L’UDF est morte ! Vive... le MoDem ?
Le 30 novembre 2007, l’Union pour la démocratie française (UDF) a été placée en coma artificiel pour des raisons patrimoniales, et l’assistance respiratoire devrait être débranchée au prochain congrès du MoDem, en décembre 2010. La mort programmée de l’UDF constitue l’un des éléments-clefs de la transformation du paysage politique.
Je regrette la disparition de l’UDF dans la vie politique française.
Créée en 1978 par Valéry Giscard d’Estaing, elle fut l’un des deux pôles des majorités de centre droit depuis près de trente ans. Parfois, en ayant même plus d’élus que le pôle d’origine gaulliste (RPR).
Un parti pour contrer le rouleau compresseur du RPR de Jacques Chirac et pour donner plus d’assise à la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (les deux hommes seront en rivalité permanente de 1976 à 1993), dont les analystes politiques annonçaient régulièrement la disparition, et notamment dès l’âge de trois ans, lors de l’échec de l’élection présidentielle de mai 1981.
L’UDF, victorieuse sur les idées
Pourtant, c’est LE parti qui a gagné la bataille des idées des trois dernières décennies : construction européenne, décentralisation, libéralisation de la société, dérégulation de l’économie, renforcement des dispositifs sociaux...
Sur tous les sujets, les gaullistes et les socialistes ont absorbé les idées de l’UDF et ; même mieux, les ont appliquées lorsqu’ils étaient au pouvoir.
Pour voir les mutations idéologiques, il suffit de rappeler la position de Jacques Chirac aux premières élections européennes en 1979 (l’UDF était un ’parti de l’étranger’) et sa défense du Traité de Maastricht et de la monnaie unique européenne en septembre 1992.
Ou bien encore, de rappeler le discours creux et marxisant de la rupture avec le capitalisme énoncé par François Mitterrand avant 1981, et les nationalisations qui en découlaient en 1981 et 1982, et sa politique du ni-ni de 1988 puis les privatisations partielles mises en œuvre par le gouvernement de Lionel Jospin.
Durant la campagne présidentielle de 1988, Raymond Barre a même été dépossédé de ses thèmes de campagne par François Mitterrand lorsqu’il prônait par exemple l’État impartial.
L’UDF, presque toujours en panne de présidentiables solides et durables
En revanche, l’UDF avait perdu la bataille du leadership politique depuis longtemps.
Ce n’était pourtant pas une question de manque de richesse des personnalités qui la composaient et parmi lesquelles on peut citer : René Monory, Jean Lecanuet, Simone Veil, Bernard Stasi, André Diligent, François Léotard, André Rossinot, Pierre Méhaignerie, Bernard Bosson, Dominique Baudis... (entre autres), pour n’évoquer que ceux qui n’ont pas atteint (depuis 1978) le niveau de présidentiable.
L’UDF, en fait, reposait sur la personnalité de Valéry Giscard d’Estaing. Après son échec de 1981 et l’impossibilité de celui-ci à revenir sur le devant de la scène malgré quelques tentatives parfois pitoyables, mais toujours courageuses, l’UDF a toujours manqué de leader incontesté et a plutôt subi à l’intérieur de nombreuses guerres picrocholines.
Entre 1984 et 1988, certes, Raymond Barre, dont la grande popularité augurait d’une victoire possible à l’élection présidentielle de 1988, devenait une personnalité incontournable de l’UDF.
Toutefois, avec sans doute la même erreur que Ségolène Royal en 2007 (et dans une moindre mesure, Édouard Balladur en 1995), il n’a pas construit l’UDF comme une véritable machine électorale capable de lui faire remporter l’élection. Au contraire, Raymond Barre préférait même utiliser ses réseaux barristes (avec Philippe Mestre et Charles Millon) qui rivalisaient généralement avec les potentats locaux de l’UDF, ce qui annihilait la dynamique de sa campagne présidentielle.
Le sommet de cette absence de leader a été atteint lors de l’élection présidentielle de 1995 puisque l’UDF n’avait même pas été capable de présenter un seul candidat à cette échéance essentielle (François Léotard, Simone Veil, Pierre Méhaignerie, Bernard Bosson, François Bayrou... soutenaient tous la candidature d’Édouard Balladur, et Philippe de Villiers, effectivement candidat, s’était désolidarisé de l’UDF en créant le MPF à partir de son combat pour le souverainisme).
La candidature de François Bayrou en 2002 a été également peu crédible et plutôt de témoignage alors que le débat national se focalisait (à tort, comme souvent) sur un duel entre Jacques Chirac et Lionel Jospin.
Bayrou, leader et présidentiable reconnu de l’UDF
Or, malgré l’échec relatif de sa première candidature (moins de 7 %), François Bayrou a réussi le tour de force, d’une part, de maintenir l’existence même de l’UDF en avril 2002 alors qu’elle devait être totalement engloutie par l’UMP, et, d’autre part, grâce à une campagne dynamique et malgré l’hostilité patente des médias, de résoudre en début 2007 ce problème récurrent de leadership en devenant un présidentiable durable et incontournable, qui vaut plus de 18 % (soit du niveau de Jacques Chirac et d’Édouard Balladur, et au-dessus de Raymond Barre, Jean Lecanuet et Jacques Chaban-Delmas).
L’UDF en 2007, un parti d’avenir
Même si ses électeurs du 22 avril 2007 pouvaient être très hétérogènes (déçus de Ségolène Royal, déçus de Nicolas Sarkozy, écologistes, abstentionnistes de 2002, etc.), il est clair que, confortée par son score de la présidentielle, ayant survécu à tous les coups tordus depuis 1978, forte de ses deux groupes parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat, et mieux reconnue par Nicolas Sarkozy que par Alain Juppé, l’UDF jouissait encore d’un avenir indéniable.
François Bayrou était capable, en avril 2007, d’engager l’UDF dans un processus capable de la rendre potentiellement aussi forte que l’UMP ou le PS.
La "révolution culturelle" de Bayrou
Au contraire, François Bayrou a préféré faire table rase, et se couper de ses soutiens initiaux en faisant sa "révolution culturelle" par la création d’un nouveau parti, ex nihilo, le MoDem. Ce qui ne manque pas de courage, évidemment.
Mais le problème, c’est que le "potentiel Bayrou" est redescendu dès juin 2007 en dessous des 10 %, seuil autour duquel il oscille maintenant régulièrement dans les sondages.
Depuis sept mois de cette annonce révolutionnaire, la situation a donc complètement changé.
Le MoDem, le parti des polémiques ?
Étrangement, celui qui veut rassembler toute la classe politique, la droite et la gauche pour travailler ensemble, "de Delors à Balladur", a créé un mouvement qui intériorise la plupart des luttes internes et polémiques politiques du pays.
Il suffit d’observer les discussions parfois houleuses voire agressives à l’intérieur de la bulle du MoDem, extériorisées dans certains "forums démocrates" ou même à Agoravox (les dernières ici, là et là encore), pour s’en rendre compte.
Le MoDem, l’auberge espagnole des déçus des autres partis ?
De fait, le MoDem est censé rassembler les électeurs de François Bayrou de 2007 qui n’ont pas grand-chose en commun. Ni en stratégie, ni en culture politique, ni en idéologie.
Idéologiquement, il n’y a plus rien : ni une défense audacieuse de la poursuite de l’intégration européenne, ni un plaidoyer efficace pour la décentralisation avant des élections locales majeures, ni aucune proposition pour diminuer les déficits publics, rembourser la dette tout en pérennisant le système de solidarité nationale et tout en maintenant la cohésion nationale. Car il n’y a plus beaucoup de lignes directrices communes.
Culturellement, c’est un peu l’auberge espagnole : des villepinistes, des souverainistes anti-sarkozystes, des gaullistes inquiets par Nicolas Sarkozy, des libéraux bretons, des anciens Verts, des écologistes gouvernementaux, des centristes du canal historique, des socialistes recentrés et dégoûtés par Ségolène Royal, des sans-opinion, des anciens abstentionnistes...
Stratégiquement, il y a les tenants d’une alliance avec l’UMP (mais la plupart sont déjà partis vers le Nouveau Centre de Hervé Morin et le Parti radical valoisien de Jean-Louis Borloo et André Rossinot), les tenants d’une alliance avec le PS (qui, lui pourtant, refuse obstinément toute idée d’alliance avec le MoDem), ou les jusqu’au-boutistes, les tenants d’une indépendance totale, suicidaire électoralement et idéologiquement dans les scrutins majoritaires, et qui militent pour une sorte d’extrême centre.
Il y en a même pour des alliances avec des électrons libres et très indépendants, quand on voit la décision du 19 décembre 2007 de la commission d’investitures du MoDem pour les municipales à Nancy (1).
Beaucoup de lignes de démarcation
Les clivages internes sont donc très nombreux : entre les partisans d’alliances électorales et les autonomistes, entre les partisans d’un parti fort et gouverné et les adeptes d’une démocratie participative interne qui paralyse, entre les anciens et les nouveaux, entre les calculateurs et les naïfs, entre les carriéristes et les idéalistes, etc.
Et on n’évoque pas encore les clivages sur des sujets de fond (l’Europe, le nucléaire, la décentralisation, l’université, etc.).
Sans doute la plupart de ces clivages sont habituels dans n’importe quel parti et sans doute ces clivages au MoDem sont juste un peu plus bruyants ou plus transparents car ce parti est né d’une dynamique sur internet qui retransmet plus rapidement les informations.
Le MoDem, au bord de la frontière droite/gauche
Mais je pense aussi que les clivages y sont très forts car justement, en tant que "parti central", le MoDem rassemble des militants qui se trouvent autour de la frontière entre la droite et la gauche.
Et donc, le MoDem à lui seul est un petit laboratoire de la société française qui englobe aussi ce fossé idéologique entre la droite et la gauche, une déchirure qui coexiste malgré tout. C’est sûrement la plus grande difficulté du MoDem.
MoDem, le parti de Bayrou
Évidemment, on ne peut pas parler du MoDem sans parler de François Bayrou qui en est l’élément le plus fort et le plus solide.
Nul ne peut contester que l’ambition de François Bayrou est d’utiliser le MoDem pour l’élection présidentielle de 2012. D’ailleurs, ce n’est pas une critique, puisque avoir une machine électorale est la condition sine qua non de succès à l’élection présidentielle.
MoDem, le parti pour Bayrou
Nombreux proches ou anciens proches dénoncent aussi cette unique ambition, permanente et quasi exclusive.
Même si son ralliement a été trop rapide et intéressé pour être sincère dans ses affirmations, Hervé Morin, ancien président du groupe UDF à l’Assemblée nationale entre 2002 et 2007, a cependant raison quand il a rappelé le 16 décembre 2007 : « Nous n’acceptons pas que cette famille politique (l’UDF) soit enterrée, qu’elle soit liquidée, un soir en catimini dans un hangar à Villepinte, parce que tout simplement elle ne pouvait pas servir l’ambition d’un homme. ».
Quant au sénateur Jean Arthuis, resté encore MoDem (pour combien de temps ?), il disait le 16 novembre 2007 de François Bayrou : « Il a présidentialisé à outrance la gouvernance du parti, parce qu’il ne pense qu’à 2012. Tout le reste est devenu accessoire à ses yeux », en ajoutant : « Je pense que ceux qui négligent leur passé raccourcissent leur avenir. ».
Et il est probable que de nombreux anciens adhérents de l’UDF ne se sentiront plus concernés par une nouvelle candidature de François Bayrou, tant le discours messianique, la stratégie d’exclusion et le parti sont différents des précédentes candidatures (2002 et 2007).
Bayrou, le Mitterrand du XXIe siècle ?
Si je fais l’analogie avec le parcours de François Mitterrand, qu’évoque souvent François Bayrou depuis novembre 1995 lors la création de Force démocrate (et j’imagine bien en quoi c’est très flatteur pour lui !), la fondation du MoDem est son petit Épinay personnel.
Dérivant de la droite bourgeoise vers la gauche quasi marxiste, François Mitterrand avait pour objectif de gagner la présidentielle sans trop se préoccuper des moyens.
Il paraît évident que les électeurs du Mitterrand de l’union de la gauche socialo-communiste n’étaient plus les mêmes que ceux du Mitterrand ministre de la IVe République.
La nature des soutiens de François Bayrou est, là aussi, en passe de se modifier profondément pour aller vers le centre gauche. Mais sans que ce soit dit. Avec la même hypocrisie silencieuse que le discours encore gauchisant du PS alors qu’il a gouverné de manière sociale-libérale.
Le problème, c’est que si François Mitterrand a réussi au bout de la troisième tentative (Bayrou serait aussi à sa troisième candidature en 2012), une telle stratégie n’a conforté en rien le parti qui l’a porté ni le courant d’idées qui l’a accompagné.
Mise à part le soubresaut du leadership momentané de Lionel Jospin entre 1995 et 2002, le PS s’est retrouvé orphelin dès le congrès de Rennes en 1990, et sans leader incontesté, exactement comme l’était l’UDF, pourtant solide électoralement, des années 1990.
Une victoire possible sur les ruines de son propre courant d’idées
La stratégie actuelle du MoDem pourrait peut-être réussir. François Bayrou pourrait peut-être même gagner l’élection présidentielle de 2012 sur les désillusions d’un sarkozysme décomplexé et indécent.
Mais ce qui est sûr, c’est que le courant démocrate-chrétien, catholique social, personnaliste, centriste, issu historiquement de la possibilité donnée aux catholiques d’adhérer à la République (1891), est désormais mort, et je ne m’en réjouis pas, car cela ampute une partie de la richesse politique de la France.
Prochainement : l’initiative de François Bayrou de 2007 mise en perspective historique (en plusieurs épisodes).
Note : (1)
Après un coup médiatique (la tentative avortée d’engager pour les municipales de Nancy l’illustre éditorialiste de L’Est républicain Pierre Taribo), François Bayrou a décidé sans concertation de soutenir Françoise Hervé, personnalité indépendante plutôt issue de la droite, connaissant très bien les dossiers de la ville notamment d’urbanisme, opposante récurrente à André Rossinot (maire de Nancy depuis 1983, ce qui est d’une longévité exceptionnelle pour une ville qui n’avait jamais connu avant, pendant un siècle, de maire exerçant deux mandats).
Même si certains, bien inspirés, y trouvent une cohérence politique, la plupart des militants se sentent trahis par une telle décision, notamment parce que Françoise Hervé intégrera sans doute des personnalités du MoDem, mais avant tout fera sa campagne avec sa propre équipe et ses propres thèmes.
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