Deux antilibéraux : Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Sarkozy
Disons-le tout net : certes, le terme de « libéralisme » n’a pas bonne presse. Dans le champ médiatique, il est souvent amalgamé avec d’autres - « néolibéralisme », « ultralibéralisme », ou encore « capitalisme » - et réduit à sa dimension économique. Associé à la mondialisation, c’est-à-dire au fait que les échanges dépassent les frontières et se développent au niveau mondial (on parle aussi de « globalisation »), il renvoie à un système profondément injuste, qui ne profite qu’à quelques uns et qui accroît les inégalités sociales.
Mais ce n’est pas dans ce sens-la qu’il faut l’entendre ici.
Alors que viennent faire Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Sarkozy là-dedans ? Voilà quelques éléments pour alimenter la réflexion, à quelques jours du 1er tour de l’élection présidentielle…
Le libéralisme, initialement, est politique, et il est lié aux Lumières dans leur lutte contre l’absolutisme ; le suffrage universel, à l’instar de la plupart des valeurs démocratiques, est l’une de ses conquêtes. Le libéralisme, en effet, place l’individu au coeur des relations sociales et entend limiter le pouvoir exécutif en assurant l’indépendance du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire ; il vise également la préservation de la liberté de conscience vis-à-vis de l’Eglise ; la fonction essentielle de l’Etat étant alors d’assurer l’ordre public qui conditionne l’exercice des libertés, en empêchant leur soumission à l’arbitraire.
D’où l’affirmation des libertés fondamentales mentionnées dans les différentes Déclarations des droits au XVIIIe siècle, dont le corollaire est la protection de l’individu par la loi et par l’Etat. Et de la Déclaration universelle des droits de l’homme aujourd’hui…
Le discours de Jean-Luc Mélenchon : séduisant, mais…
Je le concède bien volontiers : le discours de Jean-Luc Mélenchon ne me laisse pas de glace. Ce tribun maîtrise l’art oratoire (il ne le cache pas, d’ailleurs), et sait susciter l’adhésion des foules. Son volontarisme affiché tranche avec la fatalité et la résignation qui accompagnent ces temps de crise. Mais la démagogie et le populisme ne sauraient tenir lieu de ligne politique.
Et puis il y a le fond. Il faut être attentif aux prises de position de Jean-Luc Mélenchon en matière de politique internationale. En 2008, l’année des Jeux Olympique de Pékin,il cautionne la répression chinoise au Tibet. En 2011, sur l’antenne de France Inter, il soutient que Cuba n’est pas une dictature. Des faits anecdotiques, sans rapport avec son projet présidentiel ?
Complaisant à l’endroit des Castro et des Chávez, Jean-Luc Mélenchon s’inscrit en réalité dans un fil idéologique qui, des altermondialistes affiliés au Monde diplomatique jusqu'à l’ancien parti stalinien qu’il est parvenu à récupérer, préfèrera toujours une « bonne dictature » à la démocratie libérale. Par anticapitalisme et par anti-américanisme, il appartient à cette gauche trouble qui est prête à faire le jeu de n’importe quel oppresseur, pour peu qu’il se positionne contre les Etats-Unis et leur modèle. De ce point de vue, il renvoie à ces « compagnons de route » dont Raymond Aron, dans L’Opium des intellectuels, disait fort à propos qu’ils finissent par soutenir des Etats dans lesquels ils ne voudraient pas vivre.
Ce que ne fait pas, à ma connaissance, Arnaud Montebourg au Parti Socialiste, en faveur duquel j’avais pris position lors des Primaires Citoyennes.
Au nom de la passion égalitariste, Jean-Luc Mélenchon préfèrera toujours un Etat fort à la préservation des libertés individuelles. Au nom de l’obsession de l’unité nationale, il n’hésitera jamais à réprimer toute reconnaissance d’une spécificité susceptible de la contrarier, de la même façon que la Chine entend réécrire l’histoire du Tibet. D’où son opposition, par exemple, à la ratification par la France de la Charte européenne pour la reconnaissance des langues régionales ou minoritaires…
Dans une tribune publiée cette semaine dans Le Nouvel Observateur, Michel Onfray (qui en politique est un libéral qui s’ignore) explique avec lucidité :
« Parce que je ne veux pas de la botte chinoise sur la tête du Tibet, parce que je ne suis pas solidaire de gens qui envisagent la possibilité d’attaquer militairement Israël, parce que je me sens du côté du peuple iranien victime de ses dictateurs et de ceux qui, à Cuba ou en Iran, croupissent au fond des geôles parce qu’ils souhaitent vivre, penser, s’exprimer, publier, lire, éditer, voyager librement, parce que je n’aime la Révolution française que pour les progrès qu’elle a permis et non pour le sang qu’elle fit couler, […] je ne voterai pas pour Jean-Luc Melenchon… »[1]
Pour toutes ces raisons, moi non plus je n’envisage pas de voter Jean-Luc Mélenchon.
Et c’est bien François Hollande (cette fois à la différence de Michel Onfray) que je choisirai au 1er et, je l’espère, au second tour.
Sarkozy, lui, un multirécidiviste…
Dans une interview parue dans Le Nouvel Observateur en 2008, mal comprise à l’époque par ceux qui font du mot « libéral » le motif d’un anathème, Bertrand Delanoë assumait pleinement sa part de libéralisme :
« Qu’est-ce que le libéralisme ? C’est une doctrine d’affranchissement de l’homme, née dans l’Europe des Lumières. C’est, comme son nom l’indique, une idéologie de la liberté, qui a permis l’accomplissement de grandes conquêtes politiques et sociales. […] Je suis donc libéral ET socialiste. »[2]
Avant de montrer finement pourquoi Nicolas Sarkozy, en revanche, n’était ni l’un ni l’autre, mais foulait aux pieds bon nombre d’acquis hérités des philosophes du XVIIIe siècle.
En particulier concernant les droits de la personne dans les procédures judiciaires, et le principe de la séparation des pouvoirs :
« Sarkozy entrave les libertés individuelles, et il ignore les libertés collectives. Qu’est-ce que l’amendement sur les tests ADN, sinon une restriction imposée à la plus élémentaire des libertés : celle d’exister autrement que par sa naissance, celle de ne pas se définir par son code génétique ? Qu’est-ce que cette pratique politique, faite d’arrogance et d’égotisme ? M. Sarkozy se veut souverain omnipotent : le libéralisme, c’est le contraire. »[3]
Nous ne saurions oublier, en effet, que le nombre des gardes à vue a explosé sous le mandat du président sortant. Nous ne saurions oublier non plus ses multiples effets d’annonce destinés à instrumentaliser les faits divers les plus morbides, en annonçant des sanctions exemplaires avant même que la Justice ne se soit prononcée. Autant de fois où la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire a été bafouée.
Dans La Corse et l’idée républicaine, j’avais du reste attiré l’attention, déjà, sur des agissements du ministre de l’Intérieur incompatibles avec le respect de l’Etat de droit :
« Le non respect de la présomption d’innocence a atteint un sommet lors de la conférence de presse donnée par Nicolas Sarkozy après l’interpellation d’Yvan Colonna [en 2003]. Le ministre de l’Intérieur se félicitait de la restauration de l’autorité de l’Etat en Corse en parlant de l’arrestation de "l’assassin du préfet Erignac". Le "présumé" habituellement de rigueur semblait devenu inutile, même pour la forme. »[4]
Depuis, Nicolas Sarkozy a récidivé. Ne s’était-il pas pourtant engagé à rendre la République « irréprochable » ? Nous sommes loin du compte, et la France a plus que jamais besoin d’alternance.
Daniel Arnaud
Auteur de La République a-t-elle encore un sens ?, L’Harmattan, 2011.
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