François Hollande, l’impuissance présidentielle
Un nouveau guichetier à Pôle Emploi s’est pointé jeudi soir sur TF1. Ou un petit conseiller général d’un petit département rural qui fourmille de petites idées pour préserver une petite école… Quant à la France, c’est la grande absente de la dernière prestation présidentielle.
Le jour de la disparition d’Évelyne Baylet à 101 ans, la personne la plus influente du Sud-Ouest pendant des décennies, héritière de "La Dépêche du Midi" et d’un fief électoral transmis à son fils Jean-Michel Baylet qui faillit être (de nouveau) ministre du gouvernement actuel, le Président de la République François Hollande s’est présenté devant les téléspectateur français pour expliquer sa politique économique et sociale. Un occasion, initialement prévue pour infléchir son impopularité mais qui a fait "flop".
L’émission "En direct avec les Français" diffusée ce jeudi 6 novembre 2014 sur TF1 était la première intervention présidentielle à la télévision depuis près de deux mois. Entre temps, le chômage a progressé, et sa popularité a continué de s’effondrer dans les sondages.
Comme d’habitude, les Français n’ont rien appris d’une telle émission assez ennuyeuse et longue. En revanche, François Hollande a dû en apprendre beaucoup des Français.
Au moins, le point positif, c’est qu’en n’annonçant rien d’important, François Hollande a évité d’annoncer la destruction de nos institutions malgré les fortes sollicitations de ses camarades du clan socialiste qui réclament leur suicide à la proportionnelle intégrale (une nouvelle forme d’euthanasie active ?). Il a même déclaré qu’une telle proposition serait une « diversion », sans pour autant, paradoxalement, l’exclure pour plus tard ! Je retiens donc ce mot pour le jour éventuel où ce sujet reviendrait dans l’actualité.
L’émission s’est divisée en trois grandes parties : des questions politiciennes sans intérêt, puis, une discussion avec quatre citoyens (privilégiés) pour parler de leurs préoccupations (le plus intéressant), et enfin, d’autres questions politiques avec le journaliste Yves Calvi.
Sur la forme, le ton très ennuyeux de François Hollande (on dirait toujours un prêtre prononçant son homélie presque chantante, et il a souvent posé son regard vers le plafond ou le vide) a parfois été ponctué de salutaires traits d’esprit, comme par exemple s’étonner qu’on ne le remerciât pas du beau soleil de la journée (puisqu’on le rendait responsable de tous les maux du pays).
Questions intimistes sans intérêt
Mauvais point au journaliste (que je préfère ne pas citer) qui a voulu enfoncer le Président de la République dans l’impasse intimiste et narcissique. François Hollande n’est pas tombé dans le piège et il a eu raison car les Français se moquent de la personne privée, c’est sur la situation de la France qu’ils l’attendent.
Le jeune politologue Thomas Guénolé a donc raison lorsqu’il approuve le refus de François Hollande de se prêter à ce jeu malsain des questions intimistes, disant même que Valérie Trierweiler ne devrait même plus avoir sa carte de presse après avoir écrit un livre aussi "trash".
En refusant de "fendre l’armure" alors que de nombreux conseillers en communication lui avaient conseillé le contraire, le chef de l’État a évité de sombrer totalement dans la désacralisation de la fonction présidentielle, même si ses refus polis auraient dû être un peu plus fermes. Imagine-t-on Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac ou encore François Mitterrand évoquer leur nœud de cravate mal fait, ou demander s’il valait mieux aller à vélo ou à moto chez leur concubine notoire ?
Son seul mea culpa a été d’avoir cru pouvoir "inverser la courbe du chômage" en fin 2013. Sans expliquer pourquoi il s’est trompé, pourquoi il le croyait et surtout, pourquoi les Français le croirait plus qu’il y a un an, pourquoi il serait devenu aujourd’hui… plus crédible qu’hier.
Débat avec de "vrais Français"
Cela me gêne toujours un peu d’appeler "vrais Français" de simples citoyens qui ne sont ni journalistes ni personnalités politiques, parce que ces derniers sont aussi des Français. Le choix du panel fut donc assez caricatural (et très cliché) : la demandeuse d’emploi "senior" de 60 ans en fin de droits, la chef d’entreprise de 46 ans, blonde et élégante, employant 600 personnes, le jeune de Marseille, et la "rurale" des Ardennes (une assistante maternelle de 35 ans).
Je tire mon chapeau à ces quatre personnes qui ont eu beaucoup de courage et de perspicacité à venir sur un plateau de télévision et à poser leurs questions, présenter leurs problématiques de vie et parfois avec fraîcheur, spontanéité et authenticité.
De ces discussions, il en ressort que François Hollande ne connaissait visiblement rien à la vie ordinaire des Français.
Le premier entretien était douloureux : la personne est trop jeune pour prendre sa retraite, trop âgée pour être recrutée, et vit avec moins de 500 euros par mois. Quel décalage entre ces deux sexagénaires !
François Hollande ne paraissait pas très à l’aise mais on pouvait le comprendre. Ce qui est plus grave, c’est qu’il a été complètement à côté de la plaque. Il lui a dit qu’elle n’était pas la seule dans son cas, ce qui lui faisait une belle jambe, et surtout, lui a demandé si Pôle Emploi lui avait proposé une formation. Quelle intérêt d’une formation pour si peu d’années restant ? Ce qui lui faut, c’est un emploi. Une formation, ce serait juste pour cacher des statistiques de misère. Encore l’habileté hollandienne à ma manœuvre, comme réflexe reptilien.
Pire, il a proposé aussi de nouveaux contrats aidés pour permettre de passer les dernières années avant la retraite, constatant avec une impuissance déconcertante qu’on ne pourrait donc plus lui retrouver un emploi. Impuissance très mitterrandienne (« Sur le chômage, on a tout essayé ! »).
Et continuant à s’enfoncer dans l’ignorance de la réalité, François Hollande a voulu vendre ce nouveau contrat aidé en disant que cela permettra d’avoir une expérience ! À 60 ans, après quarante ans d’expérience professionnelle ! Il a dû se mélanger avec les emplois jeunes.
Un journaliste lui a d’ailleurs fait remarquer que le dispositif du contrat de génération, qui avait été fortement critiqué par Martine Aubry le 12 octobre 2011 lors du dernier débat de la primaire socialiste, est un échec complet : à mi-mandat, seulement 30 000 contrats alors que le dispositif tablait sur 500 000 !
La discussion avec la chef d’entreprise n’était pas plus pertinente. François Hollande a juste acquiescé ce que disait sa (belle) interlocutrice au point qu’il cherchait auprès d’elle des encouragements pour son pacte de responsabilité. Il n’avait pas le rôle d’un chef de l’État apte à protéger et défendre le pays.
Le journaliste Daniel Schneidermann est revenu ce vendredi matin dans sa chronique sur ce dialogue surréaliste qui a souligné la profonde inertie présidentielle : « Un instant, on rêva. On rêva que Hollande, perdu pour perdu, se redresse, et tienne à la dame (la seule du panel de TF1 qui n’ait pas indiqué ses revenus) ce langage : "Mais Madame, qu’est-ce qui vous retiens de partir ? Si vous souhaitez tant vous expatrier, avec vos cadres ou vos salariés, faites-le ! Et en Angleterre ou en Allemagne, bonne chance, de tout cœur, pour trouver des routes, des trains, des écoles, des collèges, des grandes écoles, des hôpitaux, des crèches, des retraites, des assurance chômage, des théâtres, des concerts, des opéras, des festivals, d’aussi bonne qualité, et aussi accessibles qu’en France". Mais non. Il quêta le satisfecit sur les efforts de compétitivité déjà accomplis, l’obtint, et se laissa décerner un "en progrès, mais à confirmer". Et on se quitta bons amis, entre anciens de HEC. » (7 novembre 2014).
Face à un jeune Marseillais en recherche d'emploi (qui, soit dit en passant, n'a pas été présenté comme candidat PRG, le parti de Jean-Michel Baylet, aux dernières municipales), François Hollande a vanté le mérite des jeunes Français allant s'épanouir à l'étranger !
Quant aux échanges avec l’assistante maternelle inquiète de la fermeture d’une école, ce n’est plus le Président de la République qui lui a répondu mais l’ancien conseiller général de Corrèze très soucieux des problèmes de désertification rurale.
Entretien avec Yves Calvi
Dans la troisième partie de l’émission, François Hollande est revenu aux questions "sérieuses" (!), c’est-à-dire posées par des professionnels de la communication politique. Il était donc plus à l’aise.
Au-delà du retour de l’allocation des demandeurs d’emploi en fin de carrière, François Hollande en a profité pour faire quatre annonces, les seules de l’émission, qui seront oubliées probablement d’ici le week-end prochain tellement elles sont révolutionnaires.
1. Pas d’impôts nouveaux ?
Comme ses Premiers Ministres depuis un an, François Hollande a déclaré, le cœur sur la main, qu’il n’augmenterait plus aucun impôt, taxe, cotisation. Le texte exact est le suivant : « D’ici la fin du quinquennat, il n’y aura pas d’impôt supplémentaire sur qui que ce soit. ».
Cette phrase est sympathique, cependant, sa crédibilité est proche de zéro. Car cela fait plus d’un an qu’elle est martelée par Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici ou Michel Sapin. Or, les Français sont capables de savoir ce qu’ils paient, nécessairement.
L’astuce sémantique (François Hollande est un grand astucieux), c’est qu’il a précisé qu’il n’y aurait rien de nouveau que ce qui a déjà été annoncé. Donc, surtout, ne croyez pas qu’il vous ment si jamais vous payez plus d’impôts ou de taxes en 2015. C’était de l’annoncé ! Heureusement que Ségolène Royal a annoncé la nouvelle écotaxe avant cette intervention présidentielle.
La crébilité des paroles présidentielles se juge par les actes. Il a parlé de réduction du déficit public ? Ce sera encore à 4,7% en 2016, au lieu de 3,0% prévu pour 2013 ! La fin de la hausse des prélèvements obligatoires ne sera jugée que par les actes. Pour l'instant, le porte-monnaie constate le contraire.
2. Une seconde chance pour les enfants en situation d’échec scolaire
Les mots présidentiels sont ainsi : « À partir du mois prochain, tout jeune de 16 à 25 ans aura une seconde chance dans le système scolaire. ».
Il n’a visiblement rien compris au système éducatif. Comme toujours, phrase creuse n’aboutissement que sur du vide.
D’une part, cette seconde chance existe déjà, ce n’est pas nouveau. Il y a de plus en plus de passerelles, heureusement. D’autre part, encore faudrait-il qu’un jeune en situation d’échec soit d’accord pour saisir cette seconde chance. Enfin, le délai, à partir du mois prochain ! Qu’y aura-t-il à partir du mois prochain ? Dès décembre, des classes devraient-elles accepter des élèves qui auront été renvoyés de l’établissement ?
Le vrai problème de François Hollande, c’est que ce n’est qu’un verbeux. Il lâche de belles expressions (l’une l’a fait gagner, "l’ennemi, c’est la finance internationale"), mais elles ne recouvrent aucun acte (la boîte à outils contre le chômage, etc.). Juste de l’inaction.
3. Un nouveau service civique universel pour tout jeune volontaire
Voici un sujet très intéressant. Avec la fin du service militaire, qui, il faut bien l’avouer, n’était pas très utile à la défense nationale et coûtait cher à l’État, il y a un réel manque d’un brassage social de la population et de la transmission du sentiment d’appartenance à la nation. Un brassage de toute la population. Garçons et filles, de tout milieu, favorisé ou défavorisé, de toute origine.
L’idée d’instaurer un service civique n’est pas nouvelle, donner un peu de son temps à la collectivité nationale. Il existe déjà sur la base du volontariat. Mais le brassage social ne sera réel que s’il est obligatoire, bien sûr. Cela pourrait durer deux ou trois mois, pas trop pour ne pas handicaper les trajectoires des uns et des autres.
Pourtant, proposer un service civique universel pour seulement les volontaires, voici un oxymore typiquement hollandien ! Soit il est universel, et donc obligatoire, soit il est facultatif (seulement pour les volontaires), et donc l’annonce est sans intérêt puisqu’il existe déjà.
Visiblement, il a lâché cette annonce sans aucune étude préalable de la question puisqu’il a eu l’audace de dire que ce service civique ne coûterait rien à l’État puisque c’était du temps passé gracieusement au service de la collectivité, et il a cité les hôpitaux, etc.
Prenons l’hôpital : si un jeune en service civique aide dans un hôpital, il faudra bien qu’il dorme quelque part, non ? Le lit, les repas, l’eau du bain, les blouses, etc., eh bien, Monsieur le Président, il faut que vous sachiez que tout cela a un coût, et c’est cela qui a fait renoncer à la conscription.
Enfin, si le caractère obligatoire du service était proposée, François Hollande a promis qu’il soumettrait la proposition au référendum, ce qui me paraît sage et pertinent.
4. La France, phare de l’humanité ?
Sans rien n’annoncer de nouveau, François Hollande a rappelé que la France était au cœur des affaires de la planète par quatre grandes manifestations, deux sûres, et deux en candidate : la conférence mondiale sur le climat aura lieu en France en décembre 2015, l’Euro 2016 (football), la candidature de Paris pour les Jeux Olympiques de 2024 et enfin, la candidature de la France pour l’exposition universelle de 2025 (initiée par deux députés, Jean-Christophe Fromantin et Bruno Le Roux).
En route vers 2017 ?
François Hollande a insisté sur le fait que si le chômage ne baissait pas, il n’oserait pas demander aux Français de le réélire. Le pire, c’est que les journalistes ont compris l’inverse : qu’en ne prenant aucune initiative forte à mi-mandat, il préparait déjà sa campagne pour 2017 !
En clair, le chef de l’État n’est capable que de réciter des "listes à la Prévert" (selon l’expression de Thomas Guénolé) en guise d’argumentaire creux de son action.
Ce Président de la République ne montre aucune empathie pour les difficultés des Français, et surtout, fait preuve d’une impuissance extraordinaire. Cet immobilisme est quasiment dans l’ADN du personnage politique. François Hollande a toujours réussi à avancer en ne faisant rien, en ne prenant aucun risque. Il a préservé l’unité artificielle du PS par ses capacités à réaliser des synthèses impossibles. Il a gagné l’élection présidentielle grâce à un incident sexuel dans un hôtel de luxe new-yorkais et au rejet très marqué de son prédécesseur.
En 2012, il a été le chef de l’État qui a eu historiquement le plus de leviers politiques en main, majoritaire à l’Assemblée Nationale et au Sénat, dans la quasi-totalité des régions de France, dans la moitié des départements et dans une grande partie des grandes villes. Il a tout gâché. Vivement dans deux ans et demi !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 novembre 2014).
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bientôt la proportionnelle intégrale ?
Disparition d’Évelyne Baylet.
Qatrième conférence de presse de François Hollande (18 septembre 2014).
Discours du Bourget de François Hollande (22 janvier 2012).
Confiance étriquée pour Manuel Valls (16 septembre 2014).
La trace de François Hollande (14 juillet 2014).
Le couple Hollande-Valls.
Manuel Valls.
Le roi du monde (6 juin 2014).
Troisième conférence de presse de François Hollande (14 janvier 2014).
Une empathie combative ?
L’humour présidentiel à la radio.
Jusqu’où descendra-t-il ?
La courbe du chômage…
Faut-il supprimer l’élection présidentielle ?
La République du couac …ou du non dit.
Interview présidentielle sur TF1 (15 septembre 2013).
Pourquoi il ne fallait pas voter pour Hollande ?
Aucune autorité sur ses ministres.
Interview présidentielle du 14 juillet 2013.
Remous électoraux du FN.
Première année du quinquennat de François Hollande.
Deuxième conférence de presse de François Hollande (16 mai 2013).
Interview présidentielle sur France 2 (27 mars 2013).
Première conférence de presse de François Hollande (13 novembre 2012).
Interview présidentielle sur TF1 (9 septembre 2012).
Interview présidentielle sur France 2 (29 mai 2012).
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