« Devoir du prince » et « fait du prince » : quand les « politiques » parlent de ce qu’ils ne connaissent pas
Depuis l’éviction brutale d’un fonctionnaire visiblement bon sous tout rapport, chacun de nous a pu entendre le PS et le MoDem, en la personne de M. Bayrou et de M. Dray s’écrier en chœur : "c’est le fait du prince" !
Et chacun de s’insurger, de plus en plus fort, à risquer de s’étouffer : c’est le fait du prince ! Et rebelote sur le président qui se prendrait pour un roi, sinon un empereur, en tout cas le représentant d’une pratique désuète définie comme "le fait du prince".
Sauf que... le "fait du prince"... qui, dans le langage courant désigne un acte arbitraire du gouvernement, désigne en droit administratif français une mesure prise par l’administration qui a un impact sur un contrat auquel elle est partie.
La théorie du fait du prince prévoit que le cocontractant de l’administration a alors droit à une indemnisation intégrale des frais causés par cette mesure, si cette mesure a perturbé la réalisation des travaux prévus par le contrat.
Une telle mesure n’est pas considérée comme un fait du prince si elle entre dans le cadre des pouvoirs traditionnels de l’administration en termes de contrat administratif : pouvoir de contrôle, pouvoir de modification et de résiliation unilatérales.
La théorie du fait du prince ne s’applique donc que pour des mesures prises par l’administration à titre extra-contractuel. Il peut s’agir par exemple de mesures de police administrative indépendantes du contrat, mais qui ont un impact sur les conditions de son exécution.
L’application de la théorie du fait du prince entraîne l’indemnisation intégrale du cocontractant par l’administration. Elle se distingue donc de la théorie de l’imprévision qui ne prévoit qu’une indemnisation partielle dans le cas d’un événement indépendant de la volonté des parties.
Il est décevant que deux parlementaires, et "personnalités" politiques importantes du MoDem comme du PS, avant de s’exprimer, et de faire appel à l’Ancien Régime, et son "arbitraire", ne se soient pas renseignés sur la signification de ce terme, avant de l’employer à toutes les sauces. Il n’est pas en effet besoin d’aller si loin dans l’histoire de la France pour dénoncer des actes arbitraires. Les "lois" de 1942 sont aussi arbitraires que les lettres de cachets d’Ancien Régime.
Et pour la petite histoire, l’expression "fait du prince" vient des "chartes" que les rois de France (et le dauphin de France) signaient avec les "communes", les "villes". Ces chartes donnaient droits aux dites "villes" des privilèges (des lois privées), chartes que lesdits rois pouvaient éventuellement supprimer en cas de révoltes ou de trahison au royaume (une ville donnant par exemple les clés de sa cité à l’Anglais pendant la période de la guerre de Cent Ans) ou réintégrer en cas de "services" rendus à la monarchie (ainsi le village de Dorémy, lieu de naissance de Jeanne d’Arc fut-il exempté d’impôts - directs et quelques-uns indirects - jusqu’à la mort de Louis XVI).
Aux cris d’orfraie du PS et du MoDem - justifiés ou non - le secrétaire général de l’UMP rétorque tout aussi ridiculement par un hypothétique "devoir du prince" qu’il définit comme :
« Aucun citoyen ne peut se satisfaire de l’insuffisance de protection par la police » et « protéger les citoyens quels qu’ils soient à mon avis est le devoir du prince ».
On aimerait en premier lieu dire à M. Devedjian que la France, quoi qu’il puisse en penser... n’est pas un royaume... et les Français les "sujets" d’un prince ! Si l’on peut accorder à M. Devedjian que les citoyens d’Andorre ont effectivement pour "prince" le président de la République française... la Constitution de la France rappelle, visiblement c’est une nécessité, qu’en démocratie le souverain est et demeure... le peuple !
Et que les citoyens français ne demandent pas à un "prince" de les protéger... Mais à une "force publique" de réaliser sa volonté ! Une "force publique" financée par les Français dans ce but... Et qui reçoit mandat pour ce faire.. Quand le Prince, lui, obtient son pouvoir par hérédité.
Rajoutons que si effectivement M. Sarkozy avait pour ambition de suivre les "devoirs" d’un "prince"... il lui reste apparemment beaucoup de chemin à faire.
Car quels sont les "devoirs" d’un prince ? D’un prince français tout au moins ?
Louis IX, roi de France, plus communément appelé Saint Louis, nous en laisse percevoir quelques aspects, dans les recommandations données à son fils, à l’heure de sa mort :
"Cher fils, s’il advient que tu deviennes roi, prends soin d’avoir les qualités qui appartiennent aux rois, c’est-à-dire que tu sois si juste que, quoi qu’il arrive, tu ne t’écartes de la justice. Et s’il advient qu’il y ait querelle entre un pauvre et un riche, soutiens de préférence le pauvre contre le riche jusqu’à ce que tu saches la vérité, et quand tu la connaîtras, fais justice.
Cher fils, prends garde diligemment qu’il y ait bons baillis et bons prévôts en ta terre, et fais souvent prendre garde qu’ils fassent bien justice et qu’ils ne fassent à autrui tort ni chose qu’ils ne doivent. De même, ceux qui sont en ton hôtel, fais prendre garde qu’ils ne fassent injustice à personne car, combien que tu dois haïr le mal qui existe en autrui, tu dois haïr davantage celui qui viendrait de ceux qui auraient reçu leur pouvoir de toi, et tu dois garder et défendre davantage que cela n’advienne.
Cher fils, je t’enseigne que tu aies une solide intention que les deniers que tu dépenseras soient dépensés à bon usage et qu’ils soient levés justement. Et c’est un sens que je voudrais beaucoup que tu eusses, c’est-à-dire que tu te gardasses de dépenses frivoles et de perceptions injustes et que tes deniers fussent justement levés et bien employés et c’est ce même sens que t’enseigne Notre Seigneur avec les autres sens qui te sont profitables et convenables."
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