelle de l'UE.
Elle a pour rôle de produire les statistiques officielles de l'Union européenne, principalement en collectant, harmonisant et agrégeant les données publiées par les instituts nationaux de statistiques des pays membres de l'UE. L'une de ses activités les plus notables est de produire des communiqués publics.
LA NEUTRALITÉ APPARENTE DES COMMUNIQUÉS D'EUROSTAT
Cette direction de la Commission vient de publier, le 8 janvier 2013, son communiqué de presse mensuel sur la situation du chômage, pour le mois de novembre 2012 cette fois-ci (il y a donc un décalage d'un peu plus d'un mois).
Source : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/3-08012013-BP/FR/3-08012013-BP-FR.PDF
Sous le titre "Novembre 2012 - Le taux de chômage à 11,8% dans la zone euro - À 10,7% dans l'UE27", ce communiqué de 4 pages, dont 1 page de texte et 3 pages de notes - adopte comme à l'accoutumée un ton qui se veut neutre comme celui d'une analyse médicale. Il ne présente que des données chiffrées, quasiment sans aucun commentaire.
On y apprend ainsi que les taux de chômage "les plus élevés' "ont été enregistrés en Espagne (26,6%) et en Grèce (26,0% en septembre 2012)".
Dont acte.
Mais le communiqué d'Eurostat se garde bien de préciser que ces taux constituent de nouveaux records historiques pour les deux pays, sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
LE PETIT STRATAGÈME DES COMMUNIQUÉS D'EUROSTAT POUR CACHER L'ESSENTIEL
Cependant, l'essentiel est ailleurs.
Je m'explique.
Eurostat se présente sur son propre site Internet de la façon suivante :
« [ Eurostat ] est chargé de fournir à l’Union européenne des statistiques au niveau européen permettant des comparaisons entre les pays et les régions.
Il s’agit d’un rôle clé. Les démocraties ne sont pas en mesure de fonctionner correctement si elles ne peuvent pas s’appuyer sur des statistiques fiables et objectives. D’une part, celles-ci sont nécessaires aux responsables au niveau communautaire, national, local et aux chefs d’entreprises pour prendre leurs décisions. D’autre part, elles permettent à l’opinion publique et aux médias de se faire une idée précise de la société contemporaine et d’évaluer les résultats notamment de l’action politique.
Bien sûr, les statistiques nationales demeurent importantes au niveau des États membres. Les statistiques de l’UE, quant à elles, sont indispensables pour toute décision et évaluation au niveau européen.
Les statistiques apportent des réponses à de nombreuses questions. La société évolue-t-elle conformément aux promesses des hommes politiques ? Le chômage augmente-t-il ou diminue-t-il ? »
Source : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/about_eurostat/introduction
Puisqu'il annonce des objectifs aussi louables, Eurostat devrait se fixer, comme première priorité, la présentation de statistiques permettant une comparaison immédiate entre la situation économique et sociale entre les États de l'UE ayant adopté l'euro et ceux qui ont conservé leur monnaie nationale. À commencer par la comparaison des taux de chômage entre les deux zones.
Compte tenu de la situation et des polémiques qui font rage sur les bienfaits et les méfaits de la monnaie commune européenne, ce serait en effet la moindre des choses que de publier conjointement les résultats agrégés de la zone euro et de la zone hors euro. Pour reprendre les termes mêmes de l'éthique dont se prévaut Eurostat sur son site, seule cette publication des deux résultats « permettrait des comparaisons » et « permettrait à l’opinion publique et aux médias » de « mesurer si la société évolue conformément aux promesses des hommes politiques ».
Eh bien non.
Depuis des années - en fait depuis la création de l'euro - Eurostat prend un malin plaisir à présenter deux agrégats, et deux seulement :
- 1) D'une part l'ensemble de l'Union européenne regroupant 27 États, qu'Eurostat désigne par l'acronyme "UE27". Cet agrégat comprend donc la Belgique (BE), la Bulgarie (BG), la République tchèque (CZ), le Danemark (DK), l’Allemagne (DE), l’Estonie (EE), l’Irlande (IE), la Grèce (EL), l’Espagne (ES), la France (FR), l’Italie (IT), Chypre (CY), la Lettonie (LV), la Lituanie (LT), le Luxembourg (LU), la Hongrie (HU), Malte (MT), les Pays-Bas (NL), l’Autriche (AT), la Pologne (PL), le Portugal (PT), la Roumanie (RO), la Slovénie (SI), la Slovaquie (SK), la Finlande (FI), la Suède (SE) et le Royaume-Uni (UK).
- 2) D'autre part la zone euro regroupant 17 États, qu'Eurostat désigne par l'acronyme "ZE17". Cet agrégat comprend la Belgique, l'Allemagne, l'Estonie, l'Irlande, la Grèce, l'Espagne, la France, l'Italie, Chypre, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, l'Autriche, le Portugal, la Slovénie, la Slovaquie et la Finlande.
Ce qui manque de façon flagrante dans cette présentation, c'est le troisième agrégat, constitué de la zone des 10 États membres de l'UE et non membres de l'euro.
Pour reprendre la méthodologie d'Eurostat, je la désigne quant à moi sous l'acronyme de "ZHE10", pour "Zone Hors Euro à 10 États".Cet agrégat "ZHE10" comprend donc la Bulgarie (BG), la République tchèque (CZ), le Danemark (DK), la Lettonie (LV), la Lituanie (LT), la Hongrie (HU), la Pologne (PL), la Roumanie (RO), la Suède (SE) et le Royaume-Uni (UK).
DÉCRYPTAGE DES STATISTIQUES MASQUÉES DANS LE COMMUNIQUÉ D'EUROSTAT
Revenons-en maintenant au Communiqué d'Eurostat du 8 janvier 2013, pour mettre à jour les statistiques masquées par une présentation délibérément opaque.
Ce communiqué écrit :
"Dans la zone euro (ZE17), le taux de chômage officiel corrigé des variations saisonnières s’est élevé à 11,8% en novembre 2012, en hausse par rapport au taux de 11,7% en octobre.
Dans l’Union européenne prise globalement (UE27), le taux de chômage s’est établi à 10,7% en novembre 2012, stable par rapport à octobre."
Mon commentaire
Le caractère vicieux de cette présentation fondée sur les seuls agrégats UE 27 et ZE17, c'est qu'elle donne à penser au lecteur pressé que c'est l'ensemble des États européens qui seraient victimes d'une hausse du chômage.
De façon délibérée, cette présentation occulte la comparaison des taux de chômage macro-économiques globaux entre l'ensemble des États ayant adopté l'euro d'un côté, et l'ensemble de ceux qui ont conservé leur monnaie nationale de l'autre côté.
Or, ce que cache ainsi Eurostat, c'est que si le taux de chômage de ZE17 a augmenté tandis que celui de l'UE27 est restée stable, cela signifie nécessairement que le taux de chômage a baissé dans la zone des 10 États de l'UE qui n'ont pas adopté (zone que je qualifie de ZHE10).
D'ailleurs, le communiqué Eurostat poursuit en indiquant que : « Comparé à novembre 2011, le chômage s'est accru de 2,012 millions dans l'UE27 et de 2,015 millions dans la zone euro. »
Mon commentaire
Cette information doit être réécrite de façon compréhensible pour le commun des mortels.
Elle signifie exactement que :
- LE NOMBRE DE CHÔMEURS A EXPLOSÉ de + 2 015 000 dans les 17 États de la zone euro (ZE17) : c'est exactement ce qui est écrit dans le communiqué Eurostat.
- - mais ce même NOMBRE DE CHÔMEURS A BAISSÉ de - 3 000 dans les 10 États de l'UE situés hors zone euro (ZHE10) : c'est précisément ce qui est caché dans le communiqué Eurostat.
Je concède volontiers qu'une baisse de - 3 000 chômeurs dans les 10 États de l'UE situés hors zone euro (ZHE10) est une baisse minime. Mais il s'agit néanmoins d'une baisse, ce qui n'est pas rien du point de vue symbolique.
Et cette baisse tranche de façon horriblement gênante, pour les fanatiques des dogmes européistes, avec la hausse catastrophique du chômage dans la zone euro.
Telle est, à n'en pas douter, la raison pour laquelle Eurostat - direction de la Commission européenne - ne publie pas les résultats de ZHE10.
Traitant du chômage spécifique des hommes, des femmes ou de jeunes, le communiqué Eurostat persiste dans la même présentation qui empêche au grand public de faire la seule comparaison vraiment utile pour juger de l'euro.
S'agissant du chômage des jeunes, par exemple, Eurostat indique : « En novembre 2012, 5,799 millions de jeunes de moins de 25 ans étaient au chômage dans l'UE27, dont 3,733 millions dans la zone euro. Par rapport à novembre 2011, le nombre de jeunes chômeurs a augmenté de 329 000 dans l'UE27 et de 420 000 dans la zone euro. »
Mon commentaire
Comme précédemment, cette information doit être réécrite de façon compréhensible pour le commun des mortels.
Elle signifie exactement que :
- - LE NOMBRE DE CHÔMEURS DE MOINS DE 25 ANS A AUGMENTÉ de + 420 000 dans la zone euro à 17 États (ZE17) : c'est exactement ce qui est écrit dans le communiqué Eurostat.
- - mais ce NOMBRE DE CHÔMEURS DE MOINS DE 25 ANS A BAISSÉ de - 91 000 dans la zone hors euro à 10 États (ZHE10) : c'est précisément ce qui est caché dans le communiqué Eurostat.
En somme, le chômage des jeunes de moins de 25 ans explose dans la zone euro et diminue sensiblement dans la zone hors euro et le communiqué d'Eurostat est rédigé de façon telle que le lecteur n'en prend pas conscience.
EUROSTAT TRAHIT SA MISSION MAIS NE PEUT PAS TOUT CACHER
Contrairement à ce que l'Office de statistiques de l'UE dépendant de la Commission européenne affirme dans l'auto-célébration de lui-même qu'il publie en Une sur son site Internet, Eurostat publie des communiqués publics savamment présentés qui ne permettent pas les comparaisons les plus intéressantes, et qui ne permettent pas à l’opinion publique et aux médias de mesurer si la société évolue conformément aux promesses des hommes politiques.
Cependant, Eurostat ne peut pas cacher la totalité de la vérité. Pour qui sait lire un graphique, celui de l'évolution des taux de chômage dans l'UE (UE27) et dans la zone euro (ZE17) publié par le même communiqué montre bien où est le problème.
Comme on le voit ci-dessous, le taux de chômage de la zone euro (courbe maigre) :
- - était inférieur au taux de chômage de l'UE globalement (courbe grasse) au tout début des années 2000,
- - a commencé à s'en rapprocher à partir de l'arrivée de l'euro sous forme fiduciaire (billets et pièces) en 2002,
- - l'a dépassé à partir de la mi-2004
-
- et l'écart entre les deux taux se creuse de façon de plus en plus vertigineuse depuis 2010.
CONCLUSION : LES CONSÉQUENCES DU SAUVETAGE PROVISOIRE DE L'EURO
Cette catastrophe qu'est l'euro permet de bien prendre la mesure des conséquences à venir de son sauvetage provisoire, auquel on a assisté en 2012.
- 1°) L'euro a été provisoirement "sauvé" en 2012, par le fait que les dirigeants politiques européens, trahissant l'intérêt de leurs peuples respectifs, ont accepté des transferts colossaux de dettes du secteur des banques privées vers les contribuables. A terme, ce sont des centaines de milliards d'euros qui risquent d'être prélevés sur les contribuables européens.
- 2°) Si cette prise en charge, aussi scandaleuse que démente, a été acceptée, c'est du fait des pressions colossales venues de Washington. Comme je l'ai dit maintes et maintes fois, les dirigeants politiques américains ont tout fait pour empêcher l'explosion de l'euro, parce qu'ils savent que cette explosion entraînerait inéluctablement la désagrégation du "glacis géopolitique" américain en Europe, hérité de la Seconde guerre mondiale, et génialement qualifié de "construction européenne" pour duper les peuples d'Europe.
-
3°) Ce sauvetage provisoire a néanmoins un coût, non seulement économique et financier, mais aussi un coût social terrifiant. Le chômage ne va pas cesser de grimper dans les mois et probablement les années qui viennent. Et avec lui, c'est la paupérisation, la clochardisation et le malheur qui ne cessent de gangréner les sociétés européennes, notamment du sud de l'Europe.
François ASSELINEAU
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