Emmanuel Macron en marche vers la terre promise ou bien Waterloo ?

Le premier ministre vient d’être nommé. On connaît bien ses positions et son positionnement, d’abord fidèle rocardien et plutôt à gauche, il a basculé à droite en restant dans la mouvance modérée, celle incarnée par Alain Juppé. C’est un homme d’influence comme on dit, avec certainement un carnet d’adresse et un réseau. Sa participation à la réunion Bilderberg de juin 2016 en atteste. Mais n’en fait pas pour autant un diable. Cette réunion a vu aussi Christine Lagarde côtoyer un responsable du Point ainsi que la biologiste Emmanuelle Charpentier. Les décideurs aiment bien échanger leurs manières de voir le monde pour l’améliorer ou l’utiliser.
La nomination d’Edouard Philippe a étonné les observateurs politiques et les électeurs. Pourtant, des connivences souterraines étaient connues. Ayant pu discuter avec des militants en marche avant le second tour de la présidentielle, j’ai su que le candidat en marche pressenti pour la circonscription de Bègles-Talence n’était autre qu’un adjoint modem à la mairie de Bordeaux, propulsé par le maire Juppé. Pour le reste, cette cuisine politique du monde d’après laissera un goût amer aux électeurs de gauche qui ont voté Macron. Pour ma part, je préfère prendre de la hauteur et tenter de voir ce qui se précise pour le quinquennat à venir plutôt que gémir en maugréant sur les élites.
La nomination de E. Philippe prend un sens assez clair si l’on note que Macron « aurait fait exploser » le PS et maintenant « s’apprêterait à fracturer » les LR. Avec un objectif, celui de créer un grand rassemblement de personnalités considérées comme progressistes par-delà les anciens clivages gauche droit ayant joué le rôle de pôle structurant pendant quelque six décennies de 5ème république. Le sens clair et évident ne rejoint pas forcément le sens philosophique. Macron joue avec la politique et c’est une bonne tactique. Mais pas forcément une bonne stratégie. Macron, tacticien ou stratège ? Nous verrons bien pour celui que d’aucun ont qualifié de Bonaparte du numérique. Une chose est certaine, Macron et Philippe connaissent très bien le fonctionnement du système. Et c’est ce qui plaît aux gens qui sont dans le système et savent tirer leur épingle du jeu. D’autres n’aiment pas le système ou sont en colère d’être déclassés. Ils votent Mélenchon ou Le Pen. C’est un grand défi pour Macron que de convaincre ces gens qu’ils peuvent avoir leur place.
Alors, tactique ou stratégie ? Il faut considérer que les recompositions politiques ne se décident pas uniquement avec les manœuvres des élites qui ont le levier ni avec les bavardages médiatiques. Les gens ont un bulletin de vote pour les prochaines élections qui s’annoncent incertaines. Macron ne devrait pas trop compter sur un désir de changer d’ère. Les citoyens apprécient ce personnage bienveillant mais sont perplexes face à cette conquête transgressive. Peut-être est-ce bien joué. Un test pour voir comment les LR vont se déterminer. Avec deux effets opposés et tout à fait plausibles. Le repliement ou l’éclatement vers une recomposition. A gauche, le PS peut très bien se refaire une santé en se dégageant de l’impasse Mélenchon.
Macron s’essaie au jeu d’échec une fois de plus. A-t-il plusieurs coups d’avance ou bien a-t-il joué une mauvaise pièce sur l’échiquier avec Philippe ? Ce signal à droite peut donner des ailes au républicains et remobiliser la famille socialiste. L’électeur désarçonné peut décider de revenir en arrière, ce qui affaiblira les candidats de la république en marche. A l’instar du peuple d’Israël qui dans l’Exode traverse le désert, s’insurge, ce qui conduit Moïse à leur demander s’ils préfèrent œuvrer dans de nouveaux temps ou bien revenir à la situation faussement dorée de l’esclavage en Egypte. Nombre de Français sont certainement en état d’oscillation, entre le passé PS-LR qui n’a pas trop marché mais qui est connu et un futur en marche s’avérant incertain pour ne pas dire inquiétant. Les électeurs vont trancher en juin 2017.
Pour l’instant, on peut tracer la question politique sous l’angle de l’identité. Le PS a vu son identité se fracturer pendant le quinquennat Hollande. Les primaires ont acté cette division. Chez les LR, même configuration. Les courants Fillon et Sarkozy ne sont pas compatibles avec Macron. Ensuite, ce sont les politiciens en personne qui jugent s’ils sont compatibles. Et par une étrange métamorphose, quelques-uns se découvrent subitement une affinité nouvelle dès lors qu’un poste est en vue. Quant à l’électeur, il est désorienté avec l’identité perdue ou fracturée des LR et du PS, mais il ne connaît pas encore l’identité de la REM. C’est un drôle de pari que de voter pour un parti dont on ne connaît pas l’identité exacte et qui du reste n’en a pas encore. Il faut du temps pour façonner une identité. (Si j’étais Heidegger, j’écrirais un livre intitulé identité et temps. Quoique, ce livre est déjà écrit en contre-jour, dans ma thèse de 1996 intitulée procès et miroir)
Un monde apocalyptique est en vue. Il risque d’être accompagné de troubles et de révélations au sens philosophique et mystique. Néanmoins, si pour les troubles on peut être certain, les révélations n’adviennent pas nécessairement et ne sont jamais comme on les attend. Etrange stratégie. Espérons que ce ne sera pas une étrange défaite. Ce 14 mai au soir de l’investiture, mon esprit était marqué par de sombres pressentiments. Malgré un excellent dimanche, je ne pouvais ressentir d’émotions positives et sereines. Tout devient possible, y compris une dissolution de l’Assemblée d’ici deux ans. C’est prévu dans la constitution et cette éventualité confirmerait le côté américain de Macron qui par cette procédure, nous placerait dans la situation d’une élection à mi-mandat.
Le pouvoir est une chose, les tensions et les forces traversant une société et parfois fracassant le cours de l’Histoire sont puissantes. En marche, ne l’oublions pas, c’est, en sacrifiant au cliché, une communauté hétéroclites de pèlerins métropolitains du numérique naviguant entre les open bars du soir pour une détente en bonne compagnie tout en s’affairant dans les start-up la journée face aux écrans plats. La France ce sont aussi des travailleurs à la peine, pas certain d’être encore aux machines les années suivantes, des agriculteurs en souffrance, des jeunes en désespérance, des déclassés et des perdants avérés (pour les distinguer des perdants narcissiques traversés par les envies et le sentiment de mal vivre). Bref, nous sommes avec deux catégories, ceux qui accrochent le temps et ceux qui décrochent. Et c’est le défi pour Macron que de créer les conditions de l’accroche. A bon entendeur !
On se souviendra de ce 14 mai. Cette marche solitaire. Une pyramide. Deux symboles. La sortie d’Egypte et la terre promise par Moïse ou bien la révolution technumérique et son Bonaparte traversant le Rhin pour conquérir l’Europe avec le spectre de Waterloo. En marche et deux destins, la sortie d’Egypte ou la campagne d’Egypte. Il manquait à cette scène une figure elle aussi symbolique, le Sphinx et son énigme.
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