L’alliance progressiste Gauche-écologistes-MoDem en chantier ?
C’est un peu dans l’air du temps, et François Bayrou l’a, à demi mots seulement, officialisée il y a quelques jours, il y aura bien une main tendue de la part du Mouvement Démocrate aux forces de gauche afin construire l’opposition face au projet de société néo-conservateur de Nicolas Sarkozy. Pour autant, une majorité présidentielle du MoDem à l’extrême-gauche, en passant par les écologistes est-elle possible ? Et avec quel programme ? Tentative de décryptage.
Régulièrement catalogué au centre-droit voire à droite par les usages outre-gauche, le Mouvement Démocrate de François Bayrou se situe pourtant bien loin de ce champ politique. Se définissant comme un libéral classique, le béarnais marche sur les pas de Franklin-Delano Roosevelt, seul président américain véritablement de gauche dans l’histoire des États-Unis. D’ailleurs le centriste ne rougit pas de la comparaison, au contraire, en vantant le mérite de la politique du New-Deal du recordmen de longévité à la tête de l’exécutif outre-atlantique. Reste désormais à savoir si ce programme de gauche américaine est compatible avec notre gauche française. A priori, c’est pas gagné. De même, François Bayrou pourrait être un hybride entre Roosevelt et Ross Perrot, ce dernier étant connu aux États-Unis comme le troisième homme dans les années 90 qui, à défaut d’avoir pu s’imposer, a tout de même été le tombeur de Georges Bush père en 1992. Alors François, tombeur de Sarkozy ou éternel troisième homme ? Cavalier solitaire ou pierre angulaire d’une majorité progressiste ?
Bayrou opposant numéro un à Sarkozy
A défaut d’être le plus bavard, il en est généralement le plus pertinent. L’ancien collègue de Nicolas Sarkozy, balladurien de la première heure, le seul rescapé des ’’traîtres’’ de 1995 sous le premier gouvernement Chirac, est aujourd’hui l’ennemi viscéral de Sarkozy. Et ce dernier le lui rend bien, à Pau notamment où l’imposture Urieta (aux comptes douteux d’après le béarnais), accueilli en grande pompe à l’Elysée, précipita la plus grosse défaite électorale de François Bayrou. Les amis du président de la République non plus n’aiment pas le rebelle issu de la droite chrétienne, ce dernier se voit ainsi refuser une invitation au journal télévisé de la chaîne de Secret-Story et des 100 plus gros fous rire en prime-time, refuse de céder une fraction infinitésimale de son antenne à l’opposant, prétextant la sortie du livre Abus de Pouvoir. Ce livre, une erreur stratégique aux européennes, n’en constitue pas moins un véritable réquisitoire contre le pouvoir en place, la démonstration implacable de l’imposture néo-conservatrice qui a finie par frapper la France. Même si l’auteur n’est pas du tout prolifique en terme de propositions, la critique n’en est pas moins pertinente. Loué par la critique, élevé au rang de best-seller, les éditions Plon peuvent se frotter les mains, et la majorité présidentielle aussi. Ce livre devient malgré lui la symbole de la rancœur de François Bayrou contre le président de la République, qui se transformerait en une obsession, avec en ligne de mire la présidentielle. Mais peut on réellement reprocher à un homme, qui voit la France d’après lui se disloquer sous ses yeux, d’avoir envie de davantage s’engager dans une démarche d’opposant, avec en ligne de mire l’élection présidentielle, seule élection capable de changer les choses ? A défaut d’un projet réellement défini, le président du MoDem peut se targuer, face à une gauche désunie et face au centre droit libéral vassalisé, et à la droite souverainiste anéantie, d’être l’opposant numéro un à Nicolas Sarkozy. Et l’intéressé le lui rend bien...
Un projet qui va dans le sens des progressistes, qu’ils soient libéraux classiques ou sociaux-démocrates
Mais c’est bien beau d’être opposant, un opposant doit proposer. Sans groupe à l’Assemblée Nationale, le MoDem ne peut pas réellement jouer son rôle d’opposition. Néanmoins, depuis l’avènement d’internet, il est possible au plus courageux, d’accéder à une ébauche de programme orange et on découvre alors les grands axes de la politique prônée par le parti centriste.
Le volet économique, secondaire aux États-Unis pour des raisons de relatif consensus, est essentiel dans le positionnement d’un parti politique français. A ce jeu là, le MoDem se veut être LE parti libéral par excellence, s’opposant de fait d’une part aux socialo-communistes, mais également aux néo-libéraux et aux néo-conservateurs, la clique, la Cour même, chère au président de la République. Le député des Pyrénées Atlantiques défend ainsi une économie qui reviendrait sur les préceptes ancestraux des libéraux : plus de libertés pour les plus faibles, plus de contraintes pour les plus forts. Dans cet esprit, on remarque que le Mouvement Démocrate est favorable à une libéralisation du marché pour les petites et moyennes entreprises afin de booster l’économie Française, certes renforcée par ses super-géants à coup de subventions et de soutiens de l’État, mais relativement fragilisée par un ensemble de PME incohérent, sans communication où chaque entreprise tente tant bien que mal, malgré les aléas bureaucratiques, de faire sa place dans un monde ultra-compétitif. C’est dans cet esprit que notre tractophile de Bordères propose les fameux deux emplois sans charges et une réduction des charges sur les 35 heures. Il propose également d’allouer 20% du marché public aux entreprises. De même, notre ami est favorable à la taxe Tobin qui porte un sérieux coup d’arrêt aux spéculations responsables de la crise. Je taxe 0.01% des transactions financières, ça ne fera guère de mal à l’entreprise aux grands mouvements réguliers mais rares, en revanche, ça fera un peu mal aux fesses des fonds d’investissements qui font transiter des millions d’euros à la minute, par des milliers de micro-transactions. Il fallait y penser !
Sur le plan économique, à défaut d’être entièrement d’accord avec la gauche qui en veut davantage, le MoDem effectue un beau rapproché. Contre les grands actionnaires, les géants sans scrupules, et pour les petits poucets, le parti de François Bayrou se veut être un juste équilibre entre libéralisme et étatisme. En ce sens, sur cette question économique, un accord progressiste (entendez par là MoDem-PS-Verts et éventuellement Front de Gauche) est-il possible ? Assurément oui, si chacun met de l’eau dans son vin. Le PS n’a jamais caché que le soutien aux PME était une priorité économique. Favorable également, comme le PS, à davantage de règlementations pour les grandes surfaces, notre majorité progressiste fictive pourrait établir un vaste programme libéral authentique, en faveur de l’économie locale, de l’artisanat, des agriculteurs, permettant sur le long terme d’engager une politique écologique avec un fond de localisme. Si ce soutien des petits face aux géants est appréciable et séduisant, il est néanmoins nécessaire pour la gauche d’y incorporer un volet social important. Mais pour les plus libéraux du MoDem, qui dit aide aux PME dit également, au delà de lutter contre la bureaucratie, enlever certains verrous. Un compromis est-il possible de ce coté là ? Flexibilité sur les licenciements mais plus d’accompagnement pour les chômeurs (formation, aides), ça ne fait pas tilt ? C’est la fameuse flexsécurité danoise ! Tant vantée par la classe politique, mais jamais imitée faute de volonté politique réelle. Car oui, il en faut du courage pour libéraliser l’économie dans notre pays, après tant de propagande anti-libérale dans notre pays, et il en faut encore plus pour aider les chômeurs, élevés au rang de feignasses et de moins-que-rien depuis quelques années...
L’épineuse question des finances publiques
L’idylle serait donc possible sur le plan économique entre progressistes. Mais ce ne serait pas marrant. Avec un regard sadique et mesquin, voire une telle union se dessiné, on a bien envie d’y mettre un grain de sable en parlant des sujets qui fâchent. Et justement parlons-en : les finances publiques, seul clivage véritable (et on le verra) entre le centre et la gauche. Car si l’amour de François Bayrou pour les dénonciations et les coups de poing sur la table de Philippe Seguin tend vers le fusionnel -un amour qui rendrait Élisabeth jalouse ? (message subliminal pour Voici et autres feuilles de chou)- on ne peut pas en dire autant de la gauche. Car si Charles Corver, un soir de Séville, a brillé pour son absence de discernement, que peut-on dire de la gauche ? Sur la question des finances publiques, et pour continuer avec les comparaison et métaphores sportives, la gauche botte en touche. Ainsi, sur ces dizaines de propositions en 2007, le PS ne proposait rien pour les finances publiques. L’extrême-gauche fait un peu mieux, mais tout de même. Quel élève n’a jamais été tenté, dans son devoir de Français, lassé par la difficulté de la question, de répondre de travers, ou de manière éhonteusement fausse, de peur de laisser la copie blanche, comme pour se donner bonne conscience. Eh bien de Mme 1.93% à l’anti-bourgeois de Neuilly-sur-Seine, on ne propose pas autre chose que de saisir les revenus des actionnaires, quitte à ce qu’ils soient américains ! Certes, la France dispose du char d’assaut le plus puissant au monde, et de 350 têtes nucléaires, mais tout de même !
Si accord il y a entre le MoDem et les autres forces qui voudront s’afficher progressistes, la crédibilité passe par des propositions en matière de finances publiques, forcément contre-productives pour les composantes de la gauche, qui comptent sur l’insouciance et le traditionnel court-termiste (qui a dit munichois ?) du peuple français. La gauche saura t’elle faire ce sacrifice ? Car si, pour qu’un accord aboutisse, sur les plans économiques et sociaux (nous le verrons), le MoDem devra faire un important pas en avant, sur les questions des finances publiques, le catastrophisme de la situation actuelle, quelque peu aggravée par la crise, interdit le statu quo. Les sacrifices à consentir seront énormes, même pour les français les plus modestes. Venant d’un néo-conservateur ou d’un néo-libéral, cela fait bondir de rage. Mais venant de progressistes, centristes et de gauche ? Tout un symbole...
L’éducation, là où le MoDem tire la gauche vers la gauche
Il est de ses absurdités du clivage droite/gauche bipolaire qu’il est difficile de ne pas voir. C’est le cas du programme du MoDem sur le plan de l’Education Nationale. Ancien enseignant, François Bayrou se situe bien plus à gauche sur ces questions. Certes, il défend l’école privée, mais c’est pour mieux renforcer l’école publique, au nom de son sacro-saint principe « moins d’Etat là où il y en a trop, plus là où il y en a moins ». Si le candidat de l’ex UDF a tant séduit le corps enseignants en 2007, ce n’est pas sans raisons. Le béarnais compte élever l’Education au rang de priorité nationale avec les volets économiques et des finances publiques. « Si nous gagnons le défi de l’école, alors nous gagnerons le défi de la mondialisation » disait-il. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’a pas tort. Le centriste est le défenseur le plus remarquable (et remarqué) du modèle scolaire français, axé sur la gratuité à tous les étages possibles, quelques soient les contraintes, avec l’Etat pour garde-fou. Mais des réformes sont à entreprendre. C’est sans conteste sur ce sujet qu’un accord entre le MoDem et la gauche ne devrait être que simple formalité.
L’Europe, ça coince, en apparence seulement...
On pourrait croire à un déchirement atroce entre le MoDem et la gauche sur les questions européennes, et pourtant, que neni ! Même si une partie du groupe du parti centriste au Parlement Européen, l’Alliance Démocrate et Libérale Européenne (ADLE), défend un libéralisme, ce libéralisme est justement lui classique, donc de facto modéré face aux dérives d’un libéralisme qui ne se contrôle plus et qui semble se poursuivre à l’infini, sans frein, dans une inertie entretenue par de grands lobbys. Ainsi, l’ADLE fut, durant la précédente législature européenne, le parti d’opposition numéro un à la majorité improbable PSE/PPE. Éternel opposant à la commission Barroso, le groupe avait d’ailleurs présenté et soutenu des candidatures alternatives, défendant davantage de démocratie en Europe, à l’instar de la gauche française, même si on ne peut pas en dire autant de toutes les gauches, les gauches au pouvoir ayant la fâcheuse tendance à apprécier le côté homme-soumis du président de la commission européenne en exercice, qui sait avoir le dos rond quand il le faut, c’est à dire souvent : la soumission au plus fort semble être un véritable mode de vie pour l’ancien premier-ministre portugais, mais jusqu’où justement ? Nous ne ferons pas de spéculations déplacées ! Mais c’est bien ce mode de vie atypique qui paralyse l’Europe, et sur ce point, MoDem et gauche se rejoignent totalement, mieux, sur la question du Traité Simplifié, les positions rejoignent le Front de Gauche eurosceptique, puisque tous les deux réclament un référendum européen, procédé jugé plus démocratique. Revenons à l’ADLE, qui serait le chantre de l’ultra-libéralisme en Europe, à cause son nom dixit Mme 1.93%, un peu comme la République Démocratique Ceci-cela serait effectivement démocratique ! Le groupe européen défend pourtant la souveraineté européenne face à l’Organisation Mondiale du Commerce sur la question des OGM. Par conséquent, si on regarde de plus prêt, les points de vue entre européistes du centre et eurosceptiques se rejoignent sur de nombreux thèmes. Et notre programme progressiste prend de l’allure : plus de démocratie, une Europe plus forte. Le seul compromis à trouver sera une Europe plus forte sur quelles questions. A priori le MoDem voudrait privilégier les institutions, alors que la gauche voudrait davantage d’économie, en vue d’instaurer un véritable protectionnisme européen (qui existe pourtant sur de nombreux plans). Là encore, un compromis reste à trouver. Mais il n’est pas impossible, loin de là.
Les questions sociales, un équilibre à trouver
François Bayrou est assurément un ancien démocrate-chrétien aux valeurs conservatrices profondes. Même si son amitié avec Marielle de Sarnez a fait changer bien des choses, le MoDem est loin de pouvoir être qualifié de progressiste sur ces questions, ni de libéral d’ailleurs. Sur la question devenue symbolique de l’homosexualité, le parti centriste défend un point de vue loin d’être centriste. Opposé à l’adoption et au mariage, on se place plutôt à la droite de l’échiquier politique. Même si François Bayrou est favorable à l’adoption simple (qui ne constitue donc pas en soi un progrès, juste une officialisation d’un statut déjà existant), il est résolument opposé à l’idée même d’un mariage entre deux personnes du même sexe, tout juste propose-t-il, à l’instar de Nicolas Sarkozy une union civile presque équivalente (une promesse de campagne non tenue d’ailleurs, pour le moment en tout cas). En revanche, sur la question de l’euthanasie, les positions se recoupent entre centriste et gauchistes. Sur les questions de l’immigration, lier avec les banlieues donc, le MoDem s’affiche contre l’immigration non-contrôlée, mais en opposition au pouvoir en place, il tient à offrir un meilleur accueil aux immigrés justement, et se positionne comme un opposant (certes timide) à l’immigration choisie et à l’assimilation de force. Là encore sur ce terrain, il y aura un compromis à trouver, et il semble somme toute difficile à trouver, notamment sur certaines questions qui risquent de se heurter aux convictions religieuses très fortes du très pieux président du MoDem...
Finalement, si on avait à tirer un bilan, on pourrait dire qu’incontestablement la démarche de main tendue entre du MoDem vers Gauche et les écologistes ne se fait pas sans une certaine base concrète. Mais si le PS, les écologistes, le MoDem et peut-être le Front de Gauche, veulent tisser une majorité progressiste contre Nicolas Sarkozy, le chemin de l’union passe par une série de compromis, parfois difficiles, le chemin d’une présidence alternative au néo-conservatisme à teinte néo-libérale passe par là, une présidence progressiste capable de changer durablement la France, puis l’Europe et peut-être, retour aux sources des anciennes gloires passées du gaullisme, capable de bouger, ou de bousculer le monde, ce chemin vers la présidence passe, quelque soit le candidat, par une mise de coté des ego, des ambitions, face à la France qui se meurt, par un vaste compromis, afin d’éviter la mésaventure italienne, qui permettra d’aboutir à un projet cohérent, répondant véritablement aux attentes des Français, quitte à devoir être pédagogique. Même si Nicolas Sarkozy a presque tué le MoDem et le PS, il n’a pas tué les hommes, les militants. Les idées sont là, les compétences aussi. L’état de délabrement actuel de la gauche et du centre pourront peut-être servir le destin de la France, avec un retour aux sources, à la « belle époque » où, sous une gouvernance radicale de centre-gauche, la France rayonnait...
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