Deux manières de croire que l’amour des autres est un désamour de soi
Il y a deux manières de croire que l'amour des autres est un désamour de soi. Ou plus généralement, il y a deux manières de croire que l'amour des autres ou de Dieu, est un désamour de soi ou de ce qui se rapporte à soi. L'amour de ce qui se rapporte à soi, c'est l'amour d'êtres qui ont un rapport particulier avec soi. Par exemple, l'amour de son chéri, sa chérie ou d'un ami ; l'amour de sa famille ou de ses racines ; l'amour de ses voisins ou de son pays. L'amour des autres, cela peut alors être l'amour d'êtres qui se rapportent moins étroitement à soi, par rapport à d'autres qui s'y rapportent plus étroitement. Par exemple, un ami par rapport à soi-même ; son pays par rapport à sa famille ou ses racines ; le genre humain par rapport à son pays. Il y a donc deux manières de croire que l'amour d'un ami est un désamour de soi-même ; deux manières de croire que l'amour des son pays est un désamour de sa famille ou de ses racines ; deux manières de croire que l'amour de Dieu ou du genre humain est un désamour de son pays.
Il y a la manière de celui qui veut s'aimer lui-même, et qui ne sait s'aimer lui-même que contre les autres (trop aimer les autres l'empêcherait donc de s'aimer lui-même comme il l'entend) ; et il y a la manière de celui qui veut aimer les autres, et qui ne sait aimer les autres que contre lui-même.
Il est vrai que l'amour des autres et l'amour de soi sont parfois difficiles à concilier, voire parfois impossibles à concilier parfaitement. Il nous arrive en effet d'être placés dans des situations cruelles, où nous ne pouvons choisir de préserver notre vie ou notre bien-être qu'au détriment de ceux d'autrui. Si nous sommes des êtres qui vivons durablement, et non par hasard, et qui vivons durablement dans le bien être, alors nous faisons parfois de tels choix. En même temps, nous avons tendance à souffrir de tels choix, car nous avons aussi tendance à vouloir que l'autre aussi puisse préserver sa vie et son bien-être.
Mais c'est alors qu'il est possible, ou bien de chercher à souffrir le moins possible de ces douloureux points de friction entre l'amour des autres et l'amour de soi, ou bien au contraire d'exacerber ces points de friction. Par ailleurs, la situation dans laquelle nous sommes placés ne tourne pas toujours l'amour de soi et l'amour des autres l'un contre l'autre, loin s'en faut : il est alors possible, ou bien de voir qu'une certaine coexistence imparfaite des deux est possible, ou bien de ne pas le voir.
Le fascisme est l'amour de soi exagérément tourné contre les autres. C'est l'attitude de celui qui exacerbe les situations cruelles de conflit entre son bien être et celui d'autrui, en culpabilisant les autres quand ils cherchent à préserver leur vie et leur bien être, parfois contre les siens. Ou bien c'est l'attitude de celui qui ne voit pas, qu'il ne lui est pas toujours indispensable de tourner son amour de lui-même contre les autres, parce que les deux peuvent parfois coexister, même si c'est imparfaitement.
Et l'amour des autres exagérément tourné contre soi, est une espèce naïve d'anti-fascisme. C'est l'attitude de celui qui exacerbe les situations cruelles de conflit entre son bien être et celui d'autrui, en se culpabilisant lui-même de chercher à préserver son bien-être, parfois contre ceux d'autrui. Ou bien c'est l'attitude de celui qui ne voit pas, qu'il ne lui est pas toujours indispensable de tourner son amour des autres contre lui-même, parce que les deux peuvent parfois coexister, même si c'est imparfaitement.
Fascisme et anti-fascisme naïf sont comme des frères ennemis. Ils sont opposés sur la question de savoir qui, de soi ou de l'autre, est coupable de chercher à préserver son bien être, dans les situations cruelles de conflit ; ou bien qui, de soi ou de l'autre, il faut choisir comme objet d'amour, en tournant cet amour contre celui qui n'est pas choisi.
Mais fascisme et anti-fascisme naïf sont unis dans la croyance que quelqu'un est coupable de chercher à préserver son bien être, dans les situations cruelles de conflit ; et dans la croyance qu'entre soi-même et autrui, il faut choisir lequel des deux on veut aimer contre l'autre. Ces croyances dans lesquelles ils s'unissent sont les présupposés des questions sur lesquelles ils s'opposent.
Un certain amour des autres est une exigence éthique. En défendant une conception de l'amour de soi exagérément tournée contre les autres, le fascisme fait passer l'amour de soi pour quelque chose d'éthiquement inacceptable. De plus, le fascisme considère comme du désamour de soi, et combat donc, les formes d'amour de soi qui seraient un minimum compatibles avec l'amour des autres, c'est à dire les seules qui seraient réalisables, parce qu'éthiquement acceptables. Le fascisme combat donc en fait, tout autant l'amour de soi qu'il croit défendre, que l'amour des autres qu'il est conscient de combattre.
L'amour de soi est quelque chose dont ne peut se passer aucun être qui vit durablement dans le bien être. En défendant une conception de l'amour des autres exagérément tournée contre soi, l'anti- fascisme naïf fait donc passer l'amour des autres pour quelque chose d'inacceptable pour tout être qui vit durablement dans le bien-être. De plus l'anti-fascisme naïf considère comme du désamour des autres, et combat donc, les formes d'amour des autres qui seraient un minimum compatibles avec l'amour de soi, c'est à dire les seules qui seraient réalisables, parce qu'acceptables par des êtres vivants durablement dans le bien-être. L'anti- fascisme naïf combat donc en fait, tout autant l'amour des autres qu'il croit défendre, que l'amour de soi qu'il est conscient de combattre.
Fascisme et anti-fascime naïf sont donc unis dans une même action destructrice, à la fois contre ce qu'ils sont conscients de combattre et contre ce qu'ils croient défendre : tous deux agissent en fait contre l'amour des autres et contre l'amour de soi.
Il est vrai que l'amour de soi et l'amour des autres sont parfois difficiles à concilier, mais cela n'est dû qu'à la situation actuelle dans laquelle nous sommes placés, et non à ce que l'amour de soi et l'amour des autres aspirent profondément à être, dans une plénitude qui serait parfaite, dans un monde où il n'y aurait pas de situation cruelle de conflit : dans un tel monde ils rentreraient même dans une symbiose parfaite, loin de se combattre, ils se soutiendraient l'un l'autre. Dans notre situation actuelle ils ne peuvent atteindre parfaitement cet état de plénitude, mais ils peuvent parfois coexister, même si c'est dans une plénitude imparfaite, et ils peuvent alors entrer dans une symbiose imparfaite.
Dans sa plénitude, l'amour des autres n'est pas un désamour de soi, et même il est une invitation à l'amour de soi. Car premièrement, l'amour des autres dans sa plénitude est réciproque : l'autre qu'on aime avec plénitude nous aime en retour. Et car deuxièmement, celui qui nous aime nous invite à nous aimer nous-même : l'autre qu'on aime avec plénitude nous invite donc en retour à nous aimer nous-mêmes. Or comment alors, ne pas être profondément touché et réconforté par cette invitation ?
L'amour de soi, dans sa plénitude, soutient aussi l'amour des autres, car nous avons plus facilement tendance à accepter chez les autres ce que nous acceptons pour nous-mêmes, et car il est plus naturel de vouloir pour les autres quelque chose qu'on veut aussi pour soi. Celui qui s'aime n'est pas déçu par l'autre quand il s'aime aussi ; celui qui invite l'autre à s'aimer tout en s'aimant lui-même, veut pour l'autre quelque chose qu'il veut aussi pour lui-même.
Ainsi les deux manières d'opposer exagérément l'amour de soi et l'amour des autres, sont encore unies dans le fait, qu'elles sont aussi deux manières de rejeter l'amour des autres dans sa réciprocité et donc dans sa plénitude ; deux manières de se fantasmer ou de fantasmer l'autre, comme un être qui ne se donne rien à lui-même, ou ne donne rien à l'autre, ou ne reçoit rien de l'autre, dans le monde tel qu'on le perçoit ou tel qu'on croit le désirer ; deux manières de fantasmer une relation entre soi et l'autre, où le rôle joué par soi et le rôle joué par l'autre seraient d'une nature profondément différente, comme si l'autre était d'une nature profondément différente de soi.
Le fascisme est-il trop distrait (ou trop absorbé par lui-même), au point d'oublier l'autre, ou d'oublier de vouloir donner à l'autre un peu de son amour ? Est-il dédaigneux envers l'autre, au point même de considérer que l'amour que l'autre peut donner n'a pas assez de valeur pour mériter d'être reçu par lui ? L'amour de l'autre est-il seulement pour lui, un concept enfermé dans une doctrine morale particulière qu'il rejette, et qui prone un amour des autres sans réciprocité, ou exagérément tourné contre soi ? A-t-il trop peur d'être trahi par l'autre, ou d'avoir honte devant lui, en s'exposant à lui, en lui demandant de l'amour en retour du sien ?
Et l'anti-fascisme naïf est-il trop distrait (ou trop absorbé par l'autre), au point de s'oublier lui-même, ou d'oublier de vouloir que l'autre lui donne un peu de son amour ? Est-il dédaigneux envers lui-même, au point même de considérer qu'il n'a pas assez de valeur pour mériter de recevoir l'amour que l'autre peut donner ? L'amour de l'autre est-il seulement pour lui, un concept enfermé dans une doctrine morale particulière à laquelle il adhère, et qui prone un amour des autres sans réciprocité, ou exagérément tourné contre soi ? A-t-il lui aussi, trop peur d'être trahi par l'autre, ou d'avoir honte devant lui, en s'exposant à lui, en lui demandant de l'amour en retour du sien ?
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