Et si… ?
« C’est l’imprévu que j’espère, et lui seul. Partout, toujours. Dans les plis d’une conversation, dans le gué d’un livre, dans les subtilités d’un ciel. Ce à quoi je ne m’attends pas, c’est cela que j’attends. » (Christian Bobin, 2000).
L’élection présidentielle de 2017 semble très différente des précédentes sous la Ve République. À moins de trois mois du premier tour (le 23 avril 2017), il reste encore beaucoup d’inconnues concernant les candidatures, mais la principale incertitude, le candidat du PS, va être levée le soir de ce dimanche 29 janvier 2017 (comment voter à la primaire socialiste, ici).
Depuis plusieurs mois, les présélections des candidats au moyen de primaires plus ou moins pertinentes et plus ou moins réussies, rendent la course présidentielle encore plus épuisante. Elles ont nettement donné une prime au renouvellement, ou plutôt, ont sanctionné un certain nombre de personnalités politiques qui hérissent les Français. Et leur élimination s’est faite franchement, clairement, sans ambiguïté.
Ce fut d’ailleurs un soulagement général, car beaucoup craignaient que 2017 soit une redite de 2012, à savoir un match à trois entre Nicolas Sarkozy, François Hollande et Marine Le Pen, et d’ailleurs, chacun des trois tablait un peu sur le fait que les deux autres seraient aussi dans la compétition. Le triangle infernal a explosé en fin 2016.
Ce fut d’abord l’élimination dès le premier tour de Cécile Duflot le 19 octobre 2016 dans une primaire dérisoire sans portée électorale. Puis l’élimination dès le premier tour de Nicolas Sarkozy le 20 novembre 2016 à la "primaire de la droite et du centre" qui fut un grand succès de participation (près de 4,5 millions de votants). Ensuite, l’élimination du candidat favori des sondages, Alain Juppé, le 27 novembre 2016 au second tour. Lors de son allocution télévisée du 1er décembre 2016, le Président sortant François Hollande, qui en mourrait pourtant d’envie, a finalement renoncé à se présenter, tellement son discrédit était généralisé, n’osant pas affronter ses camarades du PS dans une autre primaire. Enfin, Arnaud Montebourg, le favori de celle-ci, fut éliminé dès le premier tour le 22 janvier 2017 avec une très faible participation, 1,6 millions de votants (soit seulement un tiers des votants de la "primaire de la droite et du centre"), et il y a encore cette incertitude entre Benoît Hamon, grand favori, et Manuel Valls dont le taux de rejet, comme pour les personnalités éliminées précédentes, reste assez important.
À côté de cela, la campagne de Marine Le Pen patine un peu. Depuis août 2016, elle ne cesse de "lancer" (ou "relancer") sa campagne sans que cela ne prenne vraiment, même si elle bénéficie quand même d’un fort taux d’intentions de vote grâce aux erreurs de ses concurrents. Enfin, Emmanuel Macron, la bulle qui devait éclater, n’a pas encore éclaté et attire, attire beaucoup trop d’ailleurs par la gauche pour pouvoir être sérieusement un candidat ni de gauche ni de droite : En Marche est devenue une succursale des élus socialistes inquiets.
En fin décembre 2016, il y avait donc un certain soulagement que le match de 2017 ne serait pas entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Mais les surprises se multiplient sur le chemin de l’Élysée.
À gauche, la grande audience du candidat Benoît Hamon inquiète terriblement les tenants d’un certain réalisme économique. Benoît Hamon, en effet, n’a pas hésité à vouloir acheter des porte-avions comme dans un supermarché (vous m’en prendrez deux !), sans trop en savoir le prix : « euh, c’est quelques centaines… », on imagine de millions d’euros, qu’il voulait dire lors du débat avec Manuel Valls, mais non, c’est cinq ou six milliards d’euros l’unité, quand il ne "vend" pas son "revenu universel" à 450 milliards d’euros chaque année (tout en promettant de ne pas augmenter les impôts !).
D’ailleurs, les élus socialistes n’attendent pas le verdict du second tour de la primaire socialiste pour rejoindre massivement Emmanuel Macron. Même Ségolène Royal et Jean-Marc Ayrault sont tentés, et des proches de Manuel Valls aussi, ce dernier ayant affirmé ce 27 janvier 2017 qu’en cas d’échec, il "s’effacerait" mais il ne soutiendrait pas Benoît Hamon. La coupure est donc immense.
Et finalement, il n’est pas interdit d’imaginer François Hollande, qui a regretté son allocution du 1er décembre 2016 (Jean-Marc Ayrault l’avait même affirmé le 15 janvier 2017), se dire que décidément, Manuel Valls n’a pas "fait le job" durant cette primaire, pas même capable de l’emporter face à l’aile gauche du PS, et que s’il n’y allait pas lui-même, le PS courrait à la catastrophe (d’abord financière !).
À droite, c’est aussi un peu le bazar. Les fortes critiques (parfois justifiées) contre le programme économique et social du candidat François Fillon, désigné largement le 27 novembre 2016, l’ont enfermé dans un dilemme impossible. Ou il maintient fermement son programme (notamment la suppression de nombreux fonctionnaires et sa réforme de la sécurité sociale), et il risque d’être battu à l’élection présidentielle. Ou au contraire, il écoute les critiques et atténue son programme, et sa détermination et même son crédit seront alors largement entamés.
Puis est venue cette "boule puante" le 24 janvier 2017 sur la collaboration parlementaire de son épouse. L’enquête préliminaire le dira (ou pas), mais a priori, François Fillon n’a pas été dans l’illégalité (et a priori, la charge de la preuve revient à l’accusation et pas à la défense, rappelons ce principe simple du droit). Qu’il ait été dans la maladresse, cela ne fait aucun doute, il suffit de voir les réactions aujourd’hui de tous ses opposants trop heureux de trouver un nouvel angle d’attaque (Jean-Christophe Cambadélis avait bien tenté d’insister sur le "châtelain" mais cela n’avait pas pris).
La réalité, c’est que l’information a choqué la plupart des électeurs. Résultat, un effondrement dans des sondages qui n’étaient déjà pas très forts pour lui. Dans le premier sondage après la nouvelle (Odoxa), chute de 16% par exemple sur l’image positive du candidat, entre novembre 2016 et janvier 2017 (54% à 38%). Et comme François Fillon lui-même avait évoqué, sur TF1 le 26 janvier 2017, l’hypothèse de son retrait de candidature en cas de mise en examen, le microcosme s’agite maintenant en conjectures.
Si la collaboration avec Pénélope plombait trop la candidature de François Fillon, il faudrait alors que "Les Républicains" trouvent un autre candidat. Ce serait délicat car au contraire des candidats autoproclamés (comme Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, pour ne citer que les principaux), François Fillon a été désigné par 4,5 millions d’électeurs, ce qui n’est pas rien. C’est aussi l’un des inconvénients du principe de la primaire, que faire quand un candidat désigné explose en plein vol ? On aurait pu avoir cette possibilité si Dominique Strauss-Kahn n’avait pas séjourné au Sofitel de New York et s’il avait été désigné par la primaire socialiste de 2011, probablement l’affaire du Carlton de Lille serait sortie opportunément en février ou mars 2012…
Ce vendredi 27 janvier 2017 à Bordeaux, le perdant de la primaire Alain Juppé, arrivé en deuxième position le 20 novembre 2017, n’a cessé d’exprimer sa loyauté vis-à-vis de François Fillon : « Pour le reste, j’ai tenu à dire ce matin que l’hypothèse, qui aujourd’hui n’est pas à l’ordre du jour, naturellement, dans laquelle François Fillon ne serait pas candidat, ne me pousse pas du tout à me lancer dans ce que j’appellerais une opération de repêchage. Pour moi, les primaires ont eu lieu, donc la messe est dite ! ». Le matin, il avait effectivement exclu « clairement et définitivement » d’être le recours en cas de retrait de François Fillon à l’élection présidentielle.
La logique voudrait alors que, si François Fillon était amené à se retirer et si Alain Juppé refusait dans ce cas de reprendre le flambeau, la candidature LR pourrait revenir à …Nicolas Sarkozy ! Ses proches ont assuré, comme pour Alain Juppé, qu’il n’est pas du tout question d’y songer, mais comment ne pas y songer quand même ? (Notons que la logique voudrait aussi que, si les trois n’étaient plus dans la compétition, la clef devrait en principe revenir, malgré son très faible pourcentage le 20 novembre 2016, à …Nathalie Kosciusko-Morizet !).
Donc, non ! La messe n’est pas encore dite et rien n’exclut, même si sa probabilité est très faible, un retour dans le jeu présidentiel des deux hommes politiques les plus détestés de France, détestés parce qu’ils ont, tous les deux, été déjà élus Présidents de la République, qu’ils ont suscité beaucoup d’espoir et qu’ils ont manifestement beaucoup déçu… Comme probablement celui ou celle qui sera élu le 7 mai 2017.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Et si… ?
L’élection présidentielle en début janvier 2017.
François Hollande.
François Fillon.
Emmanuel Macron.
Jean-Luc Mélenchon.
Marine Le Pen.
Benoît Hamon.
Manuel Valls.
Alain Juppé.
Nicolas Sarkozy.
"Primaire de la droite et du centre" de 2016.
Primaire écologiste de 2016.
Primaire socialiste de 2017.
Primaire socialiste de 2011.
Le pire n’est jamais certain !
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