Il y a la France Capitale et ses relais de chefs lieux provinciaux, en « haut », la Cour. Il y a le peuple, loin, en bas, dans les petites ou grandes couronnes banlieusardes et provinciales. Le modèle serait donc réservé de longue date, que le peuple se contente des soldes.
A Noël, la France théorique et modelée se souhaitera les vœux par la télévision ou en couverture de magazines. La France réelle se verra malgré tout, de plus en plus, sous les abris-bus et dans les halls de la misère. On dira aux infos du soir tout le mérite des œuvres caritatives.
Même recouverte par le charivari et artifices de notre « modèle » de société, heureusement que la richesse de la pauvreté existe.
Pour partir de la France réelle fondée sur le modèle Républicain, d’abord quelques chiffres, à rappeler sans cesse.
Selon une enquête récente d’Emmaüs France, 44% de la population craint de tomber dans la pauvreté. L’Observatoire des Inégalités compte 8,2 millions de pauvres (13% de la population). Toutes les 50 minutes un suicide est constaté selon le Haut Comité pour la Santé Publique et confirmé par l’INSERM, 12.000 suicides par an. Selon l’institut National de Veille Sanitaire, 8% de la population est frappé de dépression (l’OMS y voit la deuxième affection au monde pour 2020). Enfin, l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI) compte 3,2 millions de cas, au pays de Voltaire et d’Hugo. Chiffres à l’appui, il faut donc être aveugle et sourd pour ne pas s’interroger sur notre « modèle ». A quelques jours du réveillon de Noël pour certains, le « Républicain orthodoxe » auto-revendiqué et Conseiller un peu spécial du Président Sarkozy, monsieur Henri Guaino, disait pourtant toute sa confiance et fierté en notre modèle ce 2 Décembre sur France Inter chez Nicolas Demorand. Il s’inscrivait en prolongement du discours auto-satisfait de la Chapelle en Vercors de notre Président, défini comme étant « tout le temps celui de tous les Français ». Osons croire qu’il l’est aussi pour tous ceux dont rendent compte tous les chiffres précédents. Tout va bien !
La France théorique s’incarne dans le triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ces trois couleurs locales d’une France vendue « multiculturelle » semblent faner sans cesse, plus encore pour une majorité croissante de citoyens.
La liberté ? Mais pour qui et laquelle ! Les chiffres relatifs à la pauvreté, ceux de tous ces survivants de la République, outre la misère matérielle, ont-ils de fait un libre accès à la Culture dans notre beau pays connu d’abord pour cette dimension ? Les tarifs réduits ou jours si rares de gratuité dans l’entrée aux Musées ou autres lieux de Culture restent dérisoires et déconsidèrent le public concerné dans l’application même de ces facilités. Il y a la file d’attente charitable des pauvres, et les autres, comme il y a les inclus et les exclus.
La liberté de mouvement ? Même si les pauvres et précaires constituent la « famille nombreuse » la plus massive, prendre le train ou l’avion pour retourner quelques fois vers les racines relève encore pour eux d’un interdit. La nation a défini leur espace de vie, celui que métro et RER recouvrent, et bien sûr, les trains bas de gamme banlieusards…histoire qu’ils retournent dans les ghettos qu’on leur destine. Et Paris se vide encore et toujours de ses pauvres, la bobologie n’entend pas se salir au contact du bas peuple inculte et sans conversation. De toute façon, les pauvres ont les cheveux souvent gris de souffrance, cela jurerait face aux teintures capillaires bleues-grises de la petite bourgeoisie. Dans notre république, la Pauvreté reste une faute. Oublions les droits constitutionnels à un emploi et à un toit. Si les nouvelles technologies ont réduit drastiquement les besoins en ressources humaines, les pauvres n’avaient qu’à s’y préparer et les chômeurs sont des feignants, d’abord ils pourraient au moins s’inventer un travail ! Notre pays recouvre un modèle d’éthique, dans l’intérêt général. La France Théorique.
La liberté de Pensée ? Tout le monde en convient, alors que les médias et journaux (même gratuits !) appartiennent à quelques amis du Pouvoir, celui-là et ceux d’avant. Chacun sait la « continuité » de nos Institutions, les mots sont souvent plus galants que les choses.
On se targue donc aussi de « l’égalité ». Il serait indigne de s’interroger sur la légalité de notre joli modèle, les chiffres n’ont qu’à se taire. Une République théorique vaudrait mieux que tous les autres régimes. Sans insister à nouveau sur l’égalité sociale (le droit de survivre avec l’équivalent mensuel d’un bon resto de classe moyenne…), peut-on parler d’égalité alors que l’ascenseur social s’est arrêté de fonctionner depuis belles lurettes, de générations en générations, chacun reste à son étage (on parlait jadis de classes…). Outre quelques propulsions de personnalités alibis (l’exemple du trop tôt disparu parce qu’honnête Pierre Bérégovoy, sans diplôme réel et devenu Premier Ministre) permettra encore quelques théories valorisant le système méritocratique. L’égalité « démocratique » du vote ? Un vote citoyen conjoint au maintien d’une majorité dans une sous-culture garde-t-il quelque véracité au résultat de scrutins. L’égalité, légalité, telle est la question Shakespearienne. Face aux manipulations de toutes sortes, médiatiques stratégiques « géopolitiques » ou autres, y a-t-il une réelle égalité des citoyens lors du vote ? Et puis, il y a la vie plus quotidienne censée attester de la qualité de notre modèle de « vivre ensemble » (chacun dans ses quartiers). Alors que la pauvreté est culpabilisée, isolée, cachée, chacun devine l’égalité des uns dans l’accès à une vie sentimentale et conjugale. Les inclus sont protégés de croiser quelques malotrus d’exclus dans l’essentiel des lieux de rencontres. Egalité ? Dans une société de l’image, la laideur et pauvreté sombrent dans l’illégalité. Le bonheur (même illusoire !) des inclus ne doit en rien souffrir du visage des exclus. Le droit de l’Hommisme théorique porté par les « intellectuels » autorisés tombe peu à peu dans l’illégalité face à la Conscience Humaine. Bien sûr, ailleurs ce serait pire, être un pays si riche s’accommoderait donc de plus de huit millions de malheureux. Liberté, Egalité….et Fraternité ?
Certes chacun sait celle de certains réseaux pyramidaux, avec leurs grandes écoles et maisons de reproduction décisionnaire, avec leurs rites et leurs rituels. D’aucuns disent que tout cela serait mythe, que celui qui a des oreilles entende. Il y aurait aussi la confrérie des énarques et sciences posés, dirigeants programmés depuis des lustres et dont chacun peut mesurer aujourd’hui l’efficacité. De temps à autres, un visage « issu des couches populaires » est mis en avant, après que l’on se soit assuré de sa malléabilité. La France idéale, théorique. Donc, la Fraternité existe, la plus efficiente se vit en cercle très fermé. La plus visible est celle des misérables qui jonchent nos trottoirs. Des médias ouvrent leur robinet lacrymal pour soulager la bonne conscience collective. Tout va bien. Il reste que chacun pourrait s’étonner d’entendre Monsieur Guaino se réclamer du CNR (Centre National de la Résistance), disant avoir la même ambition de tendre vers une « République sociale ». Les rapports annuels des principales institutions chargées de l’évolution économique et sociale de notre pays nous y invitent pour le moins.
Il y a donc les trois couleurs, et trois valeurs appliquées, dont nous venons de vérifier toute la véracité effective. Il y a la France réelle et vécue qui compte sa misère. Il y a celle de la République escomptée. Le « modèle » est de taille unique et réservée aux rayons de notre démocratie. A l’étage de la Fraternité théorique, les habits neufs font les moines ou frères, pour la majorité des citoyens, le magasin n’est pas ouvert.
Guillaume Boucard
Sources : Rapports annuels de l’Agence Nationale de la lutte contre l’Illettrisme – Rapport annuel de l’Observatoire National des Inégalités – Rapport annuel de l’Institut National de veille sanitaire – Rapport annuel de l’OMC et de l’INSERM – Emmaüs France