Espagne, Europe, Occident quel chemin pour la gauche ?
Face à la bascule à droite de l'Europe, comment la gauche peut-elle retrouver son âme, et réveiller les abstentionnistes ?
La défaite de la gauche s'est déroulée dans un contexte électoral exemplaire, marqué par une forte participation. Qu'est ce qui a poussé les abstentionnistes à revenir dans l'isoloir ? Pourquoi ont-ils choisi des élus conservateurs ?
La défaite de la gauche en Espagne était annoncée comme une banale alternance. Ce qui est surprenant est l'écart entre la droite et la gauche. Cet écart ne devrait pas être aussi important. En prolongeant dans le passé et dans l'avenir les lignes tracées par ces résultats, on entrevoit le chemin que la gauche doit parcourir pour retrouver son âme, et ses électeurs.
Lorsqu'on consulte le bilan de la gauche au pouvoir en Espagne, on constate un résultat économique correct, voire bon. On nous signale par exemple l'exploit d'avoir limité l'impact de l'augmentation des prix de l'énergie, et d'autres réussites sur le plan du pouvoir d'achat. Les électeurs ne se sont pas jetés dans les bras de la droite dans l'espoir d'un sauveur providentiel qui irait les sortir de l'indigence. La raison de ce désaveu ne semble pas être économique. Ça n'est pas une considération uniquement matérielle qui est derrière cette déroute.
Certains commentateurs pointent l'effet des lois controversées sur le changement de genre ou sur le viol. Il y a sans doute un effet de rejet, mais on voit mal ce seul argument justifier autant de défections. Après tout, les électeurs socialistes savaient bien quelles étaient les intentions des élus de gauche, même si il ne s'attendaient pas à ce que leurs actions soient si concrètes et si radicales.
Bascule à droite
Sans explication convaincante, la plupart des commentateurs font le constat d'une "grande bascule à droite" à l'échelle du continent européen. Les seuls points communs qui semblent émerger sont un changement de situation concernant l'immigration et une réaction à l'agression culturelle des activiste rangés dans la catégorie "woke".
Plutôt qu'une bascule à droite on peut voir se dessiner une recomposition de l'offre politique, qui va permettre à la gauche de se réinventer.
C'est la même histoire qui semble se dérouler un peu partout, en Suède, en Italie, en Grèce, et ailleurs dans le monde, comme au Chili. Tout cela dans un contexte démocratique exemplaire, sans soupçons de fraude ou de désinformation massive. En Espagne on constate même une participation inhabituellement forte.
Participation
Ce dernier élément, la participation, est un paramètre particulièrement révélateur. Il semble que les partis conservateurs aient trouvé des réserves de voix qui n'étaient pas mobilisées par les partis sociaux-démocrates. C'est comme si l'esprit démocratique se réveillait de sa torpeur chez des personnes qui étaient jusqu'ici indifférentes à la vie politique
Je me permet une auto-référence afin de préciser mon analyse. L'an dernier, après les élections présidentielles françaises, j'avais éprouvé le besoin d'écrire un article sur l'abstention. Je disais par exemple que l'abstention est une saine indifférence lorsque les principaux candidats sont dans le déni de réalité. Peut-être que les électeurs ont constaté depuis longtemps que l'État est sorti du réel, et qu'ils attendaient qu'on leur propose de sortir l'État de leur vie. Je constatai un renouveau politique provenant des "populistes" que je ne savais pas encore appeler conservateurs.
C'est comme si ces "nouveaux" électeurs demandaient moins d'État, et par le moyen de la démocratie ils demandent moins de démocratie. Moins de décisions arbitraires et un retour à la sagesse. Si on leur fournit une offre qui leur convient, les abstentionnistes viendront en masse réduire à néant les expérimentations sociale-démocrates en quelques années. Comment la gauche pourrait-elle prendre appui sur ce mouvement de fond ?
Expériences
Lorsqu'on évoque les expérimentations de la gauche, de quoi parle-t-on ? Quels sont les projets inachevés que la gauche a accumulé sur son chemin lors de sa retraite progressive ? Lente retraite depuis la position culminante des communistes dans les années 1970 jusqu'à la débâcle socialiste des années 2010. Quelle leçon retenir de ces échecs ?
Lorsqu'on fait ce bilan il faut se placer du point de vue de l'occidental éduqué qui voit dans l'organisation centralisée et démocratique une stratégie incontournable pour faire face à toutes les situations, depuis l'économie jusqu'à la santé mentale, en passant par l'éducation, la sécurité, l'immigration, la nutrition et j'en passe ...
Pourtant cette stratégie a abouti à l'abstention. En allant très vite, c'est cette démarche même de centralisme, d'étatisation, de redistribution qui est le moteur de l'échec électoral. Passons les tentatives en revue afin de savoir comment s'est constituée la cinquième colonne des abstentionnistes.
La cinquième colonne des abstentionnistes
Tout d'abord on a eu la version "étatiste" de la social-démocratie. Il s'agit de tout miser sur l'intervention économique et la redistribution des richesses. Ce projet a pris l'eau avec le déclin et la chute du bloc soviétique. Il fait toujours rêver quelques grands enfants mais ne cesse de le décliner : communisme, socialisme, social-démocratie, intégration européenne puis mondiale. Tout à échoué, tout échouera encore.
Résultat : ouvriers et classes moyennes ont constaté que les allocations chômages et la sécurité sociale sont de doux poisons, des prisons dorées, ils ont désertés les élections.
Ensuite est venue la version "mondialiste". Puisque ces salauds de prolétaires crachent dans la soupe sociale-démocrate et s'en détournent, les efforts politiques se sont tournés vers un nouveau prolétariat. Ils nous ont fait rêver à une intégration mondiale au niveau économique. Les étrangers sont partout chez eux, citoyens du monde, etc.
Résultat : les étrangers se sont rués sur l'aubaine. Dans chaque pays où il y a un problème, plutôt que de tenter de résoudre le problème il est plus facile de fuir vers les pays sociaux-démocrates qui ouvrent grand leurs frontières et leurs aides sociales. Les électeurs occidentaux n'osent même plus voter contre cette ouverture sans se sentir coupable. Alors ils ne votent plus.
Enfin vient la version "minoritariste" de la proposition centraliste. Aboutissement peut-être ultime de ce projet. La gauche abandonne l'économie et se positionne sur le seul terrain culturel, elle encourage tous les affects minoritaires à s'exprimer afin de faire converger les luttes, de converger vers une prise en charge étatique et légale des droits des minorités.
Résultat : c'est la boîte de Pandore d'où sortent des revendications affectives qui n'ont aucun frein, aucune légitimité. Encore une fois les électeurs ne sont pas au rendez-vous et attendent une réaction ferme face à ces dérives.
Quel sera la prochaine étape ? Nous la voyons se déployer sous nos yeux. Les conservateurs ont mis la main sur un filon électoral qui est le résultat de la sédimentation des échecs centralistes. Comment la gauche pourrait-elle faire de même ?
Une proposition inattendue
Comment récupérer ces électeurs perdus ? Perdu paquets par paquets au fil des versions du projet centraliste. Perdus dans le dédale totalitaire d'une vie quotidienne déconnectée de la "natura" humaine.
Quelle est le secret de la vitalité et de la jeunesse renouvelées des partis conservateurs ? Et comment profiter de cet élan pour fonder une proposition nouvelle ?
D'un point de vue pratique, le programme qui séduit les abstentionniste est le suivant :
- moins d'État
- moins de redistribution
- moins de démocratie
Chacun de ces "moins" est en rapport avec les trois phases du projet social-democrate décrit précédemment.
Moins d'État signifie diminuer l'empreinte de l'État dans la vie quotidienne, c'est la subsidiarité. Par exemple remettre à la responsabilité de la famille les questions qui la concerne : l'éducation, la santé, le travail.
Moins de redistribution doit se comprendre dans le sens d'une solidarité à dimension humaine. Être français ne signifie pas financer ou recevoir des revenus de substitution.
Moins de démocratie signifie que la société a une capacité à s'organiser elle-même sans recourir à des lois et des règlementations totalitaires. L'État à son rôle, celui de veiller à l'ordre public, non de s'immiscer dans les consciences. Par exemple ça n'est pas à la démocratie de décider ce qu'est un homme ou une femme.
Exercice pratique
Alors que reste-t-il à la gauche ? Comment imaginer une gauche qui prône la réduction de l'État, qui limite la redistribution et le recours à la démocratie ?
Une fois qu'on s'est éclairci les idées et qu'on a éliminé ce qui ne fonctionne pas, il devient possible d'explorer de nouvelles pistes. Prenons un exemple.
Si on fait la synthèse de la préoccupation écologique et du rejet du capitalisme, on aboutit naturellement à la proposition "zadiste".
Le zadiste auquel je pense est celui qui s'installe dans une terre agricole, avec sa famille, pour l'occuper et la mettre en culture et s'opposer à l'extension des zones construites.
Cette proposition est à même de recueillir les suffrages de nos abstentionnistes, elle répond aux trois axes du programme définit plus haut. Premièrement une ZAD est un endroit où l'État n'a pas la première place. Deuxièmement la ZAD ne fait pas appel à la redistribution mais à une économie circulaire et de subsistance. Troisièmement la démocratie se réduit à un niveau local et ne se mêle pas de tout.
Il existe toutes sortes d'aménagements à même d'élargir ce mode de vie à des profils moins radicaux. Par exemple le zadiste peut s'intégrer malgré tout à l'économie mondiale par le biais du télétravail. Et en dehors des occupations illégales, on peut simplement envisager une transition rurale avec un mode de vie hybride mêlant télétravail, auto-production et économie circulaire.
Reconstruire une proposition sociale
Le renouvellement de la gauche passe par une remise en question qui met résolument de côté l'étatisme. Le fer de lance de cette évolution pourrait être le catholique de gauche qui a tous les outils en main pour reconstruire une proposition sociale.
En effet en tant que catholique il peut répondre aux trois demandes des abstentionnistes.
Moins d'État. La responsabilité collective n'existe pas. Face au Christ, chacun est responsable de ses choix et un catholique sait assumer ses décisions sans se défausser sur le collectif et ce jusqu'à sa mort et au delà.
Moins de redistribution. Le bon samaritain ne compte pas sur la sécurité sociale pour secourir son prochain, celui qui est devant lui, au bord du chemin et pas de l'autre coté de la méditérranée. Il exerce la charité et participe à la Providence, qui est bien plus efficace et plus forte que la solidarité.
Moins de démocratie. Le catholique a médité cette parole : "Respecte les commandements" et pour les respecter il faut les recevoir et non les ré-inventer. La loi naturelle fixe des règles simples qui sont le socle de la vie en société.
Conclusion
Les bonnes nouvelles s'enchaînent au fil des élections et on entrevoit le remède à l'abstention, maladie mortelle pour la démocratie. Paradoxalement ce remède va soigner la démocratie en limitant son champ d'action.
La gauche issue de la modernité est étatiste, subjectiviste, matérialiste, elle était ressortie victorieuse des révolutions. Cette gauche là s'éteint et laisse la place à un projet inattendu, et ceux des Catholiques qui s'étaient fourvoyé dans le projet centraliste vont rendre son âme à la gauche qui s'était penché vers l'homme alors qu'elle devait se déployer vers Dieu.
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