Grenelle de l’environnement : la démocratie participative menacée
Le président de la République a décidé de suspendre l’introduction de certaines mesures issues du processus du Grenelle de l’environnement dans la loi « Grenelle 1 ». Cette décision a été largement commentée en fonction de ses conséquences directes sur la politique environnementale et fiscale du gouvernement. Peu nombreux sont en revanche les commentateurs à avoir analysé cet arbitrage en termes plus « politiques » : ce geste signifie en réalité un coup d’arrêt à ce que l’on peut appeler la démocratie participative.

Le Grenelle de l’environnement constitue un mécanisme rarement utilisé en démocratie française : la tentative de définir par consensus un certain nombre de réformes sur un sujet intéressant l’ensemble de la société. Principalement utilisé dans les pays du nord de l’Europe, ce type de processus est généralement proposé pour permettre l’adoption de mesures parfois « coûteuses » (pour les citoyens) à court terme, mais dont on anticipe un bénéfice global sur le long terme. L’exemple-type de ce type de politique est celui qui a conduit à un certain nombre de réformes du système social dans ces pays (pour assurer la pérennité du système de retraites ou d’assurance chômage, par exemple). Dans ces processus, un agenda et un certain nombre de mesures parfois douloureuses sont ainsi définies en commun entre les différentes parties prenantes, celles-ci rapprochant leurs points de vue en veillant à un équilibre des sacrifices consentis.
La genèse du Grenelle de l’environnement en France se situe lors de la campagne électorale présidentielle de 2007. Vexé par la notation très sévère de son programme environnemental par les ONG, le candidat Nicolas Sarkozy avait reçu celles-ci afin de solliciter leurs recommandations. Il s’était engagé à lancer ce vaste mécanisme de consultation dès le début de son mandat et à garantir, s’il était élu, la mise en place des propositions résultantes.
D’un point de vue mécanistique, le Grenelle de l’environnement constitue sans doute l’échelon le plus élevé de ce type de processus. Afin de répondre à un problème de magnitude considérable, il fallut réunir un nombre très important de partenaires différents (représentants des employeurs et des employés, ONG environnementales, experts, politiques, associations de consommateurs…) au sein d’une cinquantaine de groupes de travail différents. La nécessité d’élargir la consultation au-delà de Paris entraîna aussi l’organisation d’une vingtaine de débats en région, ainsi que l’ouverture d’un site internet interactif. Un travail d’édition considérable fut nécessaire afin de transformer le millier de propositions acceptées par l’ensemble des partenaires en plus de 250 décisions d’action concrète à insérer dans les projets de lois par l’intermédiaire d’une trentaine de comités opérationnels. Enfin, un comité de pilotage du suivi de ces propositions fut mis en place afin d’en vérifier l’application effective par la suite.
Les leçons de ce Grenelle sont nombreuses, et assez semblables à celles récemment tirées pour ce type de consultation de la société civile lors d’un atelier de l’OCDE sur le dialogue science-société :
· La nécessité d’associer toutes les parties prenantes au processus
· La capacité des différents partenaires à aborder des sujets complexes, souvent en dehors de leur expertise initiale
· La nécessité de combiner des experts scientifiques ou techniques avec des compétences économiques et sociales
· La capacité des partenaires à parvenir à des accords de compromis sur la plupart des sujets
· La nécessité d’un investissement fort du politique à l’initiative du processus, afin de crédibiliser la démarche et d’assurer une traduction effective des travaux en décisions ou lois
· L’émergence d’un changement réel des partenaires impliqués, dans leurs relations avec les autres et leur compréhension du sujet, qui dépasse les simples applications directes du processus même.
En revanche, certaines questions sont restées sans réponse à l’issue de ce Grenelle, parfois en raison du thème lui-même :
· Comment communiquer auprès du citoyen et des médias sur des sujets complexes, sur lesquels les mesures proposées ne pourront avoir d’impact visible que dans vingt ans ?
· Comment maintenir une dynamique sur ce type de sujet, alors que l’actualité et les priorités changent constamment ?
· Comment adapter des approches culturelles classiques de dialogue ou de décision à des besoins ou défis émergents ?
Un autre problème crucial qui apparut lors de ce Grenelle, de l’aveu même d’un conseiller du ministre en charge du dossier, fut la réaction du Parlement. Contrairement aux pays du nord de l’Europe, la France et les autres pays latins ont une tradition de démocratie représentative et non participative. Le Parlement français pouvait donc se sentir dépossédé d’un débat auquel il pouvait prétendre, et refuser d’entériner les propositions de consensus produites lors des consultations. De fait, les parlementaires suivirent de façon très circonspecte ces débats, et l’on a pu voir les réactions d’un certain nombre de ceux-ci, y compris du président de l’Assemblée nationale, lorsque la possibilité d’étendre le système de bonus-malus fut abordée. En revanche, ce que n’avaient pas envisagé les acteurs de ce processus était une reculade, voire un désaveu de l’exécutif lui-même (de la part du Premier ministre et du président de la République). Même si au final la décision de geler certaines des propositions du Grenelle a des conséquences limitées sur le contenu global du projet de loi, la décision est symbolique et illustre la difficulté d’intégrer ce concept de démocratie participative en France.
Pourtant, la démocratie participative est devenue une attente forte dans la société française. Le développement de cette culture dans notre pays est d’ailleurs assez concomitant avec la démocratisation d’internet ; parallèlement à la désaffection des citoyens envers le système électoral classique, on constate en effet un appétit croissant pour le débat citoyen, que ce soit au niveau politique (référendum sur la Constitution européenne), de l’information (blogs, journalisme citoyen, comme l’illustre Agoravox), de l’éthique, de l’environnement, des choix scientifiques, etc.
Logiquement, le politique commence à s’emparer de ce souhait. On a pu le constater avec Ségolène Royal (avec la mise en place de ses comités « désirs d’avenir ») ou avec François Bayrou (partisan de l’ouverture et d’une méthode de gouvernement basée sur une consultation large des différents partenaires sociaux) lors de la dernière campagne présidentielle. Néanmoins, ces propositions avaient leurs limites : beaucoup de participants aux débats initiés par Mme Royal se sont plaints de conclusions déjà présentes à l’entame des débats (et du peu de cas de leurs délibérations dans le projet final), et François Bayrou peine à développer à l’intérieur de son parti (peut-être par manque de moyens ou d’expertise) un vrai débat participatif sur son projet.
Plus symbolique encore est la position du gouvernement actuel. Par deux fois au moins (lors de la discussion sur la réforme du temps de travail, au cours de laquelle le ministre du Travail avait passé outre le compromis établi entre partenaires sociaux, et donc dernièrement sur le Grenelle de l’environnement), l’exécutif a refusé d’accepter les recommandations issues d’un consensus au sein de la société civile. Ce faisant, il a durablement brisé un élément essentiel à la réussite de toute démocratie participative : la confiance.
Si cet échec illustre la difficulté de nos politiques avec cette nouvelle forme de démocratie, on peut néanmoins se demander combien de temps cette forme de combat d’arrière-garde perdurera. Sur le long terme, aucune démocratie ne peut exister sans la participation des citoyens. L’exemple de la participation aux élections outre-Atlantique (30 % aux élections présidentielles) ne peut servir de modèle : la société américaine dispose de contre-pouvoirs puissants, et la période politique récente et ses dérives ont provoqué une mobilisation sans précédent des citoyens lors des primaires cette année. La démocratie directe (à la mode suisse) étant difficile à appliquer dans un pays de la taille de la France, il faudra donc bien que le politique accepte de sacrifier une partie de son pouvoir acquis par le système représentatif au profit d’un mécanisme participatif plus développé, faute de quoi le citoyen risque de se tourner vers des moyens plus agressifs pour se faire entendre.
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