L’insécurité existe : la gauche l’a rencontrée

Depuis quelques jours, un "battage" médiatique est organisé autour du récent "Pacte national de protection et de sécurité" que le PS propose à la suite d’un forum à Créteil et dont l’auteur est Jean-Jacques Urvoas. On a pu lire notamment Martine Aubry, François Rebsamen, Claude Bartolone, pour qui "sur la sécurité, la gauche est crédible" et Delphine Batho plus réservée. Les quotidiens nationaux ont fait un sort aux 22 propositions socialistes qui sont destinées globalement "à restaurer un climat de confiance" (Libération, nouvelobs.com, Marianne 2, le Figaro, le Parisien, le Monde).
Le comble de cette effervescence promotionnelle a été atteint avec l’excellente émission de Frédéric Taddéï "Ce soir ou jamais" qui a questionné : Sécurité : la gauche est-elle crédible ? Le problème est que cette interrogation n’a concerné sur son plateau que 5 personnalités peu ou prou toutes de gauche - et c’est peu dire. Xavier Raufer tentait de s’opposer seul aux assauts conjugués et un tantinet méprisants de deux avocats remarquables, Me Mignard et Me Thierry Lévy, du magistrat Serge Portelli, jamais en retard d’une contestation politique et judiciaire à condition que l’adversaire soit ciblé à droite, de l’ancien garde des Sceaux Marylise Lebranchu, et enfin d’une fonctionnaire de police, Sihem Souid, démagogue et approximative.
J’ai été choqué moins par l’unanimisme que par la moquerie, la dérision, voire la colère suscitées par la présence de Xavier Raufer, qui n’avait que le tort de rappeler à quelques-uns que notre monde n’était pas idéal. Pour le débat, il y avait une forme d’indignité à le voir ainsi traité, outre que l’inégalité quantitative était terrifiante !
Il n’empêche que de cette ébullition cherchant à nous présenter pour un miracle ce qui relève d’une forme de bon sens et de cohérence, on a le droit de tirer tout de même une conséquence bienfaisante pour la démocratie. La gauche admet que l’insécurité existe puisqu’apparemment, enfin, elle l’a rencontrée. En effet, ce n’est pas un hasard si maintenant, dans une période par moments gravement troublée, avec des phénomènes inouïs de violence armée et préméditée à l’encontre surtout de la police, le PS "sort" de sa manche ce Pacte. Pour ma part, j’analyse ce dernier comme la tentative des socialistes de montrer qu’ils sont "à jour", "à niveau" pour combattre, comme il convient, cette plaie de l’insécurité broyant les plus faibles et ruinant le savoir-vivre ensemble. C’est une manière de dire à la société qu’elle a été comprise. Certes, depuis longtemps mais individuellement, des socialistes avaient manifesté une conscience claire des ravages causés par la délinquance et la criminalité : Ségolène Royal qui dame le pion à la rigueur conservatrice, François Hollande, toujours François Rebsamen, André Vallini aussi. Ce qui a changé, c’est que le PS tout entier semble s’être mis en branle pour "trouver moins un bouc émissaire que des solutions" selon l’expression de Claude Bartolone.
Ces solutions, justement, quelles sont-elles ? Sans tomber dans une acidité trop facile, force est de devoir reconnaître que les 22 propositions déclinées, dont aucune n’est absurde, ne révèlent pas non plus une originalité bouleversante. Générales, théoriques, imprégnées d’un optimisme sûr de soi parce qu’abstrait, elles pourraient, aujourd’hui, sauf sectarisme extrême, être avalisées par tous les courants politiques que notre espace républicain accepte sans frémir. Rien ne vient perturber l’ordre classique et naturel des engagements pris avant l’exercice du pouvoir, des voeux formulés avant que le réel contraigne à des révisions déchirantes et à des accommodements douloureux. C’est toujours vrai. Ca l’était hier, ce le sera demain. Lorsque j’entends à la télévision des socialistes s’honorer, se vanter de leur vision radicalement différente de celle de la droite, je ne peux m’empêcher de penser qu’en effet la leur résulte d’un forum dont je ne doute pas qu’il ait été passionnant et l’autre d’un combat sûrement parfois imparfait avec le réel.
Deux exemples. La police de proximité et la lutte contre la récidive.
Pour la première, on peut comme moi la croire souhaitable : une police de familiarité et d’urbanité, une police qui rassure et protège mais qui oserait affirmer que c’est grâce à elle que l’on parviendra à endiguer et réprimer les transgressions les plus graves, les actes anti-sociaux les plus dégradants ? Elle pourra tenter de mettre de la paix et de la civilité mais si des minorités n’en veulent pas et par leur action le font tristement savoir, se contentera-t-on de constater l’échec de la douceur démocratique et policière ?
Contre les récidivistes, je trouve regrettable que le PS s’engage sur une voie qui constitue souvent l’essentiel de ses démarches en matière de justice et de sécurité. Défaire ce qui a été fait, détruire ce qui a été voté avant lui. Ainsi il annonce qu’il supprimera les peines plancher qui ont eu le tort de révéler leur efficacité mais qui ne sont pas orthodoxes par rapport à la ligne. Celle-ci compte plus que les résultats et pourtant, à juste titre, on prétend sur un autre plan passer "de la politique du chiffre à la culture du résultat".
Ce qui est central dans ce catalogue de mesures, c’est, nous dit-on, l’esprit qui l’inspire. Certes on admet enfin que prévention et répression ne sont pas contradictoires mais qu’elles se complètent. On souligne moins que la société serait coupable de tout et le délinquant de rien même si à mon grand regret, le brillant Jean-Pierre Mignard "flirte" toujours un peu avec cette culture de l’excuse. Non, ce qui importe et suscite sa fierté intellectuelle et politique, c’est que la gauche nouerait un dialogue avec le citoyen tandis que la droite ne s’en prendrait qu’à la personne réduite à ses peurs et enfermée dans son exigence de sûreté. Ce peut être une tentation de la démarche conservatrice mais je ne crois pas qu’on puisse ainsi caricaturer avec l’honneur démocratique d’un côté et le vil populisme de l’autre. Malheureusement, c’est à nouveau la réalité qui vient troubler ce parfait contraste, trop parfait. Le citoyen est AUSSI, pour sa sécurité, un être qui peut avoir peur et qu’il est légitime d’apaiser. Le citoyen n’est pas sublime dans un coin, rétracté et frileux dans un autre. C’est le même qui, selon ce qu’il vit et endure, passe par la peur ou la tranquillité, les devoirs de l’Etat à son égard ou ses propres droits. Un Pouvoir n’a pas plus à mépriser ses peurs qu’il n’a à glorifier sa confiance dans le présent. Le serein d’aujourd’hui sera peut-être l’apeuré de demain et ne pas programmer l’existence de ces angoisses singulières et collectives ne serait pas loin d’une non assistance à citoyens en possible danger. Il y a de la part des socialistes de la condescendance à imputer au Pouvoir ce qu’ils ne supportent pas à l’évidence chez leurs concitoyens : qu’ils soient moins forts qu’espérés, tout simplement humains. Ils tiennent bêtement à leur peau, à leurs proches, à leur tranquillité, à leurs biens !
Il ne serait pas honnête de fuir ce qui donne du poids et du prix à ces avancées socialistes, même si on les discute. A bien les analyser, elles ne s’aventurent pas dans des profondeurs stimulantes mais jouent sur l’anti-sarkozysme en mettant surtout en cause les méthodes, la médiatisation, la précipitation qui sont celles, selon le PS, de la lutte menée aujourd’hui contre l’insécurité. Il serait imprudent de négliger ces critiques qui ne sont pas seulement formulées par des adversaires politiques mais par des sympathisants et des alliés du pouvoir en place.
J’ai déjà écrit qu’il est illusoire de prétendre suivre la délinquance à la trace grâce à une action législative qui serait en l’occurrence nécessairement perdante. Il n’y aura jamais une éradication totale de l’insécurité. Rien de plus contreproductif que de le laisser entendre ce qui a pour conséquence de noircir encore davantage les réalités et les évolutions parfois décevantes. Rien de plus dévastateur, aussi, qu’une sorte de satisfaction qui, parce que l’adversaire n’est pas pertinent, conduirait trop facilement à croire que sa propre politique est forcément bonne et emporte l’adhésion de ses concitoyens. Rien de plus choquant que de passer d’une malfaisance singulière à réprimer à la mise en cause générale d’une communauté. Rien de plus catastrophique, enfin, que cette impression qui a pu parfois être donnée - mais le président nouveau est arrivé ! - d’une agitation qui cherchait son sens mais seulement après s’être déployée.
Je ne voudrais pas que, pour dérisoires ou injustes qu’apparaissent certaines critiques partisanes, le pouvoir actuel rende sa défense trop difficile, pour cette cause capitale du combat contre l’insécurité, parce qu’il préférerait ignorer les vertus et les nécessités d’une forme acceptable au prétexte que le fond serait largement soutenu.
Pas de miracle du côté socialiste, donc. Si demain ils revenaient au pouvoir, je ne doute pas une seconde que sous la pression d’un réel terrible et éprouvant, leur philosophie et leur projet si purs voleraient en éclats et s’adapteraient. Ce ne serait pas de la trahison mais de la sagesse.
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