Errances Vertes
Les Verts ont réussi leur pari. Profitant de la vague rose, ils ont fait élire dix-sept députés et nommer deux ministres. Cela a des avantages, qui font plus que compenser la débâcle de l’élection présidentielle, même si le moins que l’on puisse dire c’est que là où ils se présentaient seuls ils ont fait des scores très oubliables – un petit 6,08 % chez moi à Saint-Nazaire.
Le moins que l’on puisse dire aussi, c’est que leur participation au gouvernement commence très mal. Non seulement Daniel Cohn-Bendit critique ses camarades en parlant d’image détestable, d’arrivisme et de clan, mais les ministres d’EELV et notamment la première d’entre eux semble vouloir tout faire pour lui donner raison. Nous avons eu d'un côté Cécile Duflot demandant la légalisation du cannabis, mesure qui se défend mais n'aura qu'une influence assez limitée sur le caractère soutenable ou non de notre économie, et de l'autre la même Cécile Duflot étalant son impuissance dans l'affaire du pétrole de Guyane, sujet pourtant autrement plus central dans ce qui devrait théoriquement être le projet écologiste.
Apparemment, appartenir à un gouvernement qui bafoue votre projet exige quelques sacrifices.
Il serait facile de taxer les Verts d’arrivisme et de corruption. La réalité est, naturellement, beaucoup plus complexe. Dans un système comme le nôtre, où l’action politique exige toujours plus de moyens et où ces moyens viennent de plus en plus des subventions publiques et des indemnités des élus, il est vital pour un parti d’en avoir, si possible à tous les niveaux de décision.
Évidement, si ses résultats électoraux ne lui permettent pas d’obtenir seul des élus ou des postes à responsabilités – ce qui est le cas d’EELV dans les scrutins majoritaires ou semi-majoritaires – il doit faire des alliances, directement ou indirectement, avec l’un ou l’autre des deux partis dominants. Cela n’a en soi rien de honteux. L’alternative serait de faire comme les groupuscule d’extrême-gauche : faire des candidatures de témoignage, vivoter en attendant que quelque chose se passe et entretenir une poignée de permanents en faisant payer des cotisations exorbitantes à ses membres.
Cela a des conséquences, cependant. Les élus qui peuvent vivre de leurs indemnités – ce n’est pas la majorité, soit dit en passant – deviennent une sorte d’aristocratie consacrant l’ensemble de leur temps et de leur énergie à la politique. Autours d’eux se forment une sorte de bureaucratie de permanents, d’assistants et de chargés de missions qui vivent – pas forcément très bien d’ailleurs – de la politique.
Ils n’ont, on les comprends, aucune envie de perdre leur emploi, surtout dans le contexte actuel, et le fait qu’ils fassent de la politique à temps plein leur donne une influence considérable sur les choix stratégiques du parti. Ajoutez à cela un électorat qui préfère, et de loin, les symboles creux aux actions concrètes et on comprend pourquoi les vrais enjeux passent au second plan.
Le cœur de l’électorat des Verts appartient aux classes moyennes supérieures, les fameux bobo. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement vrai de tous les écologistes. Il y a une écologie de droite – et même d’extrême-droite – qui ne partage pas le goût des bobos pour la bonne conscience ostentatoire, ce qui ne veut pas dire qu’elle leur soit supérieure. Il y a aussi une écologie pseudo-radicale et gauchisante qui attire ceux que j’appellerais les révolutionnaires RSA (ainsi que, pour être honnête, un nombre assez conséquent de bobos cherchant à recycler le gosplan ou l’autogestion). Les révolutionnaires RSA ne sont pas riches et sont généralement très fiers de vivre de minima sociaux... ce qui ne les empêche pas de vitupérer contre une société de consommation dont ils dépendent totalement pour leur survie. Leur objectif n’est pas de préserver leur style de vie (encore que...) mais leur sacro-sainte position de résistants au "système". Il va de soi qu’ils seraient extrêmement embêtés si le système en question implosait, ne serait-ce que parce que les canettes de bière ne poussent pas dans les arbres. On trouve principalement les révolutionnaires RSA dans les squats politiques, la branche anarchiste de l’altermondialisme ou les mouvement de chômeurs et de précaires où aucun chômeur dignes de ce nom irait s’égarer.
Les bobos sont humainement beaucoup plus sympathiques, mais ils sont socialement dans une impasse. Ils sont, sinon riches, du moins aisés, et tiennent à garder cette aisance. Ils tiennent, par ailleurs, à la justifier en s’engageant pour sauver ou améliorer le monde – une attitude qui, soit dit en passant, vient directement de la bonne veille morale catholique.
Le problème est que leur position sociale et, partant, leur position idéologique est totalement insoutenable. La capacité d’une société à entretenir une classe d’enseignants, de consultants en environnement, de psychothérapeutes ou d’architectes dépend directement de sa capacité à dégager des surplus. Ce n’est pas que tous ces braves gens ne servent à rien. La plupart rendent des services utiles (bon, peut-être pas les consultants en environnement) mais ils ne produisent pas de ressources. Ils utilisent, et donc attirent à eux, des ressources produites par d’autres. Par ailleurs, si les services qu’ils rendent sont utiles, ils ne sont pas indispensables à la survie matérielle de la société.
Lorsque celle-ci se trouvera dans une situation difficile, on peut s'attendre d'abord à ce que les classes moyennes supérieures utilisent leur poids politique pour préserver leurs privilèges – généralement au dépends des classes populaire, via telle ou telle escroquerie au "tous ensembles".
Au-delà d'un certain seuil, cependant, sacrifier les ouvrier sur l'autel de la bobocratie ne suffit plus, ne serait-ce que parce que les ouvriers n'ont plus rien à sacrifier, et c'est au tour des architectes et des psychothérapeutes de prendre le chemin de l'agence pour l'emploi, puis des champs de pommes de terre. C'est ce qui se passe en Grèce aujourd'hui, c'est-ce qui se passera partout dans le monde développé demain.
Il y a 40 ans, le Rapport Meadows avait esquissé le destin qui nous attendait si nous ne mettions pas fin à notre course effrénée à la croissance : non pas un effondrement subit dû à une brutale pénurie de telle ou telle ressource, mais une accumulation de stress causée par la nécessité toujours plus impérieuse d'utiliser des ressources toujours plus coûteuses et difficiles à exploiter pour remplacer celles que nous aurons épuisées. Le résultat c'est que notre capacité à dégager des surplus pour faire autre chose que payer les coûts de maintenance de notre civilisation ne cesse de s'amenuiser, ce qui se traduit par des difficultés économiques croissantes, et un recours toujours plus important au casino boursier (et non, ce n'est pas la faute des grands méchants spéculateurs ou du "capitalisme", c'est juste la réalité qui s'impose à vous).
Au bout du chemin, nous obtiendrons sans doute une très intéressante collection de ruines, et avec le réchauffement climatique il est tout à fait possible qu'elles s'élèvent au milieu de la jungle ou sur le fond de mers peu profondes – ce qui leur donnera indubitablement un certain cachet.
Il va de soi, que les classes moyennes supérieures disparaîtront bien avant et c'est une perspective qui ne les enthousiasme pas du tout. C'est d'autant plus problématique pour eux que la seule réponse viable à cette situation est de simplifier volontairement la société et d'organiser le retour à une frugalité qui nous sera de toute façon imposée pour la rendre moins brutale et moins douloureuse.
Or, les bobos ne sont pas du tout intéressés par la frugalité. Ce qu'ils veulent, ce sont des signes extérieurs de richesse, et des signes extérieurs de bonne conscience, d'où leur goût pour le bio (à condition que ce soit quelqu'un d'autre qui le produise) et les filières équitables (et la lutte contre l’industrialisation du tiers-monde).
Cette contradiction se retrouve au cœur du projet vert. Quand la seule réponse au problème sur lequel vous attirez l'attention est inacceptable ou impensable, la seule solution est de se réfugier dans le symbole, de poser des actes en espérant qu'ils nous permettront d'avoir une société soutenable sans avoir à en payer le prix.
Il s'agit, naturellement, de pensée magique, la même qui inspirait les cultes du cargo, la danse des esprits... ou les achats d'usine clé en main. A chaque fois le but est le même : éloigner le changement en se donnant l'impression de l'adopter, et bien sûr préserver les positions sociales acquises. Il n'est pas anodin, par exemple, que ce soit la taxe carbone – en définitive une forme de rationnement par l'argent – qui ait eu les faveurs des Verts, plutôt que des solutions de quota, bien plus égalitaires, et probablement plus efficaces sur la durée.
C'est d'autant plus regrettable que l'écologie, la vraie, est potentiellement infiniment plus révolutionnaire que ne l'on jamais été les fantaisies marxistes ou anarchiste. Elle remet en cause la centralité de l'humain et lui redonne sa vraie place : celle d'une espèce parmi les autres, soumise aux mêmes lois que les autres et promise à l'effondrement si les ressources qui lui permettent de prospérer s'épuisent.
Surtout qu'ignorer la réalité en se livrant à de complexes rituels ne l'a jamais fait disparaître. L'illusion de l'action n'a jamais remplacé l'action et pendant que les écolos bobo-greens élèvent l'équivalent moderne des statues de l'île de Pâque aux dieux de la durabilité, la situation continue à se dégrader et nos marges de manœuvre à diminuer.
Peut-être, avec un peu de chance, nos descendants trouveront-ils une statue de Duflot dans les ruines – cela leur donnera un certain cachet.
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