Comment serait le monde s’il était organisé comme le Web ?
Le fonctionnement du Web actuel, qui va de plus en plus vers une tendance collaborative, autogérée, communautaire et décentrée, fait réfléchir sur la question de savoir si ces principes sont applicables à la politique.
Imaginons qu’une communauté politique (Etat, ville...) soit organisée de la même manière que le Web. Les changements majeurs seraient les suivants.
- La communauté est choisie et non imposée de fait
Dans l’état actuel des choses, je ne choisis pas mon pays ni ma ville : ma communauté m’est imposée par ma naissance. Sur Internet, je choisis ma communauté en fonction de mes centres d’intérêt, et cette communauté est déterritorialisée. Ses membres sont localisés aux quatre coins du globe, et ne sont réunis que par des centres d’intérêt communs.
Une organisation politique sur ce mode signifierait l’absence de
communauté terriroriale ayant force d’autorité, la communauté
territoriale n’étant pas autre chose qu’un groupe comme un autre :
celui des gens qui s’intéressent à tel espace géographique, comme
d’autres s’intéressent aux poissons rouges ou aux ours polaires.
Dans le monde réel, l’attachement au sol est d’ailleurs une valeur qui
s’estompe, puisque le territoire n’est plus nécessaire à la survie. On
passe progressivement d’une communauté territoriale à un ensemble de
communautés d’intérêts. Je me sens plus proche de certaines personnes
qui vivent loin de chez moi mais qui partagent mes centres d’intérêt
que de mes plus proches voisins, avec lesquels je ne partage rien
d’autre que l’ascenceur et le vide-ordures.
- Cela pose la question de l’autorité
Si l’autorité n’est plus liée au territoire, d’où vient-elle, et qui a une légitimité pour exercer le pouvoir ?
Revenons à Internet. Les règlementations qui émanent des Etats ne sont pas efficaces sur le Web. L’amendement 2257 aux Etats-Unis concernant l’activité des sites X a développé une migration massive des serveurs hébergeant ces sites vers l’Europe. L’interdiction française des casinos en ligne n’empêche pas non plus la présence de ces sites, en français et accessibles depuis la France. Les serveurs sont simplement relocalisés.
Alors, c’est la jungle ? A vrai dire, pas du tout. On ne fait pas
n’importe quoi sur Internet. On est sanctionné par la communauté. Tout
simplement parce que l’information circule.
Par exemple, si je souhaite acheter un produit dans un magasin "en
dur", il existe un risque que le produit soit défectueux, et que je
sois victime d’une arnaque. D’où la nécessité de contrôles par des
organismes comme la Répression des fraudes, émanant de l’Etat.
Pourtant, j’éprouve un sentiment de sécurité plus fort lorsque j’achète
sur Internet : en consultant des forums et des sites d’avis de
consommateurs, j’accède à des centaines ou milliers de témoignages de
clients. Je sais de quoi il retourne, et bien mieux qu’en consultant
une hypothétique autorité de répression des fraudes.
Les comportements néfastes sont aussi sanctionnées par les acteurs du
réseau : les spammeurs par leurs hébergeurs, eux-mêmes ayant des
comptes à rendre à plusieurs autres acteurs, qui eux-mêmes... etc. Il en
va de même de l’escroquerie.
En réalité, l’autorité est communautaire et décentrée. Elle se limite à l’essentiel et n’impose pas de choix moraux ou idéologiques. Tous font partie de l’autorité. En témoignant sur un forum ou un blog d’une mauvaise expérience avec un commerçant, en signalant à un ISP les pratiques abusives d’un spammeur, je fais partie de l’autorité, comme des millions d’autres individus.
Et si je suis injuste, en pratiquant cette autorité ? Si le commerçant dénoncé était en réalité honnête, et que le spam signalé était pure invention ? Mon faux témoignage, noyé dans la masse des autres, sera analysé comme marginal, et considéré comme n’étant pas digne de confiance. L’autorité devient démocratique, comme sur e-bay où la confiance que l’on peut accorder à un vendeur est mesurée par les témoignages de ses clients, et non par des vérifications menées par un organisme d’Etat ayant le monopole du contrôle.
L’individu s’approprie collectivement l’autorité... Ce n’est pas une
utopie, c’est la réalité, vécue quotidiennement par les internautes que
nous sommes.
- Mais alors, qui est en charge de l’éducation, de la culture ?
Vous connaissez Wikipedia ?
C’est une encyclopédie collaborative à laquelle chacun peut participer.
Si un sujet vous intéresse, vous pouvez modifier les articles que vous
souhaitez, et en écrire de nouveaux, en acceptant qu’ils soient
modifiés par d’autres utilisateurs.
Les modifications sont contrôlées collectivement par la communauté liée
à tel ou tel thème, et le "vandalisme" (destruction d’un article ou
modifications ayant pour but de nuire) est évité grâce à des
procédures spécifiques.
Au début, personne n’y croyait, et j’étais moi-même convaincu de
l’échec des wikis, en termes de pertinence. Or, il faut constater que
c’est un succès, puisque Wikipedia a été considérée par de nombreux
experts comme équivalente aux encyclopédies "papier" sur de nombreux
thèmes.
La différence est la neutralité et la présence de tous les points de
vue possibles sur un sujet, les utilisateurs peuvant apporter
leur propre vision des faits ou des sujets.
Des projets similaires liés à l’actualité existent, comme AgoraVox,
où chacun peut soumettre sa perception des faits d’actualité. C’est
autrement plus riche qu’un journal traditionnel, où souvent une seule opinion
est exprimée.
Pourquoi parler de Wikipedia et d’AgoraVox ? Tout simplement pour montrer que l’individu n’a pas besoin d’une autorité centralisée pour avoir accès à la culture. Au contraire, il élargit son champ de vision en considérant les multiples opinions et traitements possibles d’un fait. Comparer le contenu d’un manuel scolaire moyen à celui d’un projet comme Wikipedia suffit pour le comprendre.
- Ok, je veux bien... mais l’autorité territoriale est quand même nécessaire ! Ne serait-ce que pour gérer les ordures ménagères...
Et pourquoi pas une communauté territoriale, plutôt qu’une autorité ? Les communautés Internet se regroupent autour de centres d’intérêt, qui peuvent être le territoire. Ce qui n’implique pas que tous les habitants de tel territoire soient obligés de faire partie de telle communauté. Qui mieux que celui qui s’intéresse à un sujet est capable de le gérer ?
Il existe des forums, une blogosphère, des communautés sur différents supports, à propos de la ville de Lyon. Tous les internautes lyonnais n’en font pas partie, si le sujet ne les intéresse pas, ou qu’ils ne souhaitent pas s’y impliquer. Pourtant, il y a certainement des non-Lyonnais qui en font partie, pour la simple raison qu’ils éprouvent un intérêt pour cette ville.
Voilà pour la dissociation des mots autorité et territoriale. On préfèrera parler ici de communauté liée à un territoire (mais n’y habitant pas forcément et n’incluant pas tous ses habitants, mais ceux qui en font le choix).
Ensuite, vient la question de la gestion. Une communauté peut-elle gérer un territoire ?
A la question de savoir si une communauté peut gérer un projet, la
réponse est clairement oui. Voir à ce propos les communautés liées aux
distributions Linux ou au logiciels GNU, qui parviennent à des
résultats qui surpassent en qualité ceux obtenus par les géants
industriels du logiciel, grâce à un fonctionnement collaboratif : ce
qui est fait par l’un est amélioré par l’autre, et les décisions sont
prises de manière communautaire.
Ce qui n’exclut d’ailleurs pas la concurrence : si mes orientations
sont différentes, libre à moi de créer ou de rejoindre une autre
communauté, ce qui explique la présence de différentes distributions de
Linux, complémentaires et concurrentes à la fois.
L’organisation de type communautaire, qui parvient à créer des systèmes d’exploitation ou une encyclopédie surpassant en qualité les équivalents créés sur un mode d’organisation traditionnel, ne serait pas capable de gérer le ramassage des ordures ? Simple question. Et réponse évidente.
Il est aussi difficile de conclure un billet comme celui-ci que de manger un yaourt en faisant du ski...
Alors, si on changeait ?
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