La Grèce a été secouée par 3 semaines de troubles, parfois graves. Aujourd’hui que la tension est retombée, on peut en tirer un premier bilan. Il est ainsi intéressant de noter que le déroulement des événements a été trés proche de ce qui s’est passé en France en 2005.
Tout a commencé par un accrochage entre des « jeunes » et la police dans le quartier Exarchia d’Athènes réputé (je n’en avais jamais entendu parler jusqu’ici) pour être un « repaire d’anarchistes » (en fait, c’est un quartier étudiant, avec des sièges de partis de gauche, de syndicats, des maisons d’édition, des galeries d’art, des bars branchés, une sorte de quartier latin, au fond, peut-être en moins huppé…). Apparemment, les jeunes auraient jeté des pierres (dans quel contexte ?) sur une voiture de police dans laquelle se trouvaient 2 flics. Dans des circonstances encore obscures, au moins un des flics a ouvert le feu et un gamin de 15 ans a pris une balle en plein cœur qui l’a tué sur le coup. Pour mémoire, en France, il s’agissait de 2 jeunes de Villiers le bel (95), 15 et 16 ans, qui s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF pour échapper à un contrôle policier et avaient trouvé la mort. Dans le cas grec, les policiers ont immédiatement été mis en examen pour homicide et complicité, mais rien n’y a fait : aussitôt, des manifestations s’organisent pour dénoncer les « violences policières ». Les médias français font état d’un climat de brutalité policière, ces derniers mois. Néanmoins, il semble que le dernier accident de ce genre dans ce quartier remonte à 23 ans (et les premiers éléments d’autopsie laissent à penser que la balle aurait atteint le gamin après ricochet). Naturellement, le gouvernement est de droite (réélu à l’automne 2007). En tout état de cause, les manifestations dégénèrent vite en émeutes dans lesquelles se mêlent affrontement avec les policiers, dégradations matérielles et pillages. Ces événements se déroulent semble-t-il dans une phase de tension sociale, trouvant ses origines dans des affaires de corruption compromettant le gouvernement actuel (en fait, la corruption est considérée comme endémique en Grèce par les organismes internationaux, elle touche toutes les institutions, jusqu’à l’Eglise orthodoxe) et dans la crise économique (alors que la croissance du PIB tourne autour de 4% depuis plusieurs années, tx de chômage de 10% en 2005, 8,4% en 2008). On parle notamment de « génération à 700 € » que les médias français présentent comme « le salaire moyen d’embauche d’un jeune en Grèce, actuellement » (en réalité, c’est le salaire minimum en Grèce, qui est de 668€ net, soit dans la moyenne UE, contre 1254€ en France mais 114€ en Roumanie).
Difficile d’avoir des informations fiables et précises dans les médias français mais il semble bien qu’une agitation « anarchiste » (ou d’extrême-gauche) couvait depuis quelques mois dans le pays autour de la question des immigrés clandestins, des centres de rétentions, etc… (là encore des problématiques qui sonnent familièrement à des oreilles françaises). Une manifestation à ce propos aurait même dégénérée à Athènes quelques jours (ou quelques heures ?) avant la mort du jeune (est-ce d’ailleurs lié à l’accrochage avec la police à l’origine du drame ?).
Il semble évident que dans cette affaire des groupes politiques organisés sont à l’œuvre (anarchistes, extrême gauche, ultragauche, si on veut). On reconnaît leur signature dans leur équipement « professionnel » (cagoule, masque, casque, cocktail molotov) ainsi que dans leurs objectifs (affrontement avec la police, occupation de lieux publics, en particulier, des écoles). De ce point de vue là, le mouvement se rapproche plus de ce que l’on a connu lors des manifestations anti-CPE en France, en 2006 (notamment, occupation de La Sorbonne, de l’EHESS). Il semble tout aussi évident que ce mouvement n’est pas le seul fait d’activistes habituels en campagne de déstabilisation. Comme toujours dans ces cas-là se greffent sur l’agitation entretenue tout ce que la population, en particulier les jeunes, compte de membres ayant pour une raison ou une autre, sociale ou personnelle (voire métaphysique), une colère, une frustration à exprimer. Dans cette foule impulsive, ils trouvent un exutoire qui leur semble salvateur, qu’ils peuvent ensuite justifier a posteriori, par les raisons évoquées ci-dessus (violence policières, climat économique,…), ou alors laissé sans justification (simplement l’aspect défoulant, voire récréatif, des émeutes). Comme souvent, face à ses événements, l’opinion publique grecque est partagée. Naturellement, le gouvernement joue le pourrissement qui rendrait les émeutiers de plus en plus impopulaires. On notera l’attitude assez étonnante de l’opposition de gauche (PS et PC), qui appellent à la démission du gouvernement et à des élections anticipées (dans les médias français, on ne relaie pas d’appel à l’apaisement ou de condamnation des incidents de leurs parts ?). Enfin, se mêlent également à la foule de simples délinquants, ou nécessiteux, qui y voient une bonne occasion de récupérer quelques marchandises à moindre frais.
Malgré tout, ces événements, qui se sont très rapidement étendus à plusieurs villes de Grèce, s’ajoutant aux agitations de 2005 et 2006 en France, démontrent très probablement une belle santé des groupes activistes d’extrême gauche en Europe. Il serait sans doute compliqué de les dénombrer précisément, surtout qu’il faudrait distinguer les leaders, membres actifs, simples sympathisants, adjuvants occasionnels… On peut néanmoins penser qu’ils sont bien structurés au niveau régional, national et sans doute paneuropéen (ainsi, un petit attentat en Grèce a été revendiqué par un groupe anarchiste, en soutien aux membres de la cellule de Tarnac incarcérés en France suite au sabotage d’une ligne TGV) et qu’ils se sentent suffisamment forts pour passer à l’acte à la moindre occasion favorable. Dans ce contexte, naturellement, toute bavure policière, touchant des jeunes de préférence (mythe de l’innocence de l’enfant… même multirécidiviste : ce qui n’est pas le cas en Grèce, notons-le, ni à Villiers le bel, me semble-t-il, où les jeunes victimes apparaissent plutôt comme des individus « sans histoire ») est une véritable aubaine.
La police est naturellement la cible privilégiée des groupes politiques fondamentalement opposés à l’Etat démocratique (extrême gauche et extrême droite). L’extrême droite ayant plutôt pris le parti du noyautage, l’extrême gauche se retrouve dans une posture d’opposition frontale et complète. Au travers de nombreux mouvements (manifestations, blocage de lieux publics), on peut penser qu’ils provoquent justement pour rechercher la bavure et ainsi pouvoir monter, avec l’aide (plus ou moins consciente) des médias, l’opinion publique, contre la police, donc contre l’Etat. Ils s’appuient en cela sur deux piliers de nos société occidentales contemporaine : la médiatisation à outrance et une sorte de religion droit-de-l’hommiste rampante. Les manifestants balancent des boules de pétanque sur la Police mais l’opinion publique hésite à autoriser la Police à utiliser le Taser. Soyons clairs : les policiers ne sont, à titre individuel, pas toujours exempts de tout reproche. Dans l’affaire grecque, l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre semblent, en particulier, discutable. De manière générale, cependant, les activités des polices sont étroitement surveillées et les fautes graves restent rares (il faudrait vérifier les stats mais je doute que les violences policières soient dans une phase ascendante, en terme de morts, en particulier. Au début du XXème siècle, il n’était pas rare que des manifestations fassent plusieurs victimes). Le bon peuple, inspiré en cela par les « intellectuels », par les médias, rejette simplement, par principe, par idéologie - ce que j’appelle la religion droit-de-l’hommiste - toute forme de violence à la personne. Le problème c’est que dans les faits la police, force de l’ordre de l’Etat, est effectivement amenée à utiliser la force, à démontrer sa force, tendant ainsi à une forme de violence. Cette violence étatique, il convient naturellement de la minimiser, de la contrôler autant que possible mais elle demeure inévitable (après tout, l’enfermement carcéral est, en soi, déjà une forme de violence). Les groupes anarchistes s’opposent eux à l’existence même de toute police, car ils rejettent l’ordre, les lois que celle-ci défend. Dans les mouvements d’ampleur, où se mêlent anarchistes et tout-venant, il y a donc une confusion dont les groupes politisés savent jouer à merveille. Le tout-venant dit : « je rejette la violence de la police ». L’anarchiste dit : « je rejette la police qui est violente ». Naturellement, le quiproquo ne tient pas sur le fond et, donc, il ne tient pas dans la durée.
La mort d’un gamin de 15 ans dans ces circonstances demeure absurde, d’autant plus que si le gamin à des tendances anarchistes à 15 ans, rien ne dit qu’il ne sera pas trader à 25. Dans de telles circonstances, il n’est donc pas anormal de s’indigner, de s’inquiéter. Tout accident de ce genre peut (doit ?) être une occasion de réévaluer l’action, les procédures, les effectifs des forces de police. Il faut par contre se garder de généraliser les critiques : qu’un policier ait fauté (et il faut prouver qu’il y a faute) dans une circonstance particulière ne suppose pas que l’on mette en accusation la police dans son ensemble, encore moins l’Etat ou seulement le gouvernement en place (démocratiquement élu, faut-il le rappeler). Tout courant qui va dans ce sens a de toute évidence des motivations purement politiques, soit dans le but d’accéder au pouvoir, s’agissant des forces d’opposition (alors que tout parti proprement démocratique devrait se garder de surfer de quelque manière sur la vague d’un mouvement populaire minoritaire et violent), soit dans le but de renverser purement et simplement l’Etat, pour les courant révolutionnaires et/ou anarchistes.
Dans les systèmes idéologiques, ce qui est frappant chez les mouvements anarchistes et d’extrême gauche, c’est la pertinence globale de leurs différentes critiques du système capitaliste / démocratie représentative. Ça ne va pas sans certaines exagérations, naturellement, mais on peut dire que cela reste quand même leur domaine d’excellence, ce qui explique sans doute, d’ailleurs, leur persistance à travers les époques et leur capacité toujours renouvelée à recruter des partisans, jusque dans les couches les plus privilégiées, socialement et intellectuellement, de la population. A ce titre, on s’aperçoit que les cadres des mouvements anarcho-autonomes, mis à jour au travers de la cellule de Tarnac en France, sont de jeunes adultes, venant plutôt de milieu aisés et ayant fait des études très pointues dans des domaines d’ailleurs assez divers (sciences sociales, philosophie, archéologie…). C’est à creuser mais on peut penser que ces individus très diplômés (voire surdiplômés) ne trouvent pas leur place, ou en tout cas pas une place qui leur semble suffisante, dans le système actuel, qui a plutôt tendance à « récompenser » des intelligences plus pratiques, voire des individus beaucoup plus superficiels, cyniques ou simplement « grandes gueules ». Ils rentrent donc dans une opposition radicale au système dans son ensemble, recherchant alors à se rallier les classes véritablement déshéritées. On le voit notamment dans le texte L’insurrection à venir, signé par une mystérieuse « cellule invisible » (et attribué par les médias au leader de la cellule de Tarnac), où des idéologues (faut-il les qualifier d’anarchistes ? d’anarcho-autonomes ? d’ultra-gauche ? quoi d’autre ?) tentent un peu désespérément de récupérer les émeutes des banlieues de 2005, invoquant également la révolte de la Mafia K1fry (groupe de hip hop du 94) contre les chanteurs bobo parisiens. De même, l’un des inculpés de la cellule de Tarnac, sitôt sorti de prison (préventive), court les médias pour dire qu’il est innocent, dénoncer la qualification en « terrorisme » de l’acte de sabotage et raconter qu’il était en cellule avec un jeune de Villers le bel, avec lequel il a naturellement sympathisé. Ils ont décidément la propagande dans le sang ! Je doute cependant que l’alliage intellectuels anarchistes / jeunes de banlieue soit voué à un grand avenir, même s’ils peuvent un temps être des alliés objectifs. Je pense que ce rapprochement est néanmoins l’un des grands objectifs actuels des groupes anarchistes (la réciproque n’est pas vraie, inutile de le dire).
Si, donc, leur critique du système est le point fort des idéologies d’extrême gauche, leur faiblesse est indubitablement leurs propositions alternatives. Dans les discours, dans les écrits, elles sont déjà quantitativement très minoritaires par rapport aux développements critiques. De surcroît, elles sont souvent très vagues ou très partielles et transpirent souvent d’une incroyable naïveté par rapport aux réalités du monde, de la nature humaine. Dans L’insurrection à venir, la seule perspective positive est la création de communes mais sans jamais rentrer dans le détail de leur nature et de leur fonctionnement. En fait, les idéologues anarchistes, comme révolutionnaires, semblent perdre de vue que les ressources ne sont pas illimitées et pas naturellement réparties de manière égale sur les différentes zones géographiques. Ainsi, la violence dont ils sont contraints d’user pour renverser l’Etat ne s’éteindra pas d’elle-même dans une forme d’autorégulation bienveillante entre les communautés nouvellement constituées, à moins de reconstituer un Etat tout aussi autoritaire, voire plus que le précédent (type URSS). On le sait, plus une population adhère à un système étatique, moins l’Etat a à être autoritaire (l’adhésion n’étant jamais totale, un Etat a toujours à être autoritaire). Dans le cas contraire se constituerait pour de bon un contexte anarchique, dans lequel les rapports de force, d’individus à individus, de communauté à communauté, seraient, au moins dans un premier temps, dominants (le second temps constituerait en un équilibre où les plus forts auraient accès aux meilleures ressources et les plus faibles aux conditions de vie les plus difficile… rien de très idyllique). Il ne faut naturellement pas négliger non plus la menace des puissances extérieures, en cas de révolution locale. Ces points pourtant basiques ne sont pas mêmes abordés par la plupart des idéologues actuels. Cela rend toute leur démarche caduque et explique que leurs actions ne se résument pour le moment qu’à des poussées violentes mais très brèves. Le gros des troupes, peu politisé, pas séduit par le peu de propositions des idéologues, rentre bien vite dans le rang.
Je ne suis personnellement pas contre des expérimentations alternatives mais sur des bases idéologiques plus solides et sérieuses que ce qui existe actuellement (essentiellement des mouvements de contestation, pas de proposition). Les modèles actuels ne sont pas nécessairement mauvais mais ne sont viables qu’en tant que système parasite d’un Etat plus vaste et organisé. On l’a bien vu avec la communauté de Tarnac qui vivait très bien, en profitant à la fois de prestations sociales et d’un peu de commerce. Je comprends d’ailleurs mal ce qui pousse ces courants à vouloir absolument tendre à l’universalité, vouloir imposer leur modèle à tous : on retombe sans doute là dans des facteurs individuels de colère et de frustration par rapport à la société en générale. Or, pour ces mouvements, l’extension signifie corruption de leur principe de base et donc disparition à terme.