Jacques Chirac se tait, Charles Pasqua flingue

Souvent bien plus passionnants que les procès eux-mêmes, leur périphérie, leur contexte éclairent davantage sur les personnalités en cause, permettent d’analyser au mieux leurs réactions et ne sont pas loin, sur un plan plus large, de mettre en évidence la relation qu’elles entretiennent avec la démocratie et ses institutions.
Ainsi, pour Jacques Chirac et Charles Pasqua. Le premier a été renvoyé, avec d’autres, devant le tribunal correctionnel de Paris pour détournement de fonds publics et abus de confiance par Xavière Simeoni, le magistrat instructeur. On ignore encore à ce jour si le Parquet va interjeter ou non appel de cette ordonnance. Le second a été condamné pour trafic d’influence dans l’affaire de l’Angolagate à une peine de trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis et à 100 000 euros d’amende. Il a relevé appel de ce jugement.
Il me semble abusif de tirer de la procédure concernant Jacques Chirac la conclusion que la suppression du juge d’instruction serait une catastrophe (Le Monde, Le Parisien). Elle ne démontre que la nécessité, dans l’espace judiciaire, de magistrats exemplaires, compétents et libres. Ce n’est pas l’instruction qui gagne, c’est Xavière Simeoni dont par ailleurs j’ai apprécié la manière courtoise, discrète et pourtant sans complaisance dont elle a su traiter notre ancien président de la République. Demain, si le juge d’instruction venait à disparaître de notre procédure pénale, nous ne serions pas en deuil avec l’émergence d’un Parquet authentiquement indépendant, ce qui n’est pas un voeu plus absurde que de souhaiter que l’ensemble des magistrats instructeurs soit accordé au même registre que celui, hier, d’un Patrick Desmures, aujourd’hui de Renaud van Ruymbeke ou de Xavière Simeoni.
A la suite de l’annonce du renvoi de Jacques Chirac, les appréciations formulées par le monde politique n’ont guère été surprenantes. Les unes ont mis en avant le devoir d’humanité, la réputation internationale de la France et le besoin d’apaisement si longtemps après la commission des faits (Marianne 2). Il est à noter que le magistrat instructeur a évoqué ces considérations mais a souligné, à juste titre, que leur prise en compte n’était pas de son ressort qui se devait d’être purement juridique (Mediapart). Les autres ont privilégié le caractère égalitaire de la Justice et le signe positif que celle-ci adressait aux citoyens. Pour ne faire référence qu’à trois de ces propos, Ségolène Royal, pas vraiment à contre-emploi pour qui a fini par la connaître, a affirmé que Jacques Chirac aurait "mérité d’être laissé tranquille", André Vallini, toujours aussi lucide et honnête, a bien mis en balance l’Etat de droit et l’empathie pour Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin s’est malheureusement illustré par une vitupération absurde puisque selon lui il n’aurait pas fallu "toucher à l’homme politique français le plus populaire" (lepoint.fr). Voilà qui est mûri !
Jacques Chirac, pour sa part, a rappelé à tous ceux qui pouvaient en douter à quel point une certaine conception de l’allure présidentielle peut rendre estimable celui auxquels, pourtant, des errements anciens sont reprochés. Jacques Chirac, informé par son avocat Jean Veil, a seulement déclaré qu’il avait été mis partiellement hors de cause par le juge d’instruction, qu’il s’expliquerait devant la juridiction de jugement et que sa bonne foi était entière, enfin qu’il se considérait comme un justiciable ordinaire. Puis il s’est tu. Le Maroc, où il se trouve, connaît seul ses pensées, ses espoirs ou ses doutes. Me Jean Veil, à la télévision, s’en est tenu au même registre que celui de son illustre client. Sans rien céder, il a montré comme on pouvait être à la fois pugnace sur le fond et respectueux de la Justice dans la forme. Il y a dans l’attitude de Jacques Chirac, dont la maîtrise de soi a toujours été remarquée, un admirable minimalisme républicain qui n’est pas indigne de cette triste et emblématique "première" d’un ancien président appelé à comparaître devant un tribunal correctionnel. Nul doute qu’il va encore grimper dans les sondages ! Les Français aiment les vaincus et à la fois les battants qui ont de la classe. Avec leur "chouchou", ils sont servis !
Quand Jacques Chirac ne dit mot, Charles Pasqua flingue à tout va.
On aurait dû le pressentir. Que Charles Pasqua d’emblée exprime "estime" et "amitié" pour Jacques Chirac était en effet de nature à susciter l’inquiétude. Ce type de formule n’est pas loin de ressembler à des condoléances et je ne suis pas sûr que les embrassades verbales d’un condamné (même non définitif) soient tellement désirées par celui qui s’en sent plus accablé que réjoui. Dans la même veine, Charles Pasqua se déclarant "choqué" par ce système judiciaire "qui juge quinze ans après les faits" n’apporte pas à mon avis une pierre décisive au soutien de Jacques Chirac dans la mesure où pour condamner la justice, en dépit des apparences, il vaut mieux ne pas avoir été condamné par elle (nouvelobs.com).
La suite va évidemment contredire ces dangereuses protestations de solidarité. Le renvoi de Jacques Chirac ressemble à "un règlement de comptes" (nouvelobs.com)). On ne sait pas d’où cette certitude est extraite, ce qui, dans une ordonnance de 225 pages, la justifierait mais peu importe. L’essentiel est d’instiller du trouble, du nauséeux là où le principal intéressé - Jacques Chirac lui-même - n’en met pas. Avec quelle perfide maestria le défenseur prétendu se mue en procureur :" Tout le monde, à droite ou à gauche, a connu les emplois fictifs ", ce qui est une étrange manière de venir au secours de quelqu’un qui nie y avoir eu recours ! Et Charles Pasqua d’en rajouter une pincée : "L’entourage de Jacques Chirac a voulu m’éliminer" !( site du Journal du Dimanche).
Puis c’est l’expression de la virilité politique, qui rappelle le "terroriser le terrorisme" : "Je suis un animal de combat. On m’a cherché, on va me trouver" (20 minutes.fr). On va en effet "le trouver". Il met en cause Jacques Chirac qui a "débloqué 900 000 francs pour la libération de deux pilotes français détenus en Bosnie et libérés à la fin de 1995". Pour faire bonne mesure, Charles Pasqua dénonce Edouard Balladur, Dominique de Villepin qu’il déteste et Alain Juppé. Les trois n’auraient rien ignoré de ces tractations tarifées. Pourquoi pas ?
En réalité, ce qui étonne, c’est moins la nature des révélations qui ne comportent en elles-mêmes l’affirmation d’aucun déshonneur que cette envie frénétique de mêler, de "mouiller", de faire d’énormes moulinets avec la parole pour faire peur, pour se donner, au sein d’un pire pour lequel il a été sanctionné une première fois, le beau rôle : celui de justicier malgré tout. Imperméable à tout ce qui lui advient judiciairement, Pasqua n’hésite pas à brandir sa vertu proclamée comme une menace, ses secrets comme des bombes et sa personnalité comme une arme. Innocent par définition, il est forcément légitime pour donner quitus aux autres. Très conscient du risque qu’il leur fait courir par ses effusions si contraires à son réalisme souvent cynique, il les enfonce en prétendant les assister. Charles Pasqua est un ami qui ne vous veut pas du bien.
Est-ce parce qu’il flingue que tous les médias lui sont si complaisamment ouverts ? Je ne crois pas qu’aucun condamné ait bénéficié d’une telle écoute, d’une telle indulgence médiatique sans doute pour compenser la rigueur judiciaire. Il est facile, comparant la démarche de Jacques Chirac avec celle de Charles Pasqua qui, dans la foulée, se vante d’être au moins indirectement responsable du succès présidentiel du premier, de percevoir comme la démocratie est apaisée par l’un, offensée par l’autre. Quoi qu’on pense d’eux, par ailleurs.
L’un méritait d’être président. Pas l’autre.
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