Crépuscule d’une république
Enjeu déterminant de l’élection présidentielle, la question institutionnelle ne semble guère susciter les polémiques. Cette question est de fait éloignée des préoccupations immédiates des Français. Elle n’en revêt pas moins une importance cruciale car porteuse à moyen terme de virtualités de renforcement ou d’affaiblissement de la démocratie. Cela d’autant plus que la réforme inachevée du quinquennat n’a pas permis d’aborder les problèmes complexes de l’équilibre entre les pouvoirs.
Les questions institutionnelles n’intéresseraient pas les Français comme en témoignent les indicateurs de la Sofres sur l’importance que revêtent les différents thèmes de la campagne présidentielle. En application du nouveau paradigme politique qui postule que les hommes (et femmes) politiques doivent d’abord suivre les opinions publiques, paradigme repris pour son propre compte par N. Sarkosy, comme il l’indiquait le 24 septembre 2006 dans le Journal du dimanche : « Aller contre moi, c’est aller contre l’opinion publique », il deviendrait donc urgent de ne pas s’intéresser à cette question ardue.
La règle s’applique d’ailleurs de la même façon à toutes les autres questions ardues, (retraites, Europe, politique internationale, politique énergétique, inégalités sociales, inégalités territoriales...). Et pourtant, dans une enquête TNS-Sofres de mars 2006, 53 % des personnes interrogées déclaraient que la démocratie ne fonctionne pas bien en France. Les raisons qui incitent à prendre cette question au sérieux sont multiples. Comment s’équilibrent les pouvoirs ? Comment se traduisent politiquement les courants qui traversent la société ? Comment sont garanties les libertés fondamentales ? L’architecture institutionnelle de la Ve République a depuis longtemps suscité des interrogations quant aux pouvoirs exorbitants conférés au président (droit de dissoudre l’Assemblée, consultation directe du peuple par référendum, nomination en fonction de son bon-vouloir du Premier ministre, autorisation donnée à celui-ci d’utiliser l’article 49-3 permettant d’outrepasser un possible désaccord avec l’Assemblée, nomination à de nombreux postes institutionnels déterminants, statut juridique généreux le rendant quasi inattaquable quels que soient les faits invoqués, utilisation de l’article 16 instaurant l’état d’urgence en cas de situation grave).
Ces pouvoirs sans contre-partie en font l’homme d’Etat le plus puissant parmi les démocraties occidentales. À titre de comparaison, si le président des Etats-Unis doit souvent faire face à l’opposition de l’une, voire des deux chambres du Congrès, situation actuelle de G.-W. Bush, la stricte séparation des pouvoirs permet de façon plus systématique de limiter ses possibles empiètements tout en lui permettant de gouverner de façon efficace. La situation française résulte à la fois des choix initiaux opérés par les constitutionnalistes suivant les principes posés par le général de Gaulle lors de son retour au pouvoir en juin 1958 et du renforcement de la prédominance présidentielle instaurée par le passage, consécutif au référendum d’octobre 1962, de l’élection du président par les grands électeurs à l’élection au suffrage universel direct dont le premier acte eut lieu en 1965. Si l’approche gaullienne des institutions avait été démentie par les pratiques mitterrandiennes (acceptation de la première cohabitation) et plus encore chiraquiennes (refus de démissionner suite à une dissolution ratée puis à un référendum rejeté), les défauts de la constitution se sont trouvé considérablement renforcés par le passage au quinquennat.
Rappelons le contexte, en 1999, L. Jospin, Premier ministre, propose d’appliquer la vieille réforme promise par G. Pompidou depuis le début des années soixante-dix de réduire la durée du mandat présidentiel. Ce projet ne suscite guère de réactions négatives, ne mobilise pas davantage l’opinion publique et apparaît comme une adaptation mineure. Il est par ailleurs doctement soutenu par les opposants à la cohabitation considérant que celle-ci est la source des maux institutionnels français. Finalement, le passage au quinquennat aisément obtenu le 24 septembre 2000 avec 72,9 % de oui (et 60,9 % d’abstention...), et la modification du calendrier électoral qui suivit (rappelons qu’en l’absence de cette modification, l’élection législative de 2002 aurait dû se dérouler avant la présidentielle, en conséquence de la dissolution de l’Assemblée voulue par J. Chirac en 1997) renforça considérablement le rôle de l’élection présidentielle. Cette réforme irréfléchie, outre qu’elle contribua à la défaite en 2002 de celui qui l’avait initiée, modifia en profondeur l’équilibre des pouvoirs, en l’absence d’autres adaptations institutionnelles (en particulier l’indispensable renforcement du Parlement ou une limitation plus précise du domaine de compétences du chef de l’Etat). Cette prééminence de l’élection présidentielle est à ce point intégrée par les analystes politiques que personne ne rappelle qu’une élection en suivra une autre, qu’à la suite de la présidentielle auront lieu les législatives.
Le résultat de cette élection semble aller de soi, celui qui emportera la présidentielle remportera les législatives. L’élection déterminante dans toutes les grandes démocraties parlementaires est ainsi ravalée au rang de simple formalité. La cohérence de la démarche de F. Bayrou est pourtant grandement invalidée par sa dépendance à l’égard de ce second scrutin. Imaginons qu’il gagne la présidentielle, comment ensuite gouvernerait-il ? L’orientation en sera déterminée par le résultat des législatives. Si l’UMP l’emporte, il devra se plier à ses exigences, de même dans le cas d’une victoire du PS. La probabilité qu’aucune majorité claire ne se dégage n’étant pas inconcevable, il devrait alors naviguer à vue, selon les circonstances. Tout dépendrait de la capacité des deux forces politiques majeures à maintenir leur cohésion interne. Regardons maintenant ce que proposent les différents candidats à propos de cette question institutionnelle. N. Sarkozy s’avance de façon mesurée sur ce sujet : limitation à deux du nombre de mandats, suppression de quelques pouvoirs de nomination, renforcement de quelques compétences de l’assemblée, instauration d’un soupçon de proportionnelle... au Sénat et autorisation du président à venir s’exprimer devant l’Assemblée nationale.
Autrement dit, toutes les faiblesses du système institutionnel actuel se trouveraient renforcées. De la part d’un homme politique qui n’a pas hésité à empiéter sur le terrain du judiciaire, fragilisant la séparation des pouvoirs, il est à craindre qu’il ne ravale le Parlement à une chambre d’enregistrement. Cette dérive porte un nom, il s’agit du glissement vers un régime autoritaire. Le système actuel le permet, le pas suivant est aisé à franchir. Plutôt que de citer à tort et à travers L. Blum ou J. Jaurès, c’est davantage chez C. de Montesquieu que ce candidat devrait chercher son inspiration... Il est de même à noter que J.-M. Le Pen ne semble guère se soucier de ces questions (outre le rétablissement du septennat et la systématisation du référendum dans le plus pur style des pratiques plébiscitaires), les mécanismes d’exception déjà prévus dans la constitution, lui permettraient en effet de gouverner légalement. Les positions de S. Royal et de F. Bayrou, quant à elles, présentent sur ces questions un certain nombre de similitudes : une part des députés serait élue à la proportionnelle, l’article 49-3 abrogé, le cumul des mandats rendu impossible, la responsabilité des parlementaires accrue, l’utilisation du référendum d’initiative populaire acceptée mais de façon très contrôlée.
De fait, si elles étaient appliquées, ces modifications rééquilibreraient le régime dans un sens plus parlementaire et surtout plus démocratique, que la République porte ou non le numéro de sixième importe peu. Il y a fort à parier que l’actuelle élection présidentielle française ne révèle encore davantage les fragilités du système institutionnel : l’importance croissante portée aux questions de personnes et non aux projets de société, le jeu des slogans simplistes qui renvoient aux pratiques du marketing, les surenchères démagogiques, la montée en puissance de candidats de la protestation n’ayant à aucun moment le désir ni les moyens d’exercer une quelconque responsabilité.
Que les Français optent pour le modèle néoconservateur à l’américaine dont s’inspire dans tous les domaines N. Sarkozy, ou pour le modèle social-démocrate de S. Royal est une chose, mais en arrière-plan se profile un autre enjeu, d’une dimension déterminante à moyen terme, celui de l’équilibre souhaitable des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, dans une démocratie qui se prétend moderne. Quant à ceux qui arguent que rien ne sert de modifier les institutions car seules comptent les pratiques des individus, il serait judicieux de rappeler que si des institutions plus équilibrées ne suffisent à empêcher des dérives, elles contribuent, par certains garde-fous, à en limiter les nuisances.
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