Ingrid Betancourt otage des Législatives ?
« La libération de notre compatriote est une priorité du président de la République Nicolas Sarkozy. Sa détermination est entière ». C’est Kouchner qui s’exprime, et force est de constater que depuis 5 ans que la Franco-Colombienne est détenue par les FARC, peu de politiques avaient montré autant d’empressement que Nicolas Sarkozy à la voir libre. Si possible avant le premier tour des élections législatives. Honni soit qui mal y pense.
"Je vais à San Vicente del Caguán pour exiger des garanties pour la population civile de la zone, et pour montrer à la population de San Vicente que je tiens mon engagement d’être avec eux dans les bons et les mauvais moments, engagement formulé en octobre dernier lorsque Néstor León Ramírez, du parti vert, a été élu maire de la ville. San Vicente et toutes les communautés de la zone démilitarisée ont joué un rôle important pour la paix, en acceptant que leur territoire soit transformé en laboratoire de la paix. C’est maintenant au tour de tous les Colombiens d’agir pour que cette région ne devienne pas une terre où règnent barbarie et terreur." Ces mots ont été prononcés par Ingrid Betancourt, militante écologiste, la veille de son enlèvement. C’était le 22 février 2002, il y a plus de cinq ans. Le lendemain, Ingrid Betancourt fera fi des conseils de prudence et sera capturée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC. C’est Wikipédia qui raconte :
« Ingrid prend la route de Florencia (capitale du département) qui mène à San Vicente del Caguán malgré les avertissements du gouvernement lui signalant la présence de guérilleros dans la zone et l’informant des combats qui avaient lieu. Alors qu’une dernière barrière militaire empêche le convoi de continuer et que les militaires annoncent la présence des guérilleros quelques kilomètres plus loin, Ingrid donne l’ordre à son conducteur de poursuivre sa route. Avant de repartir, les militaires lui demandent de signer un document dans lequel elle se rend responsable de cette décision prise à l’encontre des avertissements qui lui avaient été adressés. Quelques kilomètres plus loin, Ingrid et Clara Rojas, sa directrice de campagne, sont arrêtées et enlevées par les FARC. »
Depuis... depuis pas grand-chose. Des manifestations de ci de là, une mobilisation maintenue par les enfants d’Ingrid Betancourt, quelques tentatives de libération ratées, mais surtout l’impuissance des politiques, de France ou de Colombie, l’impuissance ou l’absence de réelle volonté d’obtenir une issue heureuse et rapide au calvaire de l’otage, et de tous les autres otages retenus par les FARC.
A peine élu, et pas encore investi chef de l’Etat, pas encore habité par la fonction, Nicolas Sarkozy prévient que « la France n’abandonnera pas Ingrid Betancourt », et depuis fait feu de tout bois pour tenter de faire avancer le dossier. On a un court moment craint une intervention militaire commanditée par le président Uribe, le président colombien, intervention brutale qu’ont toujours voulu éviter les proches de Ingrid Bétancourt... Uribe renoncera finalement, et aujourd’hui on parle d’un éventuel échange de prisonniers, dans une zone au préalable démilitarisée. Des membres des FARC contre plusieurs otages, dont Bétancourt. Le numéro 2 des FARC, Raul Reyes, s’est directement adressé à Super Sarko dans une interview rendue publique le 22 mai :
« Les FARC ratifient à nouveau, à l’attention du président Nicolas Sarkozy et du peuple français, leur engagement indéclinable dans la recherche de l’échange de prisonniers, pour lequel il est absolument indispensable de compter sur la garantie qu’il n’y ait pas de force publique dans les municipalités de Florida et Pradera. Ses bons offices dans ce but seront décisifs pour obtenir le retour dans leur foyer de doña Ingrid et des autres échangeables. Monsieur le président, sachez que ni les mensonges ni les infamies ni les injures d’Alvaro Uribe, ennemi tenace de l’échange humanitaire, ne modifieront les objectifs d’une organisation révolutionnaire qui livre depuis 43 ans bataille pour la Nouvelle Colombie, la Grande Patrie et le socialisme. »
Sarkozy prêt à discuter avec des socialistes révolutionnaires ? On aura tout vu ! C’est Lutte ouvrière qui va s’étrangler. Blague à part, c’est la première fois depuis des lustres que les ravisseurs s’adressent ainsi au président français. Chirac n’avait pas eu cet honneur-là. A croire que le charme de notre nouveau général, qui a fait fondre Le Pen lui-même, a également opéré jusqu’en Colombie. Que de bonnes nouvelles en tout cas pour tous ceux qui oeuvrent depuis de trop longs mois à la libération de leur mère, de leur amie ou de leur femme. On a même un temps évoqué la date (butoir ?) du 7 juin pour un éventuel échange. Mais rien n’est fait. Quelques détails clochent encore, sur le nombre de prisonniers libérés, et sur les conditions de leur libération. Les relations sont si compliquées entre Uribe et les FARC qu’on est en droit de craindre une nouvelle reculade.
Il n’empêche que Sarkozy, lui qui atteint des côtes gaulliennes de popularité, aimerait bien voir l’ancienne élève de Sciences Po, Bétancourt à Paris avant le premier tour des législatives. Non qu’il en ait besoin, a priori, pour réduire en miettes la gauche, mais un "tiens" vaut mieux que deux "tu l’auras", et une telle libération, encore inespérée il y a quelques semaines, ne pourrait que renforcer encore plus l’assise du joggeur Duracell (il dure encore plus longtemps). De là à voir dans cet empressement soudain à secouer les FARC un calcul bassement politicien, il y a un pas qu’on ne peut s’empêcher d’envisager de franchir. Une libération d’otages à l’aube d’un grand scrutin, ça nous rappelle un peu ceux du Liban, il y a une génération politique de cela, lorsque le gouvernement Chirac avait fait tout ce qui était en son pouvoir, et même au-delà, pour obtenir la libération des Carton, Fontaine et Kauffman. Chirac et Pasqua à Villacoublay pour accueillir les revenants, c’était un 5 mai en 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle, mais ça n’avait pas suffi à Chirac pour battre Mitterrand, élu trois jours plus tard.
On sait aujourd’hui que la libération des otages du Liban s’est accompagnée du versement d’une rançon. Marchiani et Pasqua (qui commence à publier ses souvenirs, ça promet) auraient même à l’occasion touché une « rétrocommission » d’un montant de 850 000 francs, selon une note de la DST. Quant au montant de la présumée rançon, on n’en sait rien. Peut-être pas loin des 7 millions versés par Reagan en 1981 pour récupérer ses otages d’Iran, argent dont Denis Robert et Ernest Backes ont remonté la piste dans leur fameux ouvrage « Révélations ».
Mais tout cela, bien sûr, n’a rien à voir avec l’affaire Bétancourt. Y a-t-il, d’ailleurs, une affaire Bétancourt ? Pas encore. Juste le combat « juste » d’un président attaché à ses ouailles, qui veut redonner à des enfants leur mère. Une autre façon de faire de la politique, nous dit-on, alors pourquoi ne pas le croire ? Et si, ce qu’on lui souhaite, Ingrid Bétancourt retrouve la liberté avant le 10 juin prochain, cela prouvera aux sarkozistes de gauche et de droite que leur protégé est bien le cador annoncé, et aux antisarkozistes, du centre comme de gauche, que l’homme est prêt à tout pour étendre son empire. La rupture est en marche.
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