François Hollande ou la parole mal à droite (retour sur l’émission « Des paroles et des actes »)
Lors de sa prestation du 26 janvier 2012 dans l'émission politique de France 2, les déclarations - et les non-dit - du candidat interrogent son positionnement politique : usant d'un vocabulaire prompt à séduire l'électorat de gauche, il convoque un programme qui ne saurait réellement déplaire à la droite. Un grand écart impossible ?
Après avoir occupé le premier plan médiatique à l'occasion des "primaires" qui ont consacré François Hollande comme représentant du Parti Socialiste à l'élection présidentielle, la parole du candidat était particulièrement attendue. Et ce pour au moins trois raisons.
Clarification nécessaire
D'une part, parce que cette fin janvier constitue, avec l'émission "Des paroles et des actes" - qui suit de très près le premier grand meeting, au Bourget -, la réelle entrée en campagne politique du candidat : si les sondages et les média imposent depuis plusieurs semaines la présence de François Hollande, celui-ci n'a, en effet, pas encore réellement développé le fond de son programme, jusqu'à ces fameuses "60 propositions" qui ont tout juste précédé l'émission. Un non-discours inquiétant, tant la situation économique exige d'autres réponses que des déclarations générales dont les applications concrètes échappent largement aux électeurs... et à la plupart des experts.
D'autre part, parce qu'un certain nombre de propos, d'hésitations, de déclarations - souvent suivies de rectifications - de la part du candidat Hollande lui-même ou de ses lieutenants ont prêté le flanc à la critique : le positionnement du Parti Socialiste sur des sujets aussi divers que la réforme des retraites, les plans d'austérité du gouvernement Fillon, les sommets et mini-traités franco-allemands, le barême des allocations familiales, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, etc. semblait flou, non tranché, et nécessitait donc un discours de clarté.
Enfin, parce que François Hollande s'avère condamné à se démarquer, sur la scène politique, d'une concurrence essentiellement constituée, d'un côté, par la droite néolibérale incarnée par l'UMP (et, sous l'habillage du centrisme, par le MoDem) poussée dans ses retranchements par un Front National virulent et, de l'autre côté, par un Front de Gauche qui le presse à se positionner... à gauche, précisément.
La dynamique Mélenchon
Avec son candidat, Jean-Luc Mélenchon, le Front de Gauche est l'aiguille dans le pied de François Hollande : sur le fond, il apparaît, en effet, comme la seule formation susceptible de contester le monopole de la gauche au PS. Tandis que les sondages lui infligent un score, certes en progrès, mais qui peine à franchir le seuil symbolique des 10%, le Front de Gauche vient, justement en ce mois de janvier 2012, d'être crédité par l'institut BVA d'un potentiel électoral de 23%. De quoi commencer à inquiéter.
Invité de la précédente édition de l'émission "Des paroles et des actes", dont le taux d'audience a alors créé la surprise, Jean-Luc Mélenchon mène une campagne qui mèle trois caractéristiques : 1) un discours agressif contre la finance et l'extrêmisme de droite, propre à séduire le monde du travail et l'électorat classique de la gauche radicale ; 2) une composante environnementale (la planification écologique) imbriquée au programme économique, qui attire l'attention d'un électorat écologiste voire "bobo" ; 3) un positionnement politique constant depuis sa désignation en tant que candidat du Front de Gauche : la sortie du traité de Lisbonne comme condition à la sortie de l'économie néolibérale et la revendication d'un nouvel ordre institutionnel en France - la VIe République - sans abandon de la monnaie européenne.
L'engouement suscité par le Front de Gauche, dont la manifestation la plus claire s'exprime lors de meetings rassemblant jusqu'à six mille personnes, pousse donc François Hollande à infléchir son discours vers la gauche après avoir courtisé, pour un résultat incertain, François Bayrou. La crédibilité - et donc la menace - de la dynamique Mélenchon se précise d'autant plus que son discours économique trouve également un écho favorable auprès de classes moyennes inquiètes par la crise, mais aussi d'un électorat plus cultivé et d'intellectuels - rien d'étonnant lorsqu'on sait qu'il s'appuie sur un corpus théorique cohérent développé, en particulier, par un universitaire : l'économiste Jacques Généreux.
Des paroles...
Tout comme lors de son premier grand meeting, au Bourget, François Hollande a employé, dans l'émission de France 2, un lexique caractéristique aux sonorités évocatrices : la gauche, la lutte contre la finance, les classes moyennes ou populaires face aux riches, les inégalités, le rassemblement, le changement... Tandis que les élus de droite ont, sans surprise, critiqué les propos du candidat, certains observateurs ont salué son inflexion vers les préoccupations traditionnelles de la gauche. Qu'en est-il réellement ?
Invité par David Pujadas, dès le début de l'émission, à s'exprimer sur la présidence de Nicolas Sarkozy, François Hollande a affirmé qu'il ne voulait pas "se situer comme un opposant, être sans cesse en train de rappeler le bilan du président sortant". Il réaffirmera plusieurs fois, au fil des débats, qu'il n'est "pas contre le président sortant". Passé apparemment inaperçu, ce positionnement pour le moins complaisant face au représentant d'une droite aux postures contestées dans le pays, trouvera, face à la journaliste Nathalie St Cricq, un étrange reflet : "le rôle du président de la République, dira Hollande, c'est d'en finir avec une méthode, que je récuse, qui est de penser qu'il y aurait un adversaire au sein de la société française, qu'il faudrait stigmatiser ou qu'il faudrait juger". Ces propos sonnent comme un aveu.
Comment un prétendant à la fonction présidentielle, dont le slogan appelle "le changement" peut-il faire l'économie d'un bilan critique de son prédécesseur ? Comment un candidat qui se revendique de gauche et, tout particulièrement, d'une gauche contre la finance, peut-il affirmer qu'il ne voit aucun adversaire dans la société qu'il entend changer ? Il n'y aurait ainsi aucune logique au sein des politiques des acteurs financiers ? Aucune cohérence ni organisation dans les dérèglements économiques liés aux jeux spéculatifs ? Aucun projet derrière l'Europe néolibérale à l'oeuvre ?
Bref, pour utiliser les termes analytiques de la gauche qu'il revendique, François Hollande avoue ne plus voir ni classes sociales ni intérêts contradictoires dans la société capitaliste occidentale. Il ne s'agirait donc que d'un problème "technique", d'un ajustement qui n'aurait rien à voir avec le principe même d'organisation sociale et économique. D'emblée, Hollande s'annonce bien en réformiste plutôt qu'en transformateur de la société. Le rapport antagonique des classes sociales n'existe pas. Il n'y a pas "d'adversaire". Un comble pour qui se pose en adversaire de la finance !
... aux actes
Tant dans le récent meeting du Bourget qu'au cours du rendez-vous de France 2, François Hollande se revendiquera comme le candidat du rassemblement de la gauche, mais aussi comme celui du rassemblement "au-delà de la gauche" ...C'est-à-dire ? Serait-on mal intentionné de comprendre, en creux, qu'au-delà de la gauche, on commence à s'aventurer sur les terres de la droite ? François Hollande va répondre de trois manières à cette question.
Tout d'abord, interrogé en début d'émission à se prononcer sur quatre lois issues du gouvernement sortant, François Hollande va prendre un soin tellement particulier à maîtriser ses réponses qu'il ne s'apercevra qu'au moment du bilan effectué par le journaliste de sa convergence avec les lois présentées : il a décerné un "vert" à trois d'entre elles (sur quatre !) et demandera in extremis un "rouge" correctif pour rééquilibrer un peu les choses et minimiser les points communs qu'il vient inconsciemment de reconnaître avec la droite !
Puis, questionné sur sa stratégie de deuxième tour vis-à-vis du Front de Gauche (Jean-Luc Mélenchon réclame cette clarification depuis plus d'un an, notamment depuis le plateau de "Mots croisés" de Yves Calvi, face à Michel Sapin), François Hollande va entretenir une ambiguïté qu'il convient de lever. Déclarant tout d'abord "je ne doute pas de ce que fera le Front de Gauche au deuxième tour, il est clair qu'il soutiendra le candidat de gauche le lieux placé", François Hollande coupera cours à toute polémique en précisant, quant à lui, si celà venait à se présenter : "je me désiste toujours pour le candidat de gauche le mieux placé". Il parle donc, dans un cas, de "soutien" et dans l'autre de "désistement".
Sur le soutien à M. Hollande, rappelons que le Front de Gauche n'a confirmé aucun raliement éventuel de second tour. Quant au désistement en faveur du Front de Gauche, soulignons que M. Hollande ne dit pas qu'il pourrait appeler à voter... Et pour cause ! Dans l'hypothèse d'un succès de Jean-Luc Mélenchon, François Hollande n'aurait aucun autre choix que le désistement ! Le règlement de l'élection est ainsi fait que seuls les deux premiers candidats restent au second tour. Les autres sont purement et simplement é-li-mi-nés, qu'ils le veuillent ou non. Aucun désistement ne saurait donc intervenir. Et, un certain soir d'avril 2012, François Hollande pourra toujours dire qu'il n'a jamais appelé au vote Front de Gauche. Effectivement : contrairement aux apparences, il ne l'a pas fait.
Enfin, face à Franz-Olivier Gisbert, au terme de l'émission, M. Hollande émettra cette prévision sur les mesures qu'il mettra en oeuvre au cours de sa présidence : "chacun sait que ça va être dur mais ça doit être juste". Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on est loin des lendemains qui chantent ! Après les mesures libérales du gourverment Fillon-Sarkozy et les récents plans d'austérité, ne pouvait-on espérer autre chose ? Ne serait-ce que parce que François Hollande ne cesse de nous l'assurer : "le changement, c'est maintenant" ! N'y aura-t-il donc, même à gauche que la seule perspective du sang et des larmes ? Nous sommes donc prévenus : il est juste que cela soit dur. Le changement auquel nous devons nous attendre pourrait donc bien se limiter aux seuls nom et visage du président, le prétendant ayant d'ailleurs désormais abandonné toute référence à son parti politique : ni rose, ni poing n'ornent meetings et affiches ; le bleu vif des candidats de droite étant dressé en toile de fond des meetings de François Hollande.
Un second tour tout seul !
François Hollande déclare volontiers qu'il se concentre sur le premier tour de l'élection, seul garant d'une présence au second. Soit. Pourtant, il développe avec clarté sa conception du jeu d'alliances et de compromis indispensables pour emporter la victoire au second tour de l'élection présidentielle.
A la question d'Hélène Jouan sur les négociations d'entre deux tours, François Hollande déclare tout d'abord qu'il accueillera naturellement tous ceux qui appelleront à voter pour lui (notons, au passage, qu'il n'est pas question de désistement mais, dans ce sens, une fois
encore, de soutien) avant de préciser les conditions sur lesquelles ces raliements pourraient avoir lieu : sur ses propres propositions uniquement ! Et de conclure : "une élection présidentielle, ce n'est pas une négociation, ce n'est pas un partage, ce n'est pas une concession que je donne à l'un ou à l'autre, c'est une dynamique autour du projet de celui qui peut être, demain, président de la République".
Dont acte. Fermez le ban ! Les différentes formations politiques, ainsi que les électeurs, sont prévenus : il n'y aura rien à attendre en contrepartie d'un soutien à M. Hollande.
Les écologistes seraient bien inspirés de relire les termes de leur accord avec le PS. Le Front de Gauche de peser soigneusement ses déclarations de possible union des forces de gauche. Quant aux électeurs tentés par le "vote utile", ils savent désormais à quelle utilité s'en tenir !
Les abonnés absents
Dans l'émission du 24 janvier, il y a ce qui fut dit. Et ce qui ne le fut pas.
Parmi les thèmes qui n'ont cesser de hurler leur absence au cours des deux heures d'entretien, l'environnement figure en une place d'autant plus stupéfiante que François Hollande s'est engagé par un accord - qui fit polémique - avec Europe Ecologie-Les Verts. Pas un seul mot ni une seule allusion à l'écologie n'ont été prononcés ! De même, et tandis que ces deux thèmes constituent une partie du coeur de l'argumentaire du rival Mélenchon, François Hollande n'a guère consacré de temps aux dangers que pourrait représenter l'extrême droite de Mme Le Pen pour la démocratie, la protection sociale, les services publiques, l'économie et la monnaie, etc.
Outre qu'il révèle les préoccupations du candidat Hollande et sa vision politique, ce silence sera sans doute apprécié des responsables et sympathisants de ces deux formations politiques - pour des raisons différentes, évidemment. Avec François Hollande, on le voit, la gauche ne se préoccupe plus de l'écosystème, tout comme elle n'est plus vraiment l'adversaire de la droite ni, de façon viscérale, des partis xénophobes et nationalistes.
Et les services publiques ? En expliquant son intention de redéployer des fonctionnaires essentiellement au niveau de l'Education Nationale, de la Justice et des forces de police, François Hollande a lancé un message d'espoir à tous les autres corps de la fonction publique ! Oyez, électeurs fonctionnaires et usagers des services publiques : ne comptez pas sur M. Hollande pour réaliser l'ambitieuse politique de renforcement de la puissance publique dont le pays a besoin.
Si les mesures annoncées constituent le "minimum syndical" de ce qu'on pourrait attendre d'un programme de gauche, le secteur de la santé appréciera tout particulièrement. En n'évoquant même pas la fonction publique hospitalière, François Hollande a tout simplement ignoré l'un des trois rôles fondamentaux de l'Etat (protéger, éduquer et soigner) en même temps qu'il a ignoré les conditions de travail de ces personnels fragilisés : aides soignantes, médecins et infirmières des hôpitaux.
L'inaction, moteur de l'économie
Connaissez-vous l'histoire du sportif qui attend une amélioration de ses performances pour s'entraîner ? Et celle de l'enseignant qui surveille les progrès de ses élèves avant de leur dispenser son enseignement ? Non ? Celle du jardinier qui compte sur la pousse spontanée des légumes pour semer et planter, peut-être ?
Pourtant, c'est ainsi que François Hollande conçoit son programme économique. Il le répétera plusieurs fois : "sans croissance, on ne peut rien faire". Et si celle-ci se fait attendre ? Désolé. Vous pensiez qu'un gouvernement, surtout un gouvernement de gauche, et surtout lorsqu'il s'oppose à la finance devait donner une impulsion ? Proposer une méthode de résolution des problèmes ? Avancer des mesures concrètes qui forcent le cours des choses, qui créent un effet d'entraînement, une dynamique ? Raté. Le programme de l'équipe Hollande attend la croissance et compte sur elle pour, dans le meilleur des cas, en démultiplier ses effets.
Cette tièdeur à l'action, ce manque d'audace s'expriment à tous les niveaux. Citons deux exemples parmi ces demi-mesures. Afin de lutter contre la finance, on séparera les activités de spéculation des banques de leur activité de financement de l'économie réelle... c'est bien connu, autoriser une activité spéculative et le développement d'opérations financières sur les marchés boursiers est le plus sûr moyen de lutter contre ! Pour rétablir un peu de justice entre les catégories de contribuables et lutter contre l'évasion fiscale, on créera une tranche d'imposition plus forte pour les hauts revenus... oui, mais à un taux inférieur à celui que proposait, par exemple, le gouvernement de droite de Jean-Pierre Raffarin : c'est bien connu, c'est en pratiquant une politique fiscale plus favorable aux plus fortunés qu'on lutte contre l'évasion fiscale et que l'on veille à mieux répartir les richesses !
A droite de la gauche
Quel bilan devons-nous tirer de l'émission "Des paroles et des actes" ?
Celui d'un homme qui mène une campagne mais une campagne d'opinion : le vocabulaire de la gauche et les déclarations d'intentions du même bord dévoilent en fait un programme d'essence libérale. François Hollande n'a dit qu'un mot d'une visite d'entreprise, il n'est pas le candidat du salariat, de la France qui travaille. Il promet les mesures difficiles de l'austérité que les Français devinent parce qu'ils les voient à l'oeuvre en Grèce et qu'ils en vivent déjà les prémices. Sur le plateau de David Pujadas, il ne dit rien sur l'environnement, ne propose aucun débat sur les énergies tandis que les conséquences de Fukushima poursuivent leur voyage dans notre atmosphère. Il est à ce point soucieux de la démocratie qu'il n'envisage aucune négociation ni infléchissement de ses propositions dans le cadre d'alliances de second tour. La question des hausses de salaires et des minima sociaux n'est même pas abordée par François Hollande. Et, alors que ses affiches appellent "le changement" pour "maintenant", il n'évoque ni contrôle de secteurs clés ni développement d'une économie sociale. Il ne parle pas de règlementer le tarif des énergies ni des transports. Il n'envisage pas de sortir des traités européens qui entravent durablement l'action publique au bénéfice des banques et des agences de notation. Il ne pense pas à interroger le pouvoir du chef de l'Etat ni le fonctionnement des institutions.
François Hollande est le candidat du sur-place. Certes, il a changé de lunettes, de compagne et, s'aprête sans doute à changer de vie. Mais, s'il a maigri, s'il a teint ses cheveux et se rêve désormais en président plutôt que d'afficher la bonhommie joyeuse qui semblait naguère le caractériser, c'est pour mieux correspondre à l'étrange chorégraphie dont ses conseillers en communication ont affublé sa campagne : les bras repliés vers la droite et vers la gauche en un mouvement contradictoire qui ne dit rien.
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