De Gaulle, Mitterrand, Internet, et la démocratie participative...
De Gaulle eut raison avant tout le monde quand il évoqua, dès 1946, la démocratie participative qu’il voulait mettre en œuvre par la création d’un « Grand Sénat ». Mais ni en 1958, ni en 1969, il n’est parvenu à imposer sa vision. La seconde fois, c’est le peuple français, pas préparé à l’enjeu, qui lui a dit non. Mitterrand eut raison de vouloir décentraliser le pouvoir et de libérer les radios et télévisions. Il a réussi son projet. C’est parce que les Français étaient prêts, et le réclamaient. Aujourd’hui, il faut prolonger la vision de ces deux grands hommes d’Etat, et aborder l’ère de la démocratie participative.
Déjà à Londres, en 1943, le chef de la France libre avait déclaré :
« Quand viendra la victoire, la patrie reconnaissante devra et
saura faire à ses enfants ouvriers, paysans , d’abord un sort digne et
sûr, ensuite la place qui leur revient dans la gestion des intérêts
communs . » Fidèle à sa conception, il a engagé sa
personne dans
le référendum de 1969 avec le résultat que l’on connaît. L’idée de de Gaulle était d’instaurer un « Grand Sénat » ouvert à la
société civile, à savoir aux représentants des collectivités locales et
des professions et organisations syndicales. Si la réforme avait
abouti, peut-être n’en serions-nous pas à déplorer aujourd’hui la
faiblesse du dialogue social, ni la surmédiatisation politique qui
infantilise les électeurs. A travers le statut qu’aurait donné aux
représentants
locaux et aux régions la réforme du Grand Charles, il y avait aussi
l’idée de décentralisation.
Mais c’est François Mitterrand qui rendit effective la
décentralisation. Une décentralisation qui allait mettre fin à une
longue période de pouvoir central contrôlant tout, y compris
radios et télévision. La décentralisation n’a pas été remise en
cause ensuite par la droite, qui l’a aménagée et renforcée, notamment par
la loi Raffarin du 13 août 2004, dite « Acte II de la
décentralisation ». Pour mieux contrôler la décentralisation a
été créé l’Observatoire de la décentralisation. Cet organisme répond à
la volonté du Sénat de remplir pleinement la mission de représentant
des collectivités territoriales que lui confie l’article 24 de la
Constitution. (Voir site ici)
Mitterrand n’avait pas repris l’idée de démocratie participative.
C’est là qu’il reste encore beaucoup à faire... Comment ? Les premiers
moyens à mettre en œuvre pour y parvenir sont d’ordre institutionnel.
1 - La démocratie de proximité :
Les expériences de démocratie participative menées à Porto Alegre au
Brésil ont abouti à la tenue du Forum social mondial en janvier 2001
dans cette même ville. Ouvert délibérément à la même date que Davos, ce
forum a rapidement fait sa percée médiatique, au même titre que le World Economic Forum qui réunit depuis trente ans les grands
patrons de la finance et de l’industrie.
En France, on a vu émerger des expériences réussies de démocratie
participative. A Lille (un adjoint au maire est délégué à la démocratie
participative), à Strasbourg (comité citoyen), à Dunkerque et en Ile-de-France (processus participatif permanent sur l’aménagement urbain).
Etc. Il faut encourager et développer ces initiatives, mais attention
aux écueils ! (voir partie 4)
2 - Le Conseil économique et social, « clé de
voûte » de la démocratie participative ?
- Le Conseil économique et social est mal connu des Français et
quasi ignoré des médias. Pourtant, il existe depuis 1925 et il a été
renforcé par de Gaulle qui lui consacra un titre spécifique dans la
Constitution de 1958. Il fonctionne sur un mode très démocratique. Le
président du CES, Jacques Dermagne, se définit d’ailleurs comme
gaulliste de gauche. Dans Révolution chez les patrons, (Bayard
1996), il évoque l’entreprise citoyenne : « Le tout au marché n’est pas
plus possible que le tout à l’Etat pour organiser une société [...]
Une entreprise ne peut être un îlot de prospérité dans un océan de
difficultés, voire d’exclusions. » Il prône un nouveau pacte social et
pose, à côté de la démocratie représentative, la nécessité d’une
nouvelle pratique de la démocratie. Sa méthode est une approche qui
peut être appliquée en démocratie participative : « Penser différemment
est ici une valeur et il faut sans cesse chercher à s’enrichir de la
pensée de l’autre, dans une quête permanente de la vérité. » Il se
déclare plus favorable au consensus fort résultant de gens qui
s’opposent au consensus mou.
Alors, faut-il réformer le Conseil économique et social pour en faire
la clé de voûte de la démocratie participative, en l’ouvrant plus
largement à la société civile, en élargissant les cas de consultations
obligatoires par le gouvernement ainsi que sa saisine au Parlement et
aux citoyens ? Ou bien alors créer une troisième chambre composée de
citoyens formés à l’Ecole nationale des citoyens, comme je l’ai suggéré
dans mon article « L’Ecole Nationale des Citoyens » ?
- Autres réformes suggérées, dont plusieurs sont aussi reconnues comme nécessaires par certains partis et candidats.
Réformer le pouvoir exécutif : revoir le statut pénal du chef de l’Etat
et permettre la responsabilité réelle du Premier ministre devant le
Parlement.
Réformer le Parlement en lui permettant de délibérer (restreindre le
49-3 et la possibilité d’amendements), en lui permettant de partager
avec le gouvernement la maîtrise de son ordre du jour, en limitant
davantage les cumul des fonctions des parlementaires, en représentant
davantage les minorités par l’introduction (prudente) d’une dose de
proportionnelle dans le mode de scrutin.
Introduire des éléments empruntés au système de démocratie directe :
droit de pétition législative, droit pour les citoyens de saisir le
Conseil constitutionnel, voire le Conseil économique et social,
référendum étendu.
3 - Internet et « la révolte du pronétariat » ?
Joël de Rosnay dit dans son ouvrage : « La révolution du pronétariat : les médias des masses commencent à apparaître dans cet
écosystème informationnel comme un cinquième pouvoir. À la différence
des quatre autres, qui sont tous descendants, celui-ci laisse la place
à de nouveaux enjeux et menace les détenteurs de pouvoirs classiques.
C’est une nouvelle « force civique citoyenne », comme l’appelle Ignacio
Ramonet ( du Monde diplomatique). »
Il est fort probable que l’expression de la démocratie viendra de là.
Peut-être même surprendra-t-elle le pouvoir « classique » dans son
ronronnement électif et médiatique. Mais on ne saurait encore parler de
« cinquième pouvoir ». Un pouvoir véritable nécessite d’être organisé.
Or Internet tient davantage du chaos, ce que reconnaît d’ailleurs
l’auteur : « La théorie du chaos déterministe s’applique également à
Internet ». Il ne s’agit donc pour l’instant que d’un contre-pouvoir.
4 - Les principes et les écueils de la démocratie participative :
Les principes, pour qu’une démocratie participative puisse voir le
jour, sont avant tout les principes de l’Etat de droit, dont celui de la
séparation des pouvoirs. Séparation des trois pouvoirs (exécutif,
législatif et judiciaire), mais aussi, comme le dit François Bayrou :
séparation de ces pouvoirs d’avec les pouvoirs financiers et
médiatiques. Mais croire que la séparation des pouvoirs suffit est une
erreur. La théorie des poids et contrepoids de Montesquieu doit aussi
s’appliquer, afin qu’aucun pouvoir ne prenne le dessus de façon durable
sur les autres. Le seul pouvoir qui pourrait contrer véritablement
celui des médias omniprésents est celui des citoyens.
Il faut poursuivre la vision mitterrandienne de libération des médias
en affranchissant cette fois ces derniers du pouvoir, excessif,
économique et financier !
Les écueils dans la mise en œuvre d’une démocratie participative sont
nombreux : le premier est de vouloir lancer ce type de démocratie
directe sans formation sérieuse des citoyens impliqués. La démocratie
dite participative n’est alors qu’une escroquerie démagogique, comme le
montre Ségolène Royal, énarque d’origine et peu douée pour cet
exercice, très attachée en réalité à la démocratie représentative,
système décrit par Bourdieu comme « une aristocratie républicaine qui,
en fait, se coopte et se reproduit ».
Il faut poursuivre la pensée gaullienne de démocratie participative !
Autres écueils : le cantonnement des citoyens dans une fonction
consultative (les élus gardant la décision), l’exercice du pouvoir réel
par les experts, la sur-représentation des classes moyennes au détriment
des classe pauvres.
Une véritable implication active du citoyen dans l’exercice du pouvoir
exigerait sa formation. On passerait ainsi de la parole confisquée et
vaine à la parole responsable et utile. Mais si l’on parle aujourd’hui
de « droite décomplexée », d’une gauche qui fait sa révolution, le
citoyen, lui, n’apparaît toujours pas décomplexé ! La gauche et la droite ne sont rien (voir le fort taux d’abstention des électeurs, la
montée des sympathies centristes, et les sondages qui dénoncent le
clivage traditionnel) mais elles ont tout (pouvoir d’Etat, entreprise
publiques, pouvoirs locaux) ! Les citoyens, eux, sont tout, et ils n’ont
rien, en pouvoir réel de parole et de décision.
Alors demain, « Le pronétariat : une révolte ? Non, sire ! Une révolution... »
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