Homme providentiel : la France de 2007 a-t-elle besoin d’un capitaine ou d’une prophétesse ?
Les observateurs étrangers qui se penchent pour étude ou par curiosité sur la vie politique française sont souvent surpris par le fait que celle-ci ne peut s’empêcher de faire continuellement référence à l’histoire et à la mythologie politique. Pas de grands discours sans citations de grands hommes (Jaurès pour le discours d’investiture de Nicolas Sarkozy, même si cela peut paraître antinomique). Pas de grands gestes politiques, sans référence aux actions d’un illustre prédécesseur (la muraille de Chine pour Ségolène Royal, comme Mitterrand avant l’élection de 1981).
Parmi les mythes politiques les plus forts, il en est un, le mythe de l’homme providentiel, qui reprend du service à chaque élection présidentielle avec plus ou moins de vigueur. Quoi de plus naturel pour un candidat, dans un scrutin aussi personnalisé, que de vouloir parler à l’inconscient collectif français en tentant d’incarner au mieux ce mythe ? En 2007, il est intéressant de constater que les deux principaux candidats souhaitent se détacher de toute référence à ce mythe et déclarent qu’ils ne croient pas en sa pertinence. Ségolène Royal l’a déclaré le 20 janvier dernier lors d’une interview avec Claire Chazal. Nicolas Sarkozy après l’avoir affirmé en 1995 (archive INA retrouvée par Marianne2007) ne semble plus tout à fait prêt à le rappeler.
Le retour du mythe de l’homme providentiel
Pourtant, le mythe de l’homme providentiel, du guide, du chef, du sauveur semble bien de retour. Il est partout dans la communication, dans les discours, dans les actes, sur les sites Internet des candidats. Diffus, il est difficile à cerner et peut prendre plusieurs formes.
Pour mieux le définir, il est possible de s’inspirer de la typologie de Raoul Girardet (Mythes et mythologies politiques, Seuil, 1986), qui en vaut bien une autre et qui a le mérite d’être claire. Schématiquement il existe, selon cet auteur, quatre grands modèles d’homme providentiel. Ces modèles peuvent se combiner pour mieux s’incarner :
- Le modèle Cincinnatus : le vieil homme illustre, en retraite paisible, qui est rappelé à la tête d’un peuple dans la tourmente. Les exemples sont connus : Doumergue (1934), Pétain (1940), de Gaulle (1958).
- Le modèle Alexandre : le jeune capitaine téméraire et avide de gloire. On voit tout de suite Bonaparte (1795).
- Le modèle Solon : le législateur ou le sage refondateur qui s’appuie sur de grands principes et de grandes références universelles. Les illustrations pourraient être Pétain (et son « ordre nouveau » de 1941), de Gaulle (et la Ve République de 1958)
- Le modèle Moïse : le prophète qui guide et incarne son peuple, notamment par le Verbe.
Le capitaine Sarkozy et la prophétesse Royal
Jouons un peu en essayant les différentes combinaisons qui s’adaptent le mieux aux différents candidats de l’élection présidentielle 2007. Pour les deux candidats en tête des sondages, c’est presque trop simple.
Sarkozy est bien entendu le jeune capitaine toujours dans l’action et avide d’un destin glorieux. Sur le site Sarkozy.fr, on en retrouve des éléments dans sa biographie, dans ses valeurs, dans l’omniprésence de ses portraits sur toutes les pages du site et dans ses différents discours.
Royal prendrait plutôt la figure d’une prophétesse qui souhaite incarner son peuple pour mieux le guider. L’internaute ne s’attend-il pas à ce qu’une voix transcendante perce à travers les nuages du bandeau haut du site désirs d’avenir ? La couleur blanche des habits de la candidate ne l’entoure-t-elle pas d’une aura particulière ? Les débats participatifs en ligne ne sont-ils pas le signe d’une écoute de la parole d’un peuple qu’elle portera tout au long de la campagne ?
L’exercice devient plus difficile pour Bayrou, Le Pen, Hulot et les autres... Peut-être parce que ces candidats font moins de références explicites ou implicites à ce mythe dans le cadre de leur campagne (et encore, ça se discute, nous vous laissons essayer) ?
Dans son exploration de ce mythe, Raoul Girardet précise : « A quelque modèle qu’il se réfère (...) l’homme providentiel apparaît toujours comme un combattant (...). Qu’il restaure l’ordre établi ou qu’il le bouleverse, qu’il organise ou qu’il annonce celui qui vient, c’est toujours, d’autre part, sur une ligne de rupture des temps que se situe son personnage. » Rupture, voilà bien un concept remis au goût du jour.
L’homme providentiel n’est que le héros d’un contexte
Si les deux principaux candidats semblent jouer la carte de l’homme providentiel dans leur communication (notamment dans leur posture ou dans l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes), cela n’est pas sans risque majeur. En effet, l’utilisation efficace de ce mythe, pour parler à l’inconscient collectif français, nécessite que le modèle de posture que le candidat a choisi soit en adéquation parfaite avec les attentes et le contexte général de la société. Pour devenir le héros d’un peuple, il est nécessaire que le peuple perçoive en vous les qualités adaptées à sa situation et à ses attentes.
La communication des candidats devra donc à la fois jouer sur la perception que la société se fait d’elle-même (état des lieux), sur les modèles de société qui s’offrent à elle (les solutions potentielles) et sur le candidat le mieux à même de les porter (le projet et son incarnation).
En 2007, la France (telle qu’elle se perçoit elle-même) a-t-elle besoin d’un capitaine, ou d’une prophétesse ?
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