Il n’y a pas d’affaire Tiberi, il y a un scandale républicain : le Conseil Constitutionnel !
De quoi parle-t-on au procès Tiberi, puisque le droit a déjà été dit il y a 11 ans et que personne ne peut plus ni le contester ni revenir dessus ?

Le procès Tiberi des fraudes électorales du 5ème arrondissement de Paris vient de s’ouvrir devant la 16ème Chambre correctionnelle du TGI de Paris. La presse s’y intéresse à juste titre, comme fait divers. Or cette affaire a révélé non pas simplement l’existence de pratiques illégales au cœur même de la capitale, mais un dysfonctionnement grave de nos institutions, un de plus, touchant, encore une fois, le Conseil Constitutionnel, cet archaïsme qu’on croirait directement hérité de la Curia Regis de Philippe le Bel, et qui agit dans des conditions à peine moins scandaleuses que sa lointaine parente il y a sept siècles.
De quoi parle-t-on en effet ? De l’inscription illégale d’électeurs sur les listes du 5ème arrondissement de Paris, sur des listes où ils n’ont rien à faire parce que ne répondant à aucun des critères d’inscription prévus par le Code électoral. Le problème est qu’on en est toujours à établir si ce délit a ou non été commis. Or le droit a été dit de manière définitive il y a déjà 11 ans, depuis que les listes électorales de cet arrondissement parisien, et partant ses urnes, sont reconnues frauduleuses depuis la découverte à l’occasion des élections législatives de 1997 d’un système massif de fausses inscriptions qui a été jugé le 20 février 1998 par le Conseil Constitutionnel dans sa décision relative aux élections législatives du 1er juin 1997 dans le 5ème arrondissement.
Les attendus fondant cette décision étaient les suivants :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment de l’enquête diligentée par le Conseil Constitutionnel, que, dans le cinquième arrondissement de Paris, un nombre important d’électeurs sont domiciliés dans les logements sociaux de la ville de Paris, alors qu’ils sont inconnus des organismes gestionnaires de ces immeubles ; que, dans certains cas, il s’avère que ces personnes résident en réalité dans des logements de la ville de Paris situés dans d’autres arrondissements ; qu’il résulte également de l’instruction que des électeurs sont domiciliés dans des bâtiments inexistants ou insusceptibles d’accueillir le nombre d’électeurs inscrits et qu’un nombre anormal d’électeurs est domicilié dans les appartements de la mairie du cinquième arrondissement ; que les particularités qui s’attachent aux changements de domicile dans les grandes villes ne suffisent pas à expliquer toutes ces constatations ; qu’au surplus, l’instruction a révélé que des certificats d’hébergement de complaisance avaient été établis par des personnes liées au candidat élu ; que ces constatations ne sont explicables, pour beaucoup, qu’en raison des agissements ou de l’inaction d’organismes liés à la mairie de Paris ou à celle du cinquième arrondissement, ou encore en raison de comportement de personnes liées ou apparentées au candidat élu ;
Considérant qu’il résulte en outre de l’instruction que plusieurs centaines de cartes d’électeurs ne sont pas parvenues à leurs destinataires, alors pourtant que ces derniers n’ont pas indiqué de changement de domicile lorsqu’ils les ont retirées ;
Considérant que le cumul de ces faits, graves et répétés, au sein du même arrondissement, est de nature à accréditer l’existence d’une manœuvre dans les conditions d’établissement de la liste électorale ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que le nombre d’électeurs dont l’inscription peut être suspectée de fraude et qui ont voté au second tour du scrutin est sensiblement inférieur à l’écart des voix entre les candidats à ce tour... »
Relevons que non seulement l’existence de fraudes électorales est jugée acquise, mais surtout que le Conseil fonde sa décision sur l’établissement d’une liste de faux électeurs ayant voté, faute de quoi le recours à la jurisprudence de l’écart de voix serait sans fondement. Dit autrement, c’est parce que le Conseil a établi une liste de faux électeurs et qu’il a pu la comparer à l’écart des voix (2.725 voix) qu’il a validé l’élection tout en établissant la fraude.
Les décisions du Conseil Constitutionnel – on le sait mieux depuis que le président de la République a lui-même tenté il y a quelques mois de s’en affranchir – s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités judiciaires et administratives en vertu de l’article 62 de la Constitution de 1958, et ce non seulement dans leur dispositif, mais aussi dans les motifs qui en constituent le fondement (Conseil constitutionnel n° 88-1127 A.N. Meurthe et Moselle du 20 avril 1989). Le caractère frauduleux des listes électorales du 5ème arrondissement en leur état de 1997 ne pourra jamais être contesté, sauf à violer l’article 62 de la Constitution.
Mais que s’est-il passé depuis 1998 ? Rien. Le juge pénal a-t-il bouclé immédiatement son instruction en se fondant sur la décision du Conseil ? Non. Les commissions de révision des listes du 5ème et le préfet de Paris ont-ils utilisé cette décision pour effectuer une révision complète ce ces listes ? Pas davantage. C’est comme si cette décision brûlait les doigts, comme si les conséquences de l’article 62 étaient apparues brusquement démesurées. Mais alors pourquoi alors couvrir de l’autorité absolue de la Constitution toutes les décisions du Conseil ?
Ceci pourrait ne plus être d’actualité en 2008… Le problème est que nul ne sait encore à ce jour si ces faux électeurs dont le Conseil Constitutionnel a établi la liste en 1998, ont été ou non radiés, s’ils sont toujours présents sur les listes et s’ils ont pu de nouveau voter jusqu’au scrutin municipal de 2008. Car cette liste reste toujours secrète à ce jour, et le Conseil Constitutionnel s’est refusé à la transmettre non seulement aux autorités préfectorales qui auraient dû immédiatement faire radier ces faux électeurs par les commissions de révision des listes électorales, mais même à la juge d’instruction chargée du versant pénal de cette affaire qui en avait pourtant à l’époque fait la demande (le 22 octobre 1998, décision de refus du Conseil du 10 novembre 1998).
Pourtant, le 27 avril 1999 suivant, la rapporteur auprès du Conseil Constitutionnel, Madame Christine Maugüe entendue par la juge d’instruction, avait confirmé l’existence d’une liste d’environ 800 noms de faux-électeurs établie à l’appui de son rapport au Conseil Constitutionnel du 17 février 1998, et fondement à la décision du 20 février suivant. C’est effectivement ce chiffre qui avait circulé dans la presse, qui a été repris ces derniers jours, et qui n’a jamais été démenti par le Conseil Constitutionnel.
Or la transmission de cette liste qui est elle-aussi frappée du sceau de l’article 62, ce qui implique que la qualité de fraudeurs des personnes répertoriées ne peut pas plus être remise en cause que le reste de la décision, aurait accéléré une procédure pénale qui aura mis encore 11 ans pour que soient renvoyés en correctionnelle le « candidat élu » et les personnes que le Conseil Constitutionnel avait identifiées dans sa décision comme lui étant « liées ou apparentées ».
La question va se poser de manière pressante devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, ledit Tribunal étant lui-aussi lié par l’article 62 de la Constitution et ne pouvant déjuger en aucun cas le Conseil Constitutionnel. Autrement dit, le TGI ne peut plus dire aujourd’hui qu’il n’y avait pas de fraude organisée et massive. Et il est obligé de mettre un nom et un visage sur chacune des deux personnes désignées par le Conseil en 1997 comme étant des « personnes liées et apparentées au candidat élu ». En juger autrement serait ouvrir rien moins qu’une crise constitutionnelle.
En outre lorsque le TGI de Paris aura également mis des noms sur chacun des faux électeurs de la liste de 1997 (chiffre reconnu par la rapporteur du Conseil constitutionnel devant le juge d’instruction, son procès-verbal d’audition étant au dossier), il ne pourra descendre en-dessous du nombre de 800 évalué par le Conseil en 1998, mais pas davantage aller au-delà de l’écart de voix de l’élection de 1997 sauf à dire que le Conseil n’avait pas terminé son boulot et que l’élection aurait dû être annulée.
Ce procès va donc bien au-delà du simple cas d’un homme politique en fin de carrière : il devrait être celui d’une survivance d’ancien régime au sein de nos institutions, ce Conseil Constitutionnel qui, à l’inverse de toutes les cours suprêmes des régimes démocratiques (y compris de la cour constitutionnelle turque) perpétue des règles d’un autre temps, celles du secret des débats, de celui des délibérés, du secret des votes, de l’interdiction d’opinions dissidentes des juges de la minorité, etc… Et du refus de communiquer au juge pénal et aux commissions de révision des listes des pièces qui fondent pourtant une décision que nul ne peut remettre en question. Et alors qu’il s’agit ni plus ni moins que de dire le droit souverain, et ce sans aucune possibilité de recours.
Tant que la République française tolèrera en son sein un tel archaïsme, et n’aura pas aligné les règles de fonctionnement du Conseil Constitutionnel sur celles des autres démocraties, il y aura encore et encore des « affaires » Tiberi.
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