L’écologie est-elle de gauche ?
Vieux débat que l'approche des élections remet au goût du jour. Il s'agit moins ici de répondre à la question que d'en évoquer les différentes facettes et de s'interroger sur sa véritable pertinence.
Interrogation récurrente qui nous laissera sans doute longtemps sur notre faim puisque la gauche et la droite ne constituent pas des objets matériels implicitement définis, mais sont des concepts construits. Chacun étant libre de les appréhender, de les définir, on pourrait presque dire de les "ressentir" comme il l’entend, la réponse ne peut engendrer l’unanimité. Cet empêchement intrinsèque n’interdit pas de se pencher sur ces affaires d’étiquette et d’en souligner quelques particularités.
L’une des difficultés résulte de ce que la distinction entre droite et gauche ne se cristallise pas sur un axe unique mais peut se décliner autour de plusieurs lignes, parfois sans rapport simple les unes avec les autres. L’économie, l’histoire, la politique, constituent autant de domaines sur lesquels peuvent être indépendamment définies ces deux notions.
Sur le plan économique d’abord. L’idéologie de droite regroupe les points de vue souhaitant donner l’essentiel de l’initiative aux agents individuels. Elle fait sienne l’idée que la meilleure façon de subvenir aux besoins des hommes est de laisser faire les forces de marché. Si un besoin apparait, la plus grande liberté d’entreprendre est la meilleure garantie pour que ce besoin se trouve satisfait. Coté consommateur, le marché offre a chacun, dans des conditions de rareté données, l’occasion de faire la meilleure allocation possible de ses ressources. Elle affirme la supériorité d’un principe général d’optimisation censé être plus efficace que tout système de planification. Cette idéologie, dominante dans les faits, sinon dans les discours, a permis, ou, pour être le plus prudent possible, s’est trouvée temporellement corrélée, à la formidable expansion économique des 150 dernières années. De façon indirecte l’économie de marché et l’idéologie qui la sous-tend ont donc bien engendré les problèmes écologiques liés à cette même expansion (problèmes qui cependant se seraient certainement et également posés avec tout autre moteur d’expansion). L’idéologie de gauche, au contraire, rejette fondamentalement ce pouvoir optimisateur du marché et prétend que c’est l’organisation collective des hommes (les Etats, les associations, les mouvements politiques…) qui doivent gérer et orienter les productions et la plupart des activités humaines afin de répondre au mieux à nos aspirations.
Sur cet axe économique, l’écologie serait plutôt de gauche tant certains problèmes, par leur caractère global, comme la pollution ou la disparition des espèces, peuvent difficilement être appréhendés par le marché. Certains mécanismes de marché pourraient même se révéler particulièrement " vicieux ". Ainsi, si l’air devenait à ce point irrespirable qu’il faille le faire payer, nos économies y trouveraient sur le plan comptable un avantage et une source de croissance, sans que concrètement la vie soit plus agréable et nos besoins mieux satisfaits, tout au contraire. Rien ne prouve que dans ce cas, le cumul des actions des acteurs individuels cherchant soit à se procurer, soit à produire et à vendre de l’air respirable conduisent à une meilleure satisfaction globale de notre besoin d’oxygène, besoin par ailleurs parfaitement satisfait dans les sociétés les moins développées. Le même type de raisonnement pourrait s’appliquer par exemple à la protection des réserves halieutiques. La sommes des intérêts individuels des pêcheurs et des consommateurs de poissons peut très bien in fine conduire à vider les mers. Ce sont là des éléments qui laissent penser qu’une démarche écologique de protection de la nature s’accorde mal avec une idéologie libérale. L’écologie serait donc bien de gauche ou du moins devrait s’inspirer des principes et du mode d’appréhension propre à ce qu’on appelle communément la gauche : favoriser les actions collectives et organisées.
Deux premières retenues doivent cependant tempérer une telle conclusion.
Localement on peut admettre que des mécanismes de marché participent à la préservation de l’environnement. C’est par exemple le cas des réserves de biodiversité créées sous la pression d’agents économiques locaux pour maintenir le tourisme et l’intérêt des investisseurs en ce domaine (notons que concrètement la création de ses réservent exigent quand même une législation). Il semble par contre improbable que ces mécanismes soient généralisables au monde entier. La taxe carbone elle-même, si elle doit prendre un jour quelque importance, sera bien un mécanisme de marché mais dont l’existence même aura été imposée par la puissance publique.
L’autre réserve concerne la réalité des faits. Deux grands exemples d’économie planifiée ont existé dans l’histoire récente : les communismes chinois et soviétique, dans les deux cas et pour un niveau de production beaucoup plus faible que celui de l’occident capitaliste, la préservation de l’environnement n’a pas été exemplaire, loin de là. A niveau de PIB égal, ces sociétés polluaient et massacraient l’environnement plutôt plus encore que les sociétés capitalistes, même si la Russie a été partiellement préservée du fait de sa faible densité de peuplement. Cette leçon ne doit pas être oubliée.
Une troisième nuance peut enfin être ajoutée. En pratique les sociétés ne s’organisent jamais autour de versions aussi caricaturales des principes libéraux ou socialistes. Ainsi nos sociétés occidentales majoritairement considérées comme capitalistes sont en réalité très marquées par des principes collectivistes. Par le poids des prélèvements obligatoires d’abord, une partie significative de la production sans doute autour de 50 % dépend en fait de l’action de l’état. A ceci s’ajoute bien évidemment une masse de réglementation impressionnante et en croissance ininterrompue qui encadre toujours plus les voies ou peuvent s’appliquer les libertés des acteurs individuels, producteurs ou consommateurs. Cette inflation de règlement est une excellente illustration de notre soumission (obligée ?) à un principe d’organisation venant tempérer les préceptes libéraux.
Sur le plan politique, définir la droite et la gauche est le premier écueil. La question du conservatisme peut constituer une ligne de partage, la droite serait conservatrice tandis que la gauche serait novatrice et plus favorable à l’évolution des structures sociales. Notons qu’en fonction de l’Histoire, cette définition entre parfois en contradiction avec le point de vue économique précédent. Ainsi dans les sociétés ayant connu des économies planifiées au cours du dernier siècle, le conservatisme est du côté du socialisme et la gauche constitue plutôt le versant libéral. La difficulté d’analyse est augmenté du fait qu’à ces distinctions d’idéologies économiques se superposaient des visions différentes du concept de démocratie. Les économies planifiées avaient une conception très particulière de la démocratie déniant, au nom de lui-même, tout pouvoir au peuple dans une dialectique que seul un marxiste bon teint était susceptible de comprendre, d’accepter et plus encore de propager.
Ce point précisé, si l’on pose que la droite représente le conservatisme, alors on peut admettre que l’écologie est fondamentalement de droite. Il se trouve en effet au fond de l’idéologie de gauche l’idée que tout est possible ; que les hommes libérés des pressions du "grand capital" et de toutes les oppressions sociales seront capables de s’organiser au mieux et sauront imposer des lois justes et efficaces, lois face auxquelles aucune contrainte matérielle ne saurait s’opposer. C’est là, hélas, une négation de la réalité physique du monde. On le voit particulièrement bien dans les débats autour de la surpopulation, une large partie de la gauche ne veut pas entendre parler du problème. Imaginer que notre trop grand nombre puisse poser un problème à la nature est interdit, seuls peuvent être responsables le capitalisme et sa soif de profit. Pourtant la Terre ne grandit pas et la consommation d’espace par les hommes au détriment de toutes les autres espèces est une réalité dont aucune organisation sociale ne pourra faire abstraction. Ajoutons que pour la gauche, s’attaquer au nombre serait s’attaquer au peuple, crime de lèse-majesté s’il en est.
Si le conservatisme, dans sa conception la plus pure, c’est-à-dire dans l’acceptation qu’au-delà des lois des hommes existent des lois physiques et des contraintes universelles auxquelles il n’est pas honteux, mais au contraire il est sage de se soumettre, est un concept de droite, alors oui, l’écologie bien comprise est de droite, fondamentalement.
Comme les choses ne sont jamais simples, admettons toutefois que la gauche puisse avoir sa revanche. On peut en effet considérer que globalement depuis la révolution industrielle l’humanité a perdu tout sentiment de dépendance vis-à-vis de l’ordre naturel (sentiment qui a perduré dans les sociétés dites primitives). Le natalisme forcené que nous reprochions à la gauche est d’ailleurs largement partagé par la droite. Changer de paradigme et d’attitude en remettant la nature au centre de nos préoccupations serait alors une démarche progressiste et donc de gauche.
Sur le plan historique enfin, ou plutôt sur le plan de l’histoire du rattachement politique des mouvements écologistes, les choses ne sont guère plus claires et plus décidables. En France, en 1974, René Dumont qui inaugurait l’entrée de l’écologie sur la scène médiatique proposait une certaine indépendance vis-à-vis de la césure droite/gauche, il parlait des problèmes d’écologie, de surpopulation, mettait en cause la croissance et se heurtait de ce fait avec un égal courage aux deux idéologies dominantes. Depuis l’écologie politique a connu moult bouleversements et les disputes internes et incessantes de ces mouvements constituent d’ailleurs l’axe d’attaque privilégié de tous leurs caricaturistes. Si des dirigeants comme Brice Lalonde ou Antoine Waechter ont également œuvré pour une certaine indépendance politique, depuis une dizaine d’années, le mouvement écologique majoritaire, aujourd’hui EELV, a investi le champ politique traditionnel et s’est clairement positionné à gauche (se coupant ainsi d’ailleurs d’une partie de ses électeurs potentiels et prêtant le flanc aux soupçons d’opportunisme dans une période où la gauche espère récupérer le pouvoir). Pas de discussion possible sur ce point, si les concepts de droite et de gauche sont définis par les hommes qui prétendent se rattacher à ces tendances, alors si les écologistes se disent de gauche, ils le sont, mais il ne s’agit là, bien sûr, que d’une tautologie.
Le vrai débat bien sûr est ailleurs. Si la pertinence d’une question se mesure à celle de sa réponse, alors celle-ci : " L’écologie est-elle de gauche ? " est une mauvaise question dans le sens où elle n’aura d’autre réponse que celle de notre arbitraire. Il ne faut donc pas la mettre au cœur de nos polémiques, cela reviendrait à lui accorder une importance injustifiée.
Nous marquerons plus de respect envers l’écologie en rappelant qu’elle est l’exigence essentielle de notre siècle (et des suivants, désormais elle accompagnera toute l’Histoire de l’humanité du fait de son pouvoir technologique sur la planète).
Exigence sur le plan pratique dans la mesure où toute autre question sera sans objet dans un monde dévasté, l’écologie l’est surtout sur le plan moral : La beauté du monde nous impose le respect et la capacité de souffrance du vivant nous y oblige.
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