L’Assemblée Nationale adopte une résolution sur le Grand Marché Transatlantique... totalement vidée de son contenu
Après avoir détricoté soigneusement en commissions le texte des députés du Front de Gauche, après avoir refusé en séance publique le rétablissement de sa rédaction originelle concernant ses cinq points fondamentaux, le PS a adopté un texte qui n'avait plus qu'un bien lointain rapport avec la proposition initiale.
Le blog de République et Socialisme en Seine-et-Marne publie une synthèse exhaustive du dossier.
Le blog de République et Socialisme en Seine-et-Marne en rendait compte : le 22 mai 2014 était examinée une proposition de résolution des députés du Front de Gauche (profitant de la niche parlementaire annuelle accordée au groupe GDR) sur le Grand Marché Transatlantique.
Cette proposition comportait cinq points phares :
- la suspension des négociations du Grand Marché Transatlantique pour organiser une consultation populaire sur le sujet
- la dénonciation de l'espionnage par la NSA
- la fin du secret pesant sur lesdites négociations
- le refus de la mise en place de tribunaux d'arbitrage, juridictions privées internationales chargées du règlement des litiges entre entreprises et personnes publiques (états et collectivités)
- la garantie des protections dont bénéficient les Français en matière de protection sociale, de santé publique, de protection de l'environnement et de sécurité alimentaire
Avant son passage en séance publique, elle a été examinée par la Commission des Affaires Européennes, puis par la Commission des Affaires Étrangères. Au cours de ces examens, les amendements adoptés sont allés systématiquement à l'encontre de ces points fondamentaux. Malgré l'opposition des membres Front de Gauche et écologistes à ces modifications fondamentales, le texte qui a été proposé à l'Assemblée Nationale n'avait pratiquement plus rien de commun avec le texte présenté à l'origine. L'intégralité des considérants, et toutes les mesures à l'exception des points 1 et 6, ont été intégralement réécrits par les amendements des commissions parlementaires et ceux adoptés lors de la séance publique.
Ainsi :
- la demande de suspension des négociations s'est transformée en demande au gouvernement "d'exercer sa plus grande vigilance à chacune des étapes de la négociation" et à "défendre l'ensemble des lignes rouges" fixées antérieurement par l'Assemblée Nationale ; la consultation populaire sur le sujet, d'objectif affirmé, est devenue une suggestion ;
- la dénonciation de l'espionnage par la NSA est devenue une invitation à "renforcer la confiance mutuelle" et à "assurer à chaque citoyen le plein respect du droit à la vie privée et à la protection de ses données personnelles", et l'exigence de la fin de cet espionnage a été purement et simplement supprimée
- la réclamation de la fin du secret des négociations est devenue un satisfecit de l'information fournie par le gouvernement aux parlementaires
- le refus de l'introduction des tribunaux d'arbitrage est devenu l'estimation que "l'introduction d'un mécanisme de règlement des différends entre états et investisseurs" "ne se justifie pas au regard du haut degré d'indépendance et d'impartialité des juridictions des parties concernées", et s'y ajoute un satisfecit "de l'organisation, par la Commission européenne, d'une consultation publique relative au mécanisme de règlement des différends entre états et investisseurs qui a abouti à la suspension des négociations sur ce point", alors même que cette suspension a été démentie peu après son annonce
- l'exigence de garanties dans les domaines de la protection sociale, de la santé publique, de la protection de l'environnement et de la sécurité alimentaire, après que les députés écologistes à la Commission des Affaires Européennes aient échoué à y ajouter "l'agriculture, [les] droits humains, [les] droits du vivant et [la] protection de la vie privée", s'est transformée en une demande "à ce que l'objectif de réduction des barrières non tarifaires ne remette pas en cause les préférences collectives des européens, notamment en matière d'éthique, de travail, de santé, et de sécurité environnementale et alimentaire"
Devenu un véritable monstre de Frankenstein sans grand rapport avec ce qu'il était à l'origine, le texte présenté au Parlement n'a été amendé dans le bon sens qu'à la marge, avec l'adoption d'un amendement estimant que l'espionnage par la NSA "porte une atteinte grave et sérieuse aux droits et libertés individuels et collectifs des citoyens européens" (sans pour autant que soit adopté d'amendement exigeant la fin de cet espionnage), d'un autre amendement "considérant qu'en matière de lutte contre le changement climatique, de transition énergétique, de préservation de la biodiversité, de mise en place d'une agriculture durable, de protection des droits humains, de la vie privée et des droits du vivant, les préférences collectives des citoyens européens ne doivent en aucun cas être menacées" et enfin d'un dernier amendement transformant le satisfecit de bonne information par le gouvernement sur le suivi des négociations en demande de "meilleure information" sur ce suivi. En revanche, tous les amendements présentés par André Chassaigne et qui rétablissaient dans leur forme d'origine les cinq points fondamentaux du texte ont été rejetés.
Finalement, c'est donc tout naturellement que quand ce texte a été soumis au vote de l'Assemblée Nationale, les députés Front de Gauche et écologistes présents lors du vote ont voté contre, ce qui n'a pas empêché l'adoption de ce qui n'était plus qu'une coquille vide, par 28 voix contre 8.
Annexe :
Le texte modifié par les amendements adoptés en Commission des Affaires Européennes, en Commission des Affaires Étrangères et en séance publique :
Légende :
- non coloré : ce qui n'a pas été modifié
- en vert : ce qui a été modifié en Commission des Affaires Européennes
- en bleu : ce qui a été modifié en Commission des Affaires Étrangères
- en orange : ce qui a été modifié en séance publique
- en barré : ce qui a été supprimé par les amendements (la couleur de ce qui est barré correspond à celle de l'instance qui a adopté l'amendement qui supprime le passage)
L’Assemblée nationale,
Vu les articles 1er et 88-4 de la Constitution,
Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement,
Vu les articles 8, 22, 31, 35, 36, 37 et 38 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu l’article 3 du traité sur l’Union européenne,
Vu les articles 16, 31, 32, 39, 146, 147, 151, 167, 168, 169, 173, 179, 191 et 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et son protocole n° 26 sur les services d’intérêt général,
Vu les conventions reconnues comme fondamentales en application de la déclaration de l’Organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail du 18 juin 1998,
Vu la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 et le Protocole de Kyoto du 11 décembre 1997,
Vu la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), du 20 octobre 2005,
Vu la Charte des Nations Unies et notamment son article 57 relatif aux institutions spécialisées comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO),
Vu le rapport de l’OMC et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) « Tirer parti des chaînes de valeur mondiales pour le commerce, les investissements, le développement et l’emploi » du 6 août 2013,
Vu les principes directeurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur les entreprises et droits de l’homme et les principes directeurs de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales du 25 mai 2011,
Vu les lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale – norme iso 26000 – de l’organisation internationale de normalisation,
Vu les résolutions européennes de l’Assemblée nationale no 155 sur le respect de l’exception culturelle et la diversité des expressions culturelles du 12 juin 2013 et no 156 sur le mandat de négociation de l’accord de libre-échange entre les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne du 15 juin 2013, (amendement n°1 Commission des Affaires Européennes)
Vu le caractère mixte du mandat de négociation confié à la Commission européenne, (amendement n°30 Séance Publique)
Considérant que les négociations transatlantiques en cours en vue de la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique se déroulent dans des conditions ne répondant pas aux exigences démocratiques en matière de transparence des négociations et de légitimité des négociateurs ; (amendement n°14 Commission des Affaires Étrangères)
Considérant que le système mis en place par l'Agence nationale de sécurité américaine - National Security Agency (NSA) - porte une atteinte grave et sérieuse aux droits et libertés individuels et collectifs des citoyens européens ; (amendement n°1 Séance Publique)
Considérant que le système d’espionnage mis en place par l’Agence nationale de sécurité américaine National Security Agency (NSA) porte une atteinte grave et sérieuse aux droits et libertés individuels et collectifs, ainsi qu’aux nationaux français ; Considérant qu’il est nécessaire, parallèlement à la tenue des négociations entre l’Union européenne et les États-Unis, de renforcer la confiance mutuelle et d’assurer à chaque citoyen le plein respect du droit à la vie privée et à la protection de ses données personnelles ; (amendement n°4 Commission des Affaires Européennes)
Considérant que sur le volet agricole de la négociation, un rapport de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen met en garde l’Union européenne sur le risque de dilution des protections qu’elle offre à ses citoyens dans le domaine de l’environnement et de la sécurité alimentaire, en raison des différences de législation entre les deux rives de l’Atlantique qui sont nettement moins protectrices aux États-Unis d’Amérique, notamment en matière d’organismes génétiquement modifiés, de réglementation des substances chimiques, de traitement des volailles au chlore, de consommation de bœuf aux hormones, d’utilisation de pesticides et d’émissions gazeuses liées aux transports aériens... ; que la suppression des droits de douane constitue une menace pour le modèle agricole européen et obère la perspective de transition vers des modes de production durables et écologiques ; Considérant que les préférences collectives des Européens, notamment en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés, la règlementation des produits chimiques, le traitement des poulets au chlore, la consommation de bœuf aux hormones font partie des lignes rouges fixées par l’Assemblée nationale, reconnues par le Gouvernement français et le Parlement européen ; (amendement n°5 Commission des Affaires Européennes)
Considérant les implications environnementales d’un possible accord en raison de la libéralisation accrue du marché de l’énergie, de l’augmentation des flux commerciaux et de la toute-puissance conférée aux firmes multinationales pour contester les politiques publiques en vigueur comme l’interdiction de la fracturation hydraulique ou la réglementation sur les quotas d’émission de CO2 qui entraveront toute perspective de transition énergétique dont l’urgence est reconnue par l’ensemble de la communauté internationale ;
Considérant qu'en matière de lutte contre le changement climatique, de transition énergétique, de préservation de la biodiversité, de mise en place d'une agriculture durable, de protection des droits humains, de la vie privée et des droits du vivant, les préférences collectives des citoyens européens ne doivent en aucun cas être menacées ; (amendement n°14 Séance Publique)
Considérant, qu’en vertu de l’article 218 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peuvent saisir la Cour de Justice de l’Union pour recueillir son avis quant à la compatibilité de l’accord envisagé avec les Traités de l’Union européenne ; qu’en cas d’avis négatif de la Cour, l’accord ne peut entrer en vigueur qu’après modification des Traités ; et par conséquent, qu’en vertu notamment de l’article 169 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne visant à protéger la santé, la sécurité et les intérêts économiques des consommateurs, tout accord commercial qui contreviendrait notamment à ces objectifs pourrait être déclaré incompatible avec les Traités ; (amendement n°7 Commission des Affaires Européennes)
Considérant que l’introduction d’un mécanisme d’arbitrage des différends entre investisseurs et États constituerait un puissant outil pour contester et décourager toute décision politique qui pourrait aller à l’encontre des stratégies et profits des entreprises multinationales ; Considérant que l’introduction d’un mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs, dans le cadre du projet d’accord transatlantique, ne se justifie pas au regard du haut degré d’indépendance et d’impartialité des juridictions des parties concernées ; (amendement n°8 Commission des Affaires Européennes)
Considérant qu’il revient au gouvernement français d’assumer ses responsabilités et de défendre les intérêts nationaux en demandant à la Commission européenne, mandatée pour mener ces négociations au nom de l’Union européenne, de suspendre immédiatement les négociations d’exercer sa plus grande vigilance à chacune des étapes des négociations (amendement n°9 Commission des Affaires Européennes) ;
Considérant qu’il est impératif de consulter les instances démocratiquement élues dans les États membres afin qu’elles se prononcent sur toutes les protections et sauvegardes qui devront être introduites dans le mandat en vue de garantir qu’aucun des règlements ou normes en vigueur dans l’Union européenne ne pourra être négocié à la baisse pour satisfaire les exigences des entreprises ; Considérant les prérogatives de l’ensemble des institutions démocratiques juridiquement habilitées à exercer un contrôle sur les négociations et à sanctionner, au travers de leurs votes d’approbation ou de ratification, leur résultat final ; (amendement n°10 Commission des Affaires Européennes)
1. Rappelle qu’en vertu de l’article 1er de la Constitution, la France est une République « démocratique » et « sociale » ;
1 bis. Rappelle qu’en vertu de son article 10, la Charte de l’environnement « inspire l'action européenne et internationale de la France » ; (amendement n°11 Commission des Affaires Européennes)
2. Invite le gouvernement français à intervenir auprès de la Commission européenne afin de suspendre les négociations sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique, afin que puisse être organisée une consultation publique et démocratique permettant aux peuples souverains et à leurs représentants de se prononcer sur la poursuite ou non des négociations ; Invite le Gouvernement à intervenir auprès du Conseil de l’Union afin de défendre l’ensemble des lignes rouges fixées par la résolution européenne no 156 de l’Assemblée nationale sur le mandat de négociation relatif à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique, et à consulter, le cas échéant, à travers ses représentants, le peuple souverain, afin qu’il puisse se prononcer solennellement sur l’ensemble de ces sujets ; (amendement n°12 Commission des Affaires Européennes)
3. Demande que le Parlement français qui, en fonction du résultat des négociations sera amené à se prononcer par son vote sur la ratification de cet accord, soit dûment associé au suivi des négociations à travers une information régulière et détaillée donnée au gouvernement sur les questions examinées dans le cadre du comité de politique commerciale (CPC) du Conseil de l’Union européenne ; Prend acte de l'Demande une meilleure (amendement n°7 rect Séance Publique) information des représentants de la Nation par le Gouvernement sur l’état des négociations, qui devront faire l’objet d’un vote de ratification, et demande à ce que le Parlement soit dûment et étroitement associé à leur suivi à travers une information régulière des questions examinées dans le cadre du comité de politique commerciale du Conseil de l’Union européenne ; (amendement n°15 Commission des Affaires Européennes)
4. Demande que les documents de travail et de négociation soient en accès direct et soient rendus publics afin que les citoyens européens puissent exercer leur droit à être informés ; Demande à la Commission européenne d’assurer la transparence des négociations afin que soit pleinement garantie la bonne information des citoyens. Invite, par ailleurs, le Gouvernement à ce que les représentants de la Nation puissent être, le cas échéant, tenu informés de manière appropriée de tout document dont le contenu, en raison de son caractère particulièrement important, devrait être porté à leur connaissance ; (amendement n°16 Commission des Affaires Européennes)
5. Appelle à une étroite coopération entre les parlements nationaux des États membres de l’Union européenne et souhaite que les parlements nationaux soient associés à l’ensemble du processus de négociation ; Appelle à une étroite coopération entre les parlements nationaux d’une part, et entre le Parlement français et le Parlement européen, d’autre part. Demande ce que les parlements nationaux de l’Union européenne puissent être associés, à travers leurs délégations respectives, au « dialogue transatlantique des législateurs ; (amendement n°18 Commission des Affaires Européennes)
6. Demande que les négociateurs et leurs éventuels conflits d’intérêts soient identifiés ;
7. Estime que les États-Unis doivent mettre fin au système d’espionnage mis en place par l’Agence nationale de sécurité (NSA), afin de permettre la poursuite des négociations ; (amendement n°21 Commission des Affaires Européennes)
8. Souhaite que la Commission européenne retire des négociations la clause relative au mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États ; Se félicite de l’organisation, par la Commission européenne, d’une consultation publique relative au mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs qui a abouti à la suspension des négociations sur ce point ; (amendement n°23 Commission des Affaires Européennes)
9. Souligne le risque de disparition des protections dont bénéficient les citoyens européens dans les domaines social, de la santé, de l’environnement et de la sécurité alimentaire, en raison des différences de législation entre les systèmes européen et américain ; Demande à ce que l’objectif de réduction des barrières non tarifaires ne remette pas en cause les préférences collectives des européens, notamment en matière d’éthique, de travail, de santé, et de sécurité environnementale et alimentaire, afin de protéger les citoyens, les consommateurs et les travailleurs de l’Union européenne et de garantir, en particulier, la qualité des produits qui leur sont proposés, conformément aux dispositions du droit communautaire relatives aux organismes génétiquement modifiés, à l’utilisation des hormones de croissance, au clonage ou à la décontamination chimique des viandes ; (amendement n°26 Commission des Affaires Européennes)
10. Demande à la Commission européenne de veiller, dans les négociations, au respect des préférences collectives, s’agissant notamment des organismes génétiquement modifiés et (amendement n°12 Commission des Affaires Étrangères) du principe de précaution et à la défense de l’exception et de la diversité des expressions culturelles ainsi que du système de protection intellectuelle et industrielle, y compris les indications géographiques (amendement n°28 Commission des Affaires Européennes)
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