Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l’histoire
« Je crois aux attachements et je crois aux devoirs hiérarchiques. (…) Moi, j'aime mieux les Français, j'aime mieux la France. Puis, j'aime mieux l'Europe. Et puis, j'aime mieux l'Occident. Et puis, j'aime mieux le monde libre. Et puis, j'aime mieux sans doute la Terre et les Terriens que ce qui pourrait nous venir un jour d'au-delà des galaxies. » (Jean-Marie Le Pen, "L'heure de vérité" le 27 janvier 1988 sur Antenne 2).
On n'aurait jamais imaginé que Silvio Berlusconi allait bénéficier de funérailles nationales en Italie comme cela s'est passé le mercredi 14 juin 2023 à Milan. Il aurait fallu aussi imaginer que le chef du gouvernement italien soit Giorgia Meloni, l'une des trois alliés de l'ancien Président du Conseil et milliardaire. Alors, tout est permis, et pourquoi pas de futures funérailles nationales pour Jean-Marie Le Pen qui fête ses 95 ans ce mardi 20 juin 2023 ?
Après tout, il est l'un des derniers monstres de la vie politique, élu député sous la Quatrième République (le 2 janvier 1956, à l'âge de 27 ans), dans la vague poujadiste, candidat à la Présidence de la République cinq fois dont une fois au second tour (en 1974, 1988, 1995, 2002 et 2007), fondateur du Front national et initiateur d'un courant poujado-populiste d'extrême droite qui est devenu structurant depuis le quinquennat de François Hollande, et surtout, premier de la dynastie Le Pen, le père de sa fille (Marine Le Pen), le grand-père de la nièce (Marion Maréchal), sans compter le petit dernier, gendre de la famille (Jordan Bardella).
À 92 ans, le 16 janvier 2021, Jean-Marie Le Pen s'est marié religieusement avec celle qui partage sa vie depuis plus d'une trentaine d'années et son épouse dans le civil depuis 1991, Jany (elle à 88 ans, elle vient d'avoir 91 ans le 17 juin). Il s'est marié sans ses filles et, bien sûr, sans la mère de celles-ci (dont il est divorcé depuis 1987). Il s'était pourtant réconcilié avec ses filles le 30 juin 2018 à l'occasion de son 90e anniversaire, après une mauvaise grippe qui lui a valu une hospitalisation et quelques indulgences (il était en froid avec Marine Le Pen qui l'avait exclu du FN le 20 août 2015 mais aussi avec Marie-Caroline qui avait choisi de suivre Bruno Mégret lors de la scission du 13 décembre 1998).
De constitution robuste, le fondateur du FN a eu récemment deux pépins de santé, hospitalisé le 2 février 2022 pour un accident ischémique transitoire (un "petit" AVC) survenu l'avant-veille, puis le 15 avril 2023 pour « une grande fatigue, peut-être de nature cardiaque ». Marine Le Pen avait rassuré sur son état en affirmant au "Grand jury" le 16 avril 2023 pour RTL, LCI et "Le Figaro" : « Mon père va glorieusement sur ses 95 ans et ça nécessite de temps en temps quelques passages à l'hôpital pour faire des réglages en quelque sorte. Mais il va bien, et je remercie d'ailleurs tous ceux qui se sont enquis de sa santé. ». Jean-Marie Le Pen lui-même, ces dernières années, alors qu'il s'est retiré de ses mandats politiques en été 2019 (son dernier mandat de député européen), n'hésite pas à disserter sur sa disparition annoncé, s'étonnant même le 1er octobre 2019 dans "Le Parisien" d'être Robocop avec des « artifices de survivance : œil de verre, hanches artificielles, pacemaker et que sais-je encore ».
Jean-Marie Le Pen, qui allait sortir le second tome de ses mémoires ("Tribun du peuple", éd. Muller, le 2 octobre 2019), a également confié au quotidien qu'il avait suivi à la télévision les obsèques de Jacques Chirac, probablement son adversaire qu'il a le plus détesté après De Gaulle, avec une pointe de jalousie : « Je n'ai ressenti aucune émotion. Je réserve mes émotions à mes amis (…). Ça a fini par me casser la tête. J'avais l'impression que l'on enterrait un roi, un saint ! ».
À partir de 1972 et la création du Front national, il a développé sa PME de la politique en lui permettant d'en vivre aisément, lui, l'anti-européen patenté, sur le dos principalement des contribuables européens (député européen pendant trente-quatre ans, de 1984 à 2019 avec un trou d'une peine d'inéligibilité entre 2003 et 2004), ce qui lui assurait l'écho médiatique dont il avait rêvé pendant ses deux premières décennies d'engagement politique (avant de devenir l'allié tacite de François Mitterrand puis de Lionel Jospin et de François Hollande contre le mouvement gaulliste et le centre droit), mais il n'a jamais vraiment voulu le pouvoir (qui nécessiterait de prendre ses responsabilités).
Provocateur multirécidiviste de l'insécurité pour la cohésion sociale (condamné plusieurs fois par la justice pour provocation à la haine, à la discrimination, etc.), Jean-Marie Le Pen, il faut le reconnaître, au-delà de l'acteur qui, finalement, était assez limité et n'a rien fait de concret pour améliorer la vie quotidienne des Français, a été et reste un fin observateur de la vie politique, un observateur passionné, un analyste avisé qui a plusieurs fois senti l'air du temps, en particulier en 1978, avec l'intuition du filon de l'immigration comme thème électoral porteur.
Tellement bonne intuition que quarante-cinq ans plus tard, il est toujours aussi porteur. Et toujours aussi démagogique et alarmiste. Car il y a plus de quarante ans, il expliquait qu'il n'y aurait plus de nation française vingt ans plus tard. Un alarmisme qui n'est pas sans penser aux écologistes qui, il y a cinquante ans, expliquaient doctement que la planète serait sinistrée quelques décennies plus tard. C'est le lot de tous les extrémismes que faire peur et pronostiquer la fin des jours heureux. Cela, et regarder toujours en arrière avec un pointe de nostalgie (c'était-mieux-avant), au risque d'entrechoquer les arguments : en 2023, était-ce si bien il y a cinquante ans alors qu'à l'époque, les mêmes expliquaient que la situation était déjà abominable ?
Ces prophètes de malheur prétendent aimer la France mais n'ont aucune confiance en la France et aux Français pour relever les défis qui les attendent (et ces défis sont nombreux, personne ne le nie). C'est de l'anti-gaullisme de croire que la France n'existera plus dans quelque temps. De Gaulle, lui, au contraire, croyait que la France se relèverait du plus grave malheur qu'elle avait à vivre, l'Occupation nazie. Il n'était pas défaitiste, il n'était pas décliniste, il croyait aux forces vives de la nation, à toutes les forces vives.
Dans une excellent podcast en sept épisodes produit par Philippe Collin pour France Inter (diffusé le 27 février 2023 et qu'on peut écouter ou télécharger à ce lien), il est rappelé que la préférence nationale de Jean-Marie Le Pen se comprenait par une opposition : « Les uns plutôt que les autres (…) : vous avez constaté qu'il a préempté l'idée nationale, comme si lui seul était en droit de définir ce qu'est un bon Français et un mauvais Français, un peu comme en 1940 quand la propagande du régime de Vichy interpellait le pays tout entier à propos du maréchal Pétain avec une affiche qui posait cette question : "Êtes-vous plus français que lui ?" sous-entendu que non. Alors, à mon tour, je vous pose la question : Jean-Marie-Le Pen est-il plus français que vous ? » (Philippe Collin).
Philippe Collin a tenté d'exposer qu'elle était l'idée nationale de Jean-Marie Le Pen, et a conclu notamment par les interventions suivantes.
Pascal Perrineau, professeur à l'IEP de Paris et spécialiste de la sociologie électorale : « Je ne dirais pas que le Rassemblement national a pris la place de l'Église catholique ou du parti communiste, mais, quelque part, oui, le Rassemblement national joue un rôle de vecteur d'organisation entre des catégories populaires laissées en déshérence et le système politique. ».
Cécile Alduy, professeure de littérature et civilisation françaises à Stanford University et spécialiste du décryptage des discours de Marine Le Pen : « Aujourd'hui, le signe Le Pen, je l'analyserais comme cette figure de l'inconscient du champ raciste du champ politique français. (…) Il est une sorte d'invariant de ce paysage politique depuis soixante-dix ans, très perturbant puisqu'il représente des opinions qui prônent la détestation de l'autre, l'exclusion des différences, et donc, ce ferment de haine viscérale, c'est ce qu'il représente et surtout le fait que ça perdure dans la société française. ».
S'il fallait résumer en un seul mot la carrière politique de Jean-Marie Le Pen, Valérie Igounet, historienne spécialiste du Front national, n'aurait aucune hésitation : « La banalisation : (…) comment un parti, qu'on n'entend pas, qui fait moins de 1% des voix en 1974, un demi-siècle plus tard, j'allais dire, arrive à plus de 40% et plusieurs fois qui affronte le Président sortant, etc. Donc, mon mot, c'est la banalisation et l'acceptation de la xénophobie. On en est là, je trouve, et c'est ça qu'il a réussi. ».
Philippe Collin finit donc sur ce constat : « Il semble que Jean-Marie Le Pen ait confisqué l'idée nationale. ». Il préfère alors laisser trois figures politiques majeures du XXe siècle donner une autre vision que celle de l'ancien chef de l'extrême droite française.
Léon Blum le 6 septembre 1936 : « Je suis un Français... car je suis un Français ! Je suis un Français fier de son pays, fier de son histoire, nourri autant que quiconque de cette tradition. ».
De Gaullle le 15 novembre 1941 à Londres : « Ce que nous sommes ? Il est extrêmement simple de donner la réponse. Nous sommes des Français de toute origine, de toute condition, de toute opinion qui ont décidé de se réunir pour mener la lutte pour leur pays. Tous l'ont fait volontairement, durement, humblement. ».
François Mitterrand le 17 janvier 1995 devant le Parlement Européen, à Strasbourg : « Je terminerai par quelques mots. Il se trouve que les hasards de la vie ont voulu que je naisse pendant la Première Guerre mondiale et que je fasse la Seconde. J'ai donc vécu mon enfance dans l'ambiance de familles déchirées qui toutes pleuraient des morts et qui entretenaient une rancune, parfois une haine, contre l'ennemi de la veille. Je me souviens que dans une famille où l'on pratiquait des vertus d'humanité et de bienveillance, tout de même, lorsqu'on parlait des Allemands, on en parlait avec animosité. Et je me suis rendu compte, lorsque j'étais prisonnier de guerre, j'ai rencontré des Allemands, au Bade-Wurtemberg, dans une prison, et les gens qui étaient là, les Allemands, avec lesquels je parlais, je me suis aperçu qu'ils aimaient mieux la France que nous n'aimions l'Allemagne. Je dis cela sans vouloir accabler mon pays, qui n'est pas le plus nationaliste, loin de là, mais pour faire comprendre que chacun a vu le monde de l'endroit où il s'est trouvé, et ces points de vue étaient généralement déformants. Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu'une règle s'imposera, mesdames et messieurs, le nationalisme, c'est la guerre ! ».
Qu'on le bannisse ou qu'on le chérisse, lui et ses idées, Jean-Marie Le Pen aura été un élément majeur du paysage politique et surtout, du débat politique depuis un demi-siècle. Et il n'est peut-être pas loin de voir les fruits de toutes ces années avec sa descendance. En mai 2027, il aura presque 99 ans...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
Document : podcast en 7 épisodes de Philippe Collin (France Inter) sur "Jean-Marie Le Pen, l'obsession nationale" diffusé le 27 février 2023 (à télécharger).
La tactique politicienne du RN.
La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.
Louis Aliot.
Jordan Bardella.
Marine Le Pen.
Le congrès du RN.
Grégoire de Fournas.
Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?
Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...
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