Élysée 2022 (42) : Emmanuel Macron en danger !
« Cela peut advenir. Ne croyez pas les sondages ou les commentateurs, qui seraient formels, qui vous disent que c’est impossible. (...) Mobilisation générale ! » (Emmanuel Macron, le 2 avril 2022 à La Défense).
Cette semaine est cruciale pour l’élection présidentielle puisque ce sont les derniers jours de campagne avant le premier tour le 10 avril 2022. C’est à ce moment que les choix se cristallisent, tandis que certaines chaînes d’information continuent encore à ne diffuser que presque exclusivement des informations en provenance d’Ukraine. Il y a une sorte d’autisme présidentiel dans certaines rédactions, peut-être parce qu’ils considèrent que l’élection est une formalité et pliée d’avance. Il n’en est rien, évidemment, et toutes les élections présidentielles ont apporté son lot de surprises.
Un des derniers sondages d’intentions de vote, celui réalisé du 1er au 4 avril 2022 par Harris Interactive – Toluna pour "Challenges" et publié ce lundi 4 avril 2022, a de quoi inquiéter le Président sortant Emmanuel Macron et ses soutiens. En effet, il montre qu’à l’évidence, rien n’est joué, ni au premier tour, ni au second tour.
Les sondages sont ce qu’ils sont et les instituts de sondage insistent lourdement : « Les intentions de vote mesurent un rapport de force à un moment donné. Elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme étant prédictives des résultats du scrutin. ». Donc, comme toujours, il faut les prendre pour ce qu’ils sont, une indication parmi d’autres. Toutefois, parce que nous sommes un pays de libertés, plusieurs instituts proposent des sondages en concurrence, et si les résultats absolus (les pourcentages) varient en fonction des calculs et des redressements, il y a une belle cohérence sur leurs évolutions : les tendances sont les mêmes pour tous les instituts de sondage.
Et quelles sont les tendances depuis deux semaines ? Une perte de vitesse des intentions de vote pour Emmanuel Macron, une montée très forte pour Marine Le Pen, également pour Jean-Luc Mélenchon, et un tassement pour Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Et cela autant au premier tour qu’au second tour, et c’est cela qui est très important de comprendre.
Dans le sondage Harris Interactive, la situation pour la majorité est très préoccupante car Marine Le Pen, avec 23% d’intentions de vote, talonne désormais Emmanuel Macron, 26,5%, tandis que Jean-Luc Mélenchon suit honorablement avec 17% d’intentions de vote. Viennent ensuite Valérie Pécresse et Éric Zemmour à 9,5% chacun, Yannick Jadot à 5%, Fabien Roussel à 2,5%, Jean Lassalle et Anne Hidalgo à 2%, etc.
Il y a manifestement une dynamique inquiétante pour Marine Le Pen, mais aussi pour Jean-Luc Mélenchon : il a phagocyté les intentions de vote pour Fabien Roussel (qui était monté jusqu’à 5%), pour Yannick Jadot (qui était monté jusqu’à 10%) et pour Anne Hidalgo (qui était montée jusqu’à 7%).
Je l’ai écrit et répété depuis longtemps : l’élection n’a jamais été jouée, y compris le premier tour. Si l’on regarde les tendances, la qualification d’Emmanuel Macron pour le second tour n’est pas d’une certitude absolue, il faut en être conscient. On peut se retrouver avec un face-à-face entre nos deux extrêmes récurrents depuis quinze ans.
D’autant plus qu’il pourrait y avoir des calculs tordus de certains électeurs d’Emmanuel Macron. Ainsi, l’humoriste Alex Vizorek, dans sa chronique du 5 avril 2022 sur France Inter, a fait part de la discussion de ses voisines de tablée dans un restaurant parisien : l’une disait à son interlocutrice qu’elle était favorable à Emmanuel Macron mais qu’elle allait voter pour Jean-Luc Mélenchon car un second tour entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon serait plus facile pour le candidat Président ! Or, ce qu’on constate avec ce sondage, c’est qu’une telle tactique (stupide) fait descendre Emmanuel Macron et monter Jean-Luc Mélenchon, mais certainement pas descendre Marine Le Pen. C’est un petit jeu très dangereux.
Et effectivement, il peut y avoir des mauvaises surprises. Prenons "l’indice de participation au premier tour" mesuré par Harris Interactive, qui cherche à déterminer le taux de participation. Il serait de l’ordre de 70%, ce qui est faible à moins d’une semaine du premier tour, même s’il est en hausse (de nombreux électeurs se décident au dernier moment).
Au premier tour du 21 avril 2002, il y a vingt ans, il y avait aussi une faible participation, 71,6% alors que le niveau "normal" se situe plutôt un peu en dessous de 80%. Ce faible niveau a fait le jeu des extrêmes, si bien que Lionel Jospin n’a pas pu participer au second tour. Le risque est le même pour Emmanuel Macron s’il ne parvient pas à mobiliser massivement son électorat dimanche prochain. Il est le seul représentant du gouvernement sortant et à ce titre, il attire toutes les oppositions, ce qui est commun dans ce genre d’élection (en 1981, la plupart des candidats faisaient le concours du meilleur "candidat anti-Giscard" !).
En ne faisant campagne qu’à une semaine du premier tour, Emmanuel Macron a oublié un effet important : faire campagne mobilise et fait évoluer l’élection. Toutefois, Emmanuel Macron a encore fait très peu de déplacements, et il est piégé par la stricte égalité du temps de parole qui l’empêche d’expliquer précisément tant son bilan que ses propositions, c’était le cas le 4 avril 2022 à la matinale de France Inter où il n’a même pas eu une demi-heure pour s’expliquer. Ses concurrents ont bénéficié pendant plusieurs mois d’un temps de parole illimité pendant la précampagne, de meetings retransmis en direct dans leur intégralité, etc. C’est comme si dans un banquet, les serveurs vous apportent tous les plats en même temps et vous disent : vous avez cinq minutes pour tout manger et tout digérer !
Ainsi, malgré son excellence tant sur la forme que sur le fond, tant sur le bilan, les valeurs que sur le projet, la couverture médiatique du grand meeting d’Emmanuel Macron à l’Arena de La Défense a été très mal assurée pour des raisons constitutionnelles, entre deux comptes-rendus de meeting de concurrents. Pour se faire entendre, il faut marteler, et je le répète, même De Gaulle a dû faire campagne, il a été lessivé par le premier tour en 1965 parce qu’il n’avait pas voulu faire campagne.
Les intentions de vote pour le second tour, plus hasardeuses puisque les résultats du premier tour ne sont pas connus, montrent cependant la même tendance : Valérie Pécresse et Éric Zemmour ne sont plus dans la compétition, et les écarts se réduisent dans les duels entre Emmanuel Macron et respectivement Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. J’insiste aussi : même face à Jean-Luc Mélenchon, certes, il a encore 16 points d’écart, mais c’est en nette diminution (c’était 34 points il y a moins d’un mois !).
Là où il y a une réelle menace pour le Président de la République, c’est face à Marine Le Pen dont l’écart est insignifiant : un duel à 51,5% vs 48,5% quand la "marge d’erreur" est de 2,3, cela signifie que le candidat à qui on a attribué 51,5% d’intentions de vote peut avoir entre 49,2% et 52,8% (ce que Harris Interactive appelle "marge d’erreur" ou "intervalle de confiance" est pour moi en fait le demi-intervalle ou demi-marge). En clair, une victoire de Marine Le Pen est possible, d’autant plus qu’elle est en évolution ascendante.
L’une des raisons de cette ascension de Marine Le Pen (et qui explique aussi l’effondrement d’Éric Zemmour qui n’a cessé de s’obséder sur l’immigration), c’est que le thème majeur des électeurs, on le dit depuis l’été dernier, c’est le pouvoir d’achat à un moment où la guerre en Ukraine provoque de l’inflation supplémentaire. C’est d’ailleurs une bonne nouvelle, le pouvoir d’achat : ce n’est pas l’emploi, c’est le pouvoir d’achat. C’est-à-dire qu’on a enfin un emploi, mais on reste encore dans une situation économique dégradée. C’est un signe positif du bilan d’Emmanuel Macron : le chômage est redescendu à 7,4% de la population active, c’est le plus bas depuis quinze ans, et le thème marquant du projet d’Emmanuel Macron, c’est le plein emploi dans cinq ans (plein emploi, cela signifie un taux de 5% ou moins).
C’est ce qu’a mesuré aussi Harris Interactif : la thématique qui compte le plus, à 59% des sondés, est le pouvoir d’achat, suivi de la santé 36%, les retraites 35% et l’immigration 34%. L’environnement et l’emploi n’arrivent qu’en sixième et huitième position, respectivement, à 23% et 21%. De manière incompréhensible si l’on regarde précisément son programme et son financement, Marine La Pen apparaît plus crédible qu’Emmanuel Macron sur la garantie du pouvoir d’achat, respectivement 47% et 42% des sondés (et c’est très nouveau, il y a deux semaines, c’était 38% et 44%). Donc, Emmanuel Macron doit continuer à rappeler que le pouvoir d’achat des Français a augmenté durant les cinq dernières années, qu’il a supprimé la taxe d’habitation, augmenté la prime d’activité etc. et que, en particulier, il compte amener le minimum vieillesse à 1 100 euros et tripler la "prime Macron".
L’enseignement de ce sondage parmi d’autres qui montrent la même tendance, c’est que rien n’est joué, mais on le savait déjà. Plus important, ceux des électeurs qui ne veulent absolument pas voir arriver à l’Élysée, au cœur du pouvoir, en responsabilité jusqu’à devoir utiliser ou pas une arme nucléaire en cas d’agression majeure, ceux qui ne veulent absolument pas ni de Marine Le Pen dont on a excessivement banalisé l’extrémisme d’exclusion, ni de Jean-Luc Mélenchon dont le communautarisme ferait de la France un pays profondément divisé, n’ont, dès le premier tour, qu’un seul choix, celui du candidat Emmanuel Macron, car tout autre choix sera un vote perdu, que ce soient Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Anne Hidalgo ou d’autres.
Beaucoup d’électeurs du 21 avril 2002 ont été traumatisés par les résultats de ce premier tour et par leur comportement électoral un peu léger. Je sais que la mémoire est courte, mais ici, l’enjeu est très grave, il ne s’agit pas de se retrouver le 24 avril 2022 avec un face-à-face entre deux imposteurs professionnels Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Le choix d’Emmanuel Macron s’impose donc dès le premier tour et je souhaite que Nicolas Sarkozy prenne la parole cette semaine pour le dire clairement.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Les graphiques proviennent du baromètre d’intentons de vote à l’élection présidentielle de 2022, vague 40, réalisé par Harris Interactive – Toluna pour "Challenges", publié le lundi 4 avril 2022, réalisé en ligne du 1er au 4 avril 2022 auprès d’un échantillon de 2 531 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, dont 2 200 personnes inscrites sur les listes électorales.
Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (42) : Emmanuel Macron en danger !
Élysée 2022 (41) : Emmanuel Macron descend dans l’arène.
Élysée 2022 (37) : Emmanuel Macron n’est pas (encore) réélu !
Élysée 2022 (36) : pour qui votera Nicolas Sarkozy au premier tour ?
Élysée 2022 (35) : le projet présidentiel du candidat Emmanuel Macron.
Élysée 2022 (33) : Emmanuel Macron à 30% ?
Élysée 2022 (32) : Emmanuel Macron candidat !
Élysée 2022 (29) : Emmanuel Macron sera-t-il candidat un jour ?
Enfin, une vision européenne !
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