François Fillon et Eric Woerth ont confirmé cette
semaine la mise en oeuvre rapide de sept mesures fiscales promises par le
candidat Sarkozy lors de la campagne.
Sur
le fait que nos nouveaux gouvernants veuillent à la fois respecter les
promesses faites et aller vite, on ne peut que les en féliciter et les
y encourager.
Sur le fait que les sept
mesures proposées créent un "choc fiscal", le doute est permis. Je
parlerais plutôt de "pichenette fiscale" !
Passons ces fameuses mesures en revue pour essayer de mesure l’ampleur du choc...
Déduction du revenu imposable de 20% des intérêts dans le cadre de l’acquisition d’une résidence principale :
Une
déduction à 100% pendant les cinq premières années de paiement des
échéances de prêt existait à la fin du siècle dernier. Elle avait été
supprimée par le gouvernement Juppé (eh oui !) vraisemblablement parce
qu’elle constituait un manque à gagner trop grand pour notre État déjà
en mal de recettes et sans doute parce qu’elle ne facilitait pas tant
que cela l’accession à la propriété et créait une forme d’inégalité
entre celui qui pouvait devenir propriétaire, qui payait l’impôt sur le
revenu et bénéficiait d’une réduction significative et celui qui ne
pouvait pas et qui, dans bien des cas, ne payait pas cet impôt.
La
mesure envisagée ici ne concernerait que 20% des intérêts et uniquement
les acquisitions réalisées après le 6 mai 2007 (appelé Sarko day !). Son impact est minimal :
Si
l’on considère un emprunt de 200.000 euros, les premières années voient
un paiement d’intérêts de 8.000 euros environ et la déduction envisagée
correspond à 1.600 euros de revenu imposable en moins ce qui entraîne
une réduction d’impôt sur le revenu de 640 euros (si l’on considère un
taux marginal (élevé) de 40%). Bascule-t-on financièrement dans la
capacité de devenir propriétaire d’un bien d’une valeur supérieur à
200.000 euros parce que l’on peut économiser quelques centaines euros
par an (soit quelques dizaines d’euros par mois) alors que la
différence entre un loyer et les échéances de remboursement est
mensuellement de 1.000 euros ou plus ? La réponse est clairement non.
Cela n’est absolument pas décisif et le phénomène ne peut ici qu’être
psychologique... Tout juste peut-on imaginer de payer sa résidence
principale quelques milliers d’euros plus cher (50 euros de
remboursement mensuel de prêt correspond grosso-modo à 5.000 euros
empruntés) !
Le message est sans doute
bon vu le manque de logements locatifs en France (800.000 environ) mais
on est de façon évidente dans la mesurette. La bonne nouvelle est que
cela ne va pas coûter cher : tout au plus quelques centaines de
millions d’euros contre les 2,5 milliards envisagés si la déduction
avait concerné 100% des intérêts et tous les prêts en cours pendant les cinq premières années ! Quelques centaines de millions pour, peut-être,
faire basculer quelques dizaines de milliers de foyers, hésitants et
"bernés" par une réduction fiscale plus que modeste, du statut de
locataire à celui de propriétaire, cela est très cher payé !
L’impact sur l’emploi et la croissance ne saura qu’être marginalement faible...
Félicitations
cependant à monsieur Woerth : voilà une mesure qui ne creusera pas le
déficit autant que l’on aurait pu le craindre !
Défiscalisation des heures supplémentaires :
Cette
deuxième mesure, que l’on peut qualifier de "phare" dans le programme de notre président, est en fait assez peu "fiscale". En effet, une grande partie
des salariés effectuant des heures supplémentaires décomptées et
rémunérées paient aucun ou très peu d’impôt sur le revenu. Le coût sur
les budgets sociaux peut, par contre, s’avérer très important puisque,
rappelons-le, si ces heures supplémentaires ne font pas l’objet de
charges sociales, comme cela est envisagé, c’est une économie
importante qui est proposée aux entreprises.
En effet :
- une heure normale payée net au salarié 8 euros coûte 15 euros en y incluant les charges sociales ;
- une heure supplémentaire payée 25% de plus soit 10 euros nets pour le salarié ne coûterait que 10 euros à l’employeur.
Cette
mesure "anti 35 heures sans supprimer les 35 heures" est vertueuse sur
le pouvoir d’achat des salariés concernés (ce qui a un impact faible
mais réel sur la consommation et la croissance) et aura sans doute un
effet positif sur l’emploi car on imagine sans mal qu’elle deviendrait
une façon d’augmenter les salaires ou les effectifs sans en avoir tous
les surcoûts : il suffira, par exemple, à l’employeur pour verser autant
de salaire net à un nouvel embauché sans avoir le même montant de
charges d’abaisser son taux horaire d’embauche et de lui demander de
déclarer (et d’effectuer ou non) des heures supplémentaires tout en
offrant un éventuel petit cadeau fiscal à ce nouveau salarié...
En effet :
- un salarié gagnant 1.400 euros nets coûte, sans heure supplémentaire, 2.625 euros chargés par mois ;
- un
salarié gagnant 1.300 euros nets de base auxquels s’ajouteraient 2 heures
supplémentaires hebdomadaires (payées 25% de plus et sans charge
sociale) gagnerait 1.400 euros nets et ne coûterait "que" 2.537.50 euros.
De
même, il serait possible d’augmenter les salaires nets de 3% en échange
d’une heure supplémentaire mais pour un coût correspondant à 2% de
masse salariale. Si la mesure s’applique, également et de plus, aux
contrats de travail à temps partiel, nul doute qu’elle aura un effet
important sur le nombre d’heures travaillées et donc sur la
croissance (cf.
L’emploi crée la croissance)...
A
suivre donc sur son volet "charges sociales"... Tout l’art de Mister
Woerth en charge également des budgets sociaux sera d’estimer le point
d’équilibre entre le manque à gagner pour l’URSSAF et les caisses de
retraite et le surplus de cotisations lié aux embauches nettes,
conséquences indirectes de la mesure...
On
aurait, bien sûr, préféré une méthode plus directe de réduction du coût
du travail dans notre cher pays mais celle-là ne devrait pas avoir
d’impact négatif et obligera à une forme de partage économique entre
salarié et employeur.
On ne parlera sans doute pas de "choc" mais d’un "coup de pouce flexible" plutôt bienvenu.
Défiscalisation des revenus étudiants
Mieux
vaut un étudiant qui va obtenir un diplôme lui permettant
d’envisager une vie professionnelle attractive qui bosse le soir chez
MacDo qu’un jeune chômeur (non ou faiblement diplômé) qui pointe à
l’ANPE pour quelques années.
Mieux vaut
également éviter les conversations mesquines entre parents et étudiants
rattachés au foyer fiscal des parents consistant à déterminer qui, des
parents ou de l’étudiant, doit payer les impôts attachés aux revenus de
notre post-adolescent qui considère, à juste titre, qu’il n’a aucune
raison d’être imposé ni au taux marginal, ni au taux moyen de ses
parents...
Mesurette ou mesure ? A priori mesurette mais qui sent néanmoins plutôt bon...
Encouragement du cumul emploi-retraite
Les
retraités s’ennuient ou ne gagnent pas assez bien leur vie et beaucoup
de "jobs" sont non pourvus dans les services. Il existe ici donc une
piste favorisant l’activité globale donc la croissance et celle-ci ne
devrait pas coûter mais plutôt rapporter fiscalement puisqu’il ne
semble pas que le gouvernement souhaite défiscaliser ces revenus
additionnels.
Il y aura peut-être un
impact "social" si ces revenus ne sont pas soumis à cotisations
retraites (ce qui peut paraître logique ou non suivant le point de vue
que l’on prend) mais qui devrait de toute façon avoir un coût (ou
plutôt manque à gagner) modeste.
Suppression des droits de succession dans 95% des cas
C’est
la mesure qui me paraît la plus inutile de toutes. Le "95% des cas" est
là pour rassurer les Français sur le fait que l’on taxera bien les
successions des milliardaires mais ce n’est pas cela qui me fait réagir
négativement. Au risque de surprendre, je trouve personnellement normal
que les successions soient taxées et que les grosses successions soient
taxées lourdement.
De plus, l’âge moyen
des héritiers est aujourd’hui supérieur à 50 ans et, en aucun cas, cet
héritage tardif n’est de nature à changer la vie patrimoniale et les
habitudes de consommation de ces héritiers bientôt retraités !
Sarkozy
avait, en son temps, à Bercy, pris quelques mesures favorisant les
donations, ce qui est bien plus intelligent puisque 80% du patrimoine
individuel des Français est détenu par les "seniors" et que c’est à 20
ou 30 ans que l’on peut vraiment profiter d’un capital permettant, par
exemple, d’acheter son premier appartement ou de lancer sa première
entreprise.
Tant que les donations sont
fiscalement plus attractives que les successions, le transfert de
patrimoine d’une génération à l’autre est favorisé. Si ce n’est plus le
cas, je ne vois pas le bénéfice économique !
Il
paraît que cela va coûter 5 milliards d’euros en année pleine. Mister
Woerth, vous avez le droit d’essayer de faire revenir le président sur
cette promesse-là !...
Bouclier fiscal à 50% incluant la CSG/CRDS et franchise de 50.000 euros sur l’ISF en cas d’investissement dans une PME
Je me suis déjà exprimé en janvier dernier sur ces deux mesures (cf.
Le bouclier de Sarkozix). Je n’ai pas changé d’avis.
On
ne fera pas revenir les gens qui se sont exilés à cause d’un impôt
emblématiquement castrateur et doublement taxeur en leur disant que cet
impôt est maintenu mais que s’ils portent réclamation et que leur
fiscalité totale est trop importante, ils seront remboursés du trop
perçu !
Je leur préférerais donc une
suppression pure et simple de l’ISF et une déduction significative du
revenu imposable des investissements effectués dans les PME ou les
sociétés de business-angels...
Ces deux
mesures, telles qu’elles sont proposées, n’auront certes pas d’effets
négatifs sur la croissance et l’emploi et, on peut même imaginer que la
veuve d’Arcachon cherchera désespérément une PME dans laquelle investir
ses 2000 euros d’ISF mais rien qui ne change véritablement la face de
la France derrière ce cataplasme et cette mesurette...
Monsieur
Woerth, encore une fois, vous avez le droit de proposer de faire mieux,
moins cher et plus simple et on ne vous en voudra pas s’il vous faut
quelques mois de plus pour faire de vraies réformes fiscales.
Comme
vous avez pu le lire ici je place beaucoup d’espoir dans notre ministre
des Comptes publics qui, si vous ne le saviez pas, est également
mannequin chez Loréal (sans doute pour des produits capillaires).
"Because I’m Woerth it !"
Il est moins charmant que Claudia Schiffer mais notre avenir collectivo-fiscalo-économique est entre ses mains...
Supportons-le et aidons-le à créer le "choc fiscal" dont notre pays a besoin !