En France, qu’en est-il de la justice fiscale et de l’équité devant l’impôt ?
En cette fin d'été les gérants d'actifs retrouvent le sourire au vu de la publication des très bons résultats semestriels des sociétés du CAC 40 et des montants records de versements de dividendes aux actionnaires ( 45,6 Mds d'Euros en 2021 d'après le Vernimmen ) dans un contexte de retour en force des rachats d'actions ( 23,8 Mds d'Euros en 2021 ) en raison du manque d'opportunité d'Investissements dont la rentabilité serait supérieure au cout du capital. Dans ce contexte, il convient de s'interroger sur les moyens de lutte contre l'évasion et la fraude fiscale engagés par l'Etat français au travers des services de son administration fiscale, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) administration régalienne créée en 2008 sous l'autorité de Nicolas Sarkozy qui a connu une baisse continue de ses moyens humains.
La réforme de l'optimisation fiscale des multinationales
Les dirigeants du G20 se sont accordés en Juillet 2021 pour mettre en place un taux d'imposition minimum mondial de 15% sur les multinationales dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 Millions d'Euros sous l'égide des services fiscaux de l'OCDE, visant à réparer les injustices causées par la délinquance fiscale transfrontalière. Cet accord que l'on peut qualifier d'historique, soutenu par 140 pays, donne lieu à une nouvelle dynamique visant à ce qu'il y ait le moins de distorsion entre le taux d’impôt payé par les entreprises « intensives » en actifs immatériels que sont les géants du numérique et celui des PME locales. En France, parmi les stars du CAC 40, Air Liquide, LVMH, L'Oréal... sont visés par cet accord. A partir de statistiques publiées par Bercy chaque année on observe que les PME ont un taux d'imposition effectif de 24,24% alors qu'il s'élève à 17,53% pour les 307 plus grandes sociétés françaises. Le coût de cet évitement fiscal en France est très élevé. Selon une étude récente actualisée en 2020 (1) il serait proche de 13, 3 Md d'Euros, soit 22% des recettes de son IS. De plus centre de gravité des groupes de sociétés se déplace, les maisons-mères sont localisées dans des pays à faible fiscalité ( L'Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg ) conduisant à une diminution de leurs investissements en France et des recettes fiscales de l'Etat. Les techniques d'ingénierie juridique brouillent les frontières entre le légal et l'illégal. Les multinationales localisent leurs profits dans des pays à faible fiscalité au travers la manipulation des prix de transfert entre filiales, l'utilisation de produits financiers hybrides ( OBSA) ... Enfin le Conseil Constitutionnel a la possibilité de censurer les mesures législatives bénéfiques à l’intérêt général en matière de fiscalité et de transparence des activités des multinationales. Il n'a pas manqué de le faire. Il a censuré en 2016 les dispositions concernant le “ Reporting Public pays par pays “, représentant l'obligation de publier des comptes d'exploitation pays par pays ces dispositions s'appliquant depuis 2014 aux banques.
Il a censuré en 2017 la loi relative au devoir de vigilance des sociétés-mères vis à vis de leurs filiales visant à poursuivre une multinationale pour des atteintes graves aux droits humains ou à l'environnement occasionnées par ses filiales. Ces dernières années les sages ont ainsi fait primer la défense des privilèges des grandes entreprises au détriment de l'intérêt général.
Evaluation de la fraude à la TVA
Principal impôt de l'Etat, la TVA occupe une part importante des recettes des collectivités territoriales et de la Sécurité Sociale. Au moment où le gouvernement prépare son projet de loi de finances, revenons sur l'Insee qui a réalisé au cours de ce mois de Juillet une estimation des montants manquants de versements de TVA en s'appuyant sur des données de contrôle fiscal transmises par la DGFiP « Nos résultats suggèrent que le montant total de TVA non recouvré serait compris entre 20 et 25 MD d'Euros pour l'année 2012. » Qu'en est-il depuis ? Les effectifs du contrôle fiscal ont considérablement baissé, le nombre assujettis à la TVA est passé de 5 millions en 2012 à 7,5 millions en 2021 révélant l'extension du champ de la fraude, qui s'avère aussi très importante au niveau des acteurs du e-commerce. L'inaction de l'Etat paraît incompréhensible sauf à considérer l'incapacité ou la volonté du Ministère des l'Economie et des Finances à mettre fin à ce type d'infraction. Le document officiel décrivant le bilan des réformes de la productivité de l'action publique 2021 stipule « Le projet de facturation électronique améliorera la compétitivité des entreprises ( ...) dans le cadre de la TVA à l'ère du digital. »
En pratique, quelles sont les solutions au niveau national ?
Il conviendrait d'abord de renforcer la coopération politico-administrative et judiciaire. Le Parquet National Financier créé en 2013 ne compte que 18 juges d’instruction, sa section financière instruit les dossiers de droit pénal des sociétés, de droit pénal boursier et de droit pénal fiscal. Un rapport parlementaire publié en 2017 indique qu'il a atteint un seuil critique pour le traitement des dossiers économiques et financiers complexes dont il est saisi. La faiblesse de ses moyens conduit à une augmentation des impôts payés par les particuliers qui représentent en 2019 21% des recettes fiscales de l'Etat ( Source OCDE). La fermeture des services publics de proximité et la baisse de 20% des effectifs de la DGFiP depuis10 ans conduisent à la minoration des recettes de l'Etat. A ce propos la Cour des Comptes dans son rapport 2019 constate que la baisse des effectifs « n'a pas été compensée par l'amélioration de leur efficacité ». Elle qualifie aussi la fraude aux prélèvements obligatoires de « phénomène multiforme en constante évolution. » A notre connaissance, aucun des services de l'Etat ne s'est penché depuis sur une estimation réaliste de la fraude. Enfin, la Défenseure des Droits, Claire Hédon a mis en avant dans son rapport d'activité 2021, à propos de la dématérialisation des services publics, la fracture numérique qui est un obstacle pour les personnes âgées , celles en précarité sociale, certains jeunes. Pour elle faut absolument maintenir les accueils physiques. Alors que la société civile a fait progresser le niveau technique du débat par l'intermédiaire d'actions d'ONG très mobilisées regroupées au travers de la Plateforme des Paradis Fiscaux et Judiciaires, que nous disent les services de l'Etat ? Un communiqué de presse du Ministère de l'Economie et des Finances publié le 03 mars 2022 « se réjouit des bons chiffres de la lutte contre la fraude fiscale en 2021... Ce sont pas moins de 13,4 Mds d'Euros qui ont été notifiés aux particuliers et aux entreprises » visant particulièrement la fraude à la TVA et la fraude patrimoniale.
La volonté politique est primordiale dans cette bataille contre la fraude et l'évasion fiscales. Les locataires de Bercy devraient enfin se pencher sur la question de l'évasion fiscale et de la liberté de frauder de certains au risque de mettre en péril l'édifice et le rôle de l'Etat au travers de l'évitement au consentement à l'impôt, au manque de recettes pour financer les besoins sociaux et ceux liés à l'urgence écologique, à l'accroissement de l'injustice fiscale. La charge d’intérêts de la dette publique qui s'élevait à 34,7 Mds d'Euros en 2021 devrait atteindre 46,3 Mds d'Euros en 2021 en raison du retour de l'inflation. Les baisses d'impôt réalisées au cours du premier quinquennat d'Emmanuel Macron qui ont visé essentiellement la fiscalité du capital avec l'instauration de la « flat tax » ont bénéficié aux plus aisés aux détriment des plus modestes. Dans la nouvelle configuration du Parlement, les débats risquent d'être houleux au cours de cet automne.
( 1) ThTorslov, L Wier, G Zucman, The missing Profits of nations
Eliane JACQUOT
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