Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France
« J’ai entendu parler d’une épée de Damoclès qui pèserait sur la tête du gouvernement mais la véritable épée de Damoclès, est dès aujourd’hui là sur la tête de la France et des Français et faute d’actions, faute de courage maintenant, je suis sûr d’une chose : elle pèsera beaucoup plus gravement demain sur nos enfants et nos petits-enfants. La véritable épée de Damoclès, c’est notre dette financière colossale : 3 228 milliards d’euros. Si l’on n’y prend garde, elle placera notre pays au bord du précipice. (…) Il y a une autre épée de Damoclès, tout aussi redoutable, celle de la dette écologique. Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » (Michel Barnier, le 1er octobre 2024 dans l'hémicycle).
Dans une perspective de récession en Allemagne, mais surtout, d'instabilité politique durable en Allemagne (de nouvelles élections législatives sont prévues pour le 23 février 2025), la situation politique française est observée très attentivement par le monde. Cette semaine, et probablement les semaines à venir, vont être cruciales non seulement pour le gouvernement Barnier, mais aussi pour l'avenir économique de la France.
L'enjeu est très important : serons-nous, Français, dans la situation de la Grèce en 2010 ou en 2015 ? Notre super-endettement sera-t-il encore absorbé par la confiance que les milieux financiers portent à la France ? Pour l'instant, le Premier Ministre Michel Barnier s'est assez bien débrouillé. Il a su convaincre la Commission Européenne, et je pense qu'il était le seul Premier Ministre possible à pouvoir le faire, que la trajectoire budgétaire, même si elle a pris un peu de retard, restait dans la bonne direction et que la France ne sera pas sanctionnée pour manquement à ses engagements (ce n'est pas la dictature de Bruxelles, il s'agit ici de la parole de la France à honorer).
Petite cerise sur le gâteau, l'agence de notation Standard & Poor's n'a pas abaissé la note de confiance de la France ce vendredi 29 novembre 2024, ce qui montre que la crédibilité financière de la France reste intacte malgré toutes les difficultés. En effet, l'agence a communiqué : « Malgré l'incertitude politique, nous nous attendons à ce que la France se conforme avec un délai au cadre budgétaire européen et consolide progressivement ses finances publiques. ».
Le renversement du gouvernement Barnier et donc le rejet du projet de loi de finances, c'est-à-dire le vote d'une motion de censure, serait un événement qui mettrait en danger la crédibilité de la France et même de l'Europe alors qu'il n'y existe plus beaucoup de pôle stable. Le scénario catastrophe peut être envisagé mais le pire n'est jamais sûr non plus, et c'est important de résister aux défaitismes ambiants.
Par exemple, quand les journalistes disent avec une panique surjouée (ça va faire de l'audience) que la France désormais emprunte de l'argent au même taux d'intérêt que la Grèce, à savoir 3%, ils oublient de dire que c'est le taux d'intérêt de 2024, pas celui de 2010 qui devait être (je n'ai pas vérifié) entre 15 et 20% ! Entre-temps, la Grèce a adopté une politique pour le coup qu'on peut appeler d'austérité, qui n'a rien à voir avec le budget à peine rigoureux présenté depuis deux mois par Michel Barnier.
A priori, le RN a annoncé qu'il voterait une motion de censure. Rien ne dit que c'est la même motion de censure que celle que déposera inévitablement la nouvelle farce populaire (NFP) puisque dans les motions de censure, il y a les motivations qui déterminent la politique que les signataires veulent conduire, or le RN est loin du NFP en termes programmatiques.
En revanche, on peut se demander quelle est la motivation réelle de Marine Le Pen à vouloir censurer le gouvernement. Jusqu'à maintenant, elle avait adopté une attitude responsable afin de montrer que son parti était en mesure de gouverner bientôt la France. Cela a été un très lent processus, qui a commencé dès son accession à la tête du FN le 16 janvier 2011. En votant une motion de censure alors que le gouvernement a reculé sur le pouvoir d'achat en renonçant à augmenter la taxe sur l'électricité (soit dit en passant, ce n'est pas augmenter, mais c'est supprimer la réduction de la taxe qu'avaient voulue les gouvernements précédents pour faire face à l'inflation), le RN risquerait fort de ne plus être compréhensible. D'ailleurs, Jordan Bardella serait plutôt sur la ligne de responsabilité au contraire de sa mentor.
On peut imaginer que Marine Le Pen sente sa carrière cramer à court terme avec sa probable condamnation le 31 mars 2025. Alors, elle peut jouer comme Jean-Luc Mélenchon et vouloir la tactique du chaos pour bénéficier d'une élection présidentielle anticipée. Mais il ne faut pas qu'elle se leurre, même en cas de démission du Président de la République (fort peu probable, mais la dissolution était tout aussi improbable), l'élection présidentielle ne serait pas organisée avant avril ou mai 2025, soit après une possible condamnation et inéligibilité exécutoire immédiatement. On peut alors imaginer plutôt une politique de la terre brûlée, ce qui est très étrange pour le RN à qui il manquait encore des électeurs de responsabilité pour atteindre une majorité absolue.
Je ne suis pas madame Soleil ni madame Irma, et donc, à part dire que le pire n'est jamais certain, je suis bien incapable de prédire l'avenir politique très proche, avec un élément à prendre en compte, du 2 au 4 décembre 2024, le Président de la Républiqe sera absent du territoire français puisqu'en visite d'État en Arabie Saoudite.
En revanche, je voudrais revenir sur ce qu'on entend depuis une semaine (depuis cinq mois en fait) sur les institutions et sur les critiques contre Emmanuel Macron. Comme 99,999% de la population, je n'ai pas compris la dissolution le 9 juin 2024 et j'ai été particulièrement choqué par celle-ci, sidéré plutôt, mais il ne faut pas exagérer : une dissolution, c'est le retour au peuple, c'est redonner la parole au peuple et s'il n'avait pas dissous, Emmanuel Macron aurait été critiqué de ne pas l'avoir fait, d'autant plus que le RN hurlait à la dissolution depuis une bonne année.
On a tendance à faire des comparaisons avec De Gaulle. Comparaison n'est jamais raison et puis, De Gaulle était De Gaulle et personne ne l'est dans la classe politique depuis 1970, il ne faut donc pas, là non plus, exagérer : la démission de De Gaulle le 28 avril 1969, c'était aussi la retraite anticipée d'un vieillard de 78 ans (âge qu'aura Jean-Luc Mélenchon au milieu du prochain quinquennat), il s'est sabordé lui-même, car il savait très bien où il allait quand il a annoncé son référendum. Mais surtout, personne ne l'a contraint à démissionner, c'était un choix personnel sans pression extérieure, celui d'un vieux monsieur qui a fait l'histoire et qui ne comprenait plus son pays depuis une année (mai 68).
De plus, la comparaison avec la pratique institutionnelle de De Gaulle s'arrête généralement à sa démission, mais c'est incomplet, on oublie aussi qu'il a dissous deux fois l'Assemblée, une fois en 1962 à une époque où les députés gaullistes ont considéré que c'était de la folie et anticipaient un désastre électoral majeur (qui n'a heureusement pas eu lieu), et une seconde fois en 1968 à une époque où c'était le "foutoir" de mai 68. Les deux "paris" de De Gaulle ont été gagnés, mais ils auraient pu être perdus, et dans ce cas, la faute n'en aurait pas été imputable à De Gaulle mais au peuple qui a voté.
D'autres Présidents de la République ont subi de graves revers électoraux, parfois très graves, et j'en citerai deux : François Mitterrand, le 16 mars 1986 et surtout le 28 mars 1993, deux échecs de son parti aux élections législatives, et Jacques Chirac, le 1er juin 1997, échec aux élections législatives (provoquées par une dissolution !) et le 29 mai 20065, échec du référendum sur le TCE. Aucun de ces deux Présidents de la République n'a démissionné et personne, à part quelques excités du bocage, n'a réclamé leur démission.
En 2024, Emmanuel Macron a fait mieux (et pas pire) que Jacques Chirac en 1997. À l'évidence, il n'a pas réussi puisqu'il a obtenu moins de sièges de sa majorité à la fin qu'au début, comme en 1997, mais au contraire de 1997, aucune opposition n'a réussi à obtenir une majorité absolue pour autant. C'est cette situation de no-man's-land politique qui rend la situation actuelle très incertaine et, répétons-le, elle ne finirait pas avec la démission du Président de la République puisqu'il serait constitutionnellement impossible de dissoudre avant une année (s'il y avait bien une réforme institutionnelle à faire, ce serait de réduire ce délai).
Le seul message clair des électeurs le 7 juillet 2024, c'est qu'ils ne voulaient pas d'un gouvernement dirigé par le RN alors que tous les prescripteurs d'opinion le pronostiquaient. Et c'était donc aux groupes qui ont fait élire leurs députés sous cette bannière du front républicaine de s'entendre pour gouverner. Au lieu de cela, Jean-Luc Mélenchon a pris en otage toute la gauche, et celle-ci, curieusement, s'est laissée faire. Cela coûtera très cher à la France.
Car le plus sot (on ne prête qu'aux riches), c'est qu'on impute à Emmanuel Macron une responsabilité qu'il n'a pas. Il a eu la responsabilité de dissoudre l'Assemblée mais c'est sa décision souveraine et constitutionnelle et personne n'a à la discuter, éventuellement on peut la commenter, mais c'était son droit souverain et constitutionnel de dissoudre. En revanche, on ne peut pas le rendre responsable du résultat des élections législatives de 2024 : ce sont les Français, souverainement, démocratiquement, par leur vote libre, sincère et secret, qui ont donné à la France cette Assemblée impossible.
Ce n'est pas Emmanuel Macron qui a mis les institutions en surpression, ce n'est même pas les institutions qui l'ont voulu alors que les constituants de 1958 avaient tenté de chercher toutes les causes d'ingouvernabilité, et ils avaient un bon modèle avec la Quatrième République. Mais ils n'ont pas imaginé la situation de 2024. Ce sont les Français qui l'ont voulu, et eux seuls.
Alors, dans cette situation, plus qu'Emmanuel Macron seul qui n'a fait qu'amorcer un processus, je vois le peuple principale cause de cette difficulté à gouverner en choisissant trois forces politiques d'égale représentation (au lieu de deux). Ce choix est là, est un fait. On peut le regretter (tout le monde le regrette), mais quoi faire ? Ce n'est pas destituer Emmanuel Macron ou le pousser à la démission qui résoudra quelque chose, ou alors, dans cette logique, il faudrait plutôt destituer le peuple !
Mais je vois un autre responsable, la classe politique dans sa globalité, ou plutôt, celle représentée à l'Assemblée Nationale, l'ensemble des groupes politiques qui montrent une absence totale de responsabilité face aux grands défis qui attendent la France dans une conjecture internationale particulièrement inquiétante au moment où Vladimir Poutine évoque la possibilité d'envoyer des missiles nucléaires en Europe. Et en France, pour d'obscures ambitions présidentielles des uns et des autres, on ergote sur un budget, on veut encore moins travailler, raser encore plus gratis, etc. Société de paresse alors qu'on devrait plutôt remonter ses manches.
Assurément, nous ne sommes plus en 1933 avec l'expression enflammée des extrêmes. C'est déjà du passé. Nous sommes maintenant en 1936, avec les grèves, avec les congés payés, avec l'espoir de la belle vie... sans voir un seul moment que se profilait 1939 et 1940. Décidément, j'ai parfois l'impression que l'histoire repasse les plats, mais alors les plus réchauffés...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01er décembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Gouvernement Barnier : les yeux du monde rivés sur la France.
Risque de censure : Non, le RN n'est pas l'arbitre des élégances !
Michel Barnier plaide pour la sobriété normative et procédurale !
Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 21 novembre 2024 à la Porte de Versailles (vidéo et texte intégral).
Michel Barnier sur les pas de Pierre Mendès France.
Discours du Premier Ministre Michel Barnier le 15 novembre 2024 à Angers (vidéo et texte intégral).
PLF 2025 : la majorité de rejet !
Michel Barnier : déjà deux mois !
François Guizot à Matignon ?
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Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
Doliprane : l'impéritie politique.
Proche-Orient : l'incompréhension de Roger Karoutchi.
Motion de censure : le quart d'heure de gloire d'Olivier Faure.
Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
Claude Malhuret : du vol des élections aux chefs d'escadrille...
Les 3 lignes rouges de Marine Le Pen pour ne pas censurer le gouvernement Barnier.
La quadrature du cercle de Michel Barnier.
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