L’Union pour la Méditerranée, à la veille du Sommet fondateur
L’analyste géopolitique tunisien, le Pr Khalifa Chater étudie les conditions de fondation de l’Union pour la Méditerranée, le 13 juillet prochain. Il estime que le rêve doit désormais céder la place à la réalité et que la situation exige une juste appréciation des faits et une prise en compte des intérêts, puisque tout accord international est un habillage des rapports de forces.
A partir de cette approche, il appréhende les vrais objectifs de l’UPM, étudie les positions des différents acteurs et les conditions sine qua none de la réussite. En conclusion, il affirme que le nouveau-né ne sera point au niveau des ambitions méditerranéennes et des attentes de leurs populations. Mais il a les moyens d’assurer sa mue, de réaliser sa refondation, à l’épreuve des exigences de ses propres acteurs. Ce petit pas, dit-il, pourrait constituer un électrochoc et faire échec aux processus de freinage pour assurer l’ouverture des horizons.
Il est opportun de dissiper les équivoques, de clarifier les références, de rétablir les données de base, à la veille du Sommet du 13 juillet, qui doit fonder l’Union pour la Méditerranée. L’observateur averti doit corriger les plaidoyers des défenseurs de l’UPM. Prenons nos distances et dépassons les discours nécessairement réducteurs de ses partisans. Le rêve doit désormais céder la place à la réalité. La célébration d’un culte - fût-il celui de la méditerranéité - doit s’accommoder d’une juste appréciation des faits, d’une prise en compte des intérêts, d’un dégagement de la pensée politique des scories des mythes. Rappelons, comme postulats, que l’union, à travers l’histoire des Méditerranéens, relève plutôt de la fable. Ne construisons pas le nouvel édifice sur l’erreur. Faisons l’inventaire de ce qui nous rapproche et de ce qui nous sépare. La Méditerranée fut plutôt une aire de démarcation, une frontière civilisationnelle et politique. Le dépassement des contentieux historiques n’implique guère le gommage des réalités, l’occultation des indicateurs culturels et politiques différentiels, la sous-estimation des référentiels. Tout accord nécessite une prise en compte de l’identité de l’autre, de ses perceptions et de ses attentes. Autre postulat nécessaire, les relations politiques se fondent, sur la construction de compromis, prenant en compte les enjeux des différents acteurs. Le discours du consensus n’a pas sa place dans ce domaine. Et n’oublions pas que tout accord international est un habillage des rapports de forces.
I - Les enjeux de l’UPM : vérité élémentaire, transgressée lors de la célébration de son culte fondateur, l’Union pour la Méditerranée, n’a pas comme ambition de réactualiser une vision du passé. Elle est, bel et bien, un projet d’avenir. C’est en tant que tel, qu’elle fut appréhendée, par le président Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne électorale, à Toulon en février 2007. « La France, avait-il dit, a cru qu’en tournant le dos à la Méditerranée, elle tournait le dos à son passé alors qu’en réalité, elle tournait le dos à son avenir ». A-t-on pris la juste mesure de cet objectif primordial ?
Autre fait, qui constitue le back ground de l’initiative française, l’enjeu de l’Union méditerranéenne, réactualisée par sa nouvelle version UPM, est la construction d’un partenariat global, comprenant les pays sud-méditerranéens et leur glacis arabe. Dans ce nouveau périmètre, la coopération mise en avant comme objectif opérerait un dépassement des conflits politiques, qui affectent l’aire arabe. La question palestinienne et le différend arabo-israélien seraient, dans le cadre de ce processus de coopération économique, mis de côté, transgressés, sinon marginalisés et/ou occultés. Est-ce que l’utopie d’une coopération dans cet environnement conflictuel particulier de « ni guerre ni paix » peut résister aux faits ? On comprend, dans ce contexte, l’enjeu de « normalisation » que craint l’opinion arabe. Ce qui accrédite la thèse présentant la Méditerranée orientale et non le Maghreb, comme enjeu de l’UPM. Autrement, le partenariat du 5+5, ou du 6+6, appelé à le remplacer, par l’adjonction de l’Egypte et de la Grèce, aurait suffi. Ce qui aurait d’ailleurs exigé son institution formelle. Nous pensons plutôt que les projets méditerranéens ou euro-méditerranéens, veulent appréhender l’élargissement de leur aire, par un dépassement du blocage politique du conflit israélo-palestinien, mis entre parenthèses, dans cette nouvelle approche stratégique globale. De ce fait, la centralité de la Méditerranée, mise en avant par l’initiative générique et redimensionnée dans l’UPM est une opération de faire-valoir des intérêts des pays nord-méditerranéens et désormais de l’ensemble de l’Union européenne. Est-ce à dire qu’elle n’est pas en mesure de servir l’aire arabe ? Tout dépend des perceptions, des attentes, de l’identification des enjeux par leurs acteurs et surtout par leur mobilisation pour assurer leur réappropriation du projet.
II- La réaction arabe : Tunis et Rabat accueillirent favorablement l’initiative du président Sarkozy, qui rejoignait leur approche méditerranéenne et leur ouverture sur l’Europe. Le Caire, candidat à l’UMA et au 5+5 ne tarda pas à exprimer son adhésion, dans le cadre de son souci de participer à toutes les constructions régionales et d’assurer sa présence dans toutes les instances internationales. Alger tarda à s’exprimer, offusquée vraisemblablement par son exclusion dans la répartition des rôles et la distribution des charges. Prenant l’initiative d’un sommet surprise des représentants des pays de la rive Sud, à Tripoli, le 10 juin, Mouammar Kadhafi dénonça l’initiative franco-européenne. « Nous ne sommes ni des affamés ni des chiens pour qu’ils nous jettent des os », dit-il, dénigrant les propositions de coopération en matière de commerce, de sécurité et d’immigration. Les autres chefs d’Etat (Maghreb et Syrie) ne se sont pas publiquement exprimés, lors de cette instance. Alors qu’Alger devait réserver sa décision de participer ou non au Sommet, confortant la position tripolitaine, les autres pays maghrébins confirmeront leur présence. Dans le cadre de sa politique d’ouverture, la Syrie annonça, qu’elle serait présente à Paris, le 13 juillet.
Nous remarquons cependant que l’accueil arabe à l’initiative française européanisée reste mitigé. Tout en appréciant son objectif de dynamiser le partenariat euro-méditerranéen, sa réhabilitation des acteurs du Sud et sa prise en compte de leurs attentes, les analystes sud-méditerranéens estiment que les projets formulés sont bien en-deçà des objectifs de l’initiative du président Sarkozy. Les plus optimistes d’entre eux espèrent qu’une dynamique progressive pourrait la développer, pour lui permettre de répondre aux enjeux et aux défis de l’aire par la constitution d’une communauté fondée sur la paix, la solidarité et la prospérité. Autre cause de leurs réserves, plutôt que la peur de la normalisation avec Israël, exprimée par l’opinion moyen-orientale, le risque de mettre entre parenthèses le traitement de la question palestinienne, dans ce processus de construction régionale constitue un véritable consensus arabe, ainsi d’ailleurs que l’occultation de la dimension politique de l’approche. Peut-on admettre, de gaîté de cœur, cette option de désengagement, alors que les graves problèmes du Moyen-Orient requièrent une entrée de l’Union européenne, sur la scène internationale, pour atténuer les effets du nouvel ordre et mettre à l’ordre du jour une gestion multi-polariste des affaires internationales.
Conclusion : la réunion du 13 juillet réussira vraisemblablement à fonder l’UPM. Le nouveau-né ne sera point au niveau des ambitions méditerranéennes et des attentes de leurs populations. Est-ce à dire qu’il n’a pas les moyens d’assurer sa mue, de réaliser sa refondation, à l’épreuve des exigences de ses propres acteurs. Ce petit pas pourrait, si on lui accorde le préjugé favorable, constituer un électrochoc, faire échec aux processus de freinage et assurer l’ouverture des horizons.
Pour réussir, il doit donner « la priorité aux vrais défis, qui concernent directement les peuples méditerranéens, à savoir l’emploi, la circulation des personnes, la désertification, l’eau et énergie et l’environnement » (Forum de Réalités, Tunis, 11 juin, 2008). Fait important, il ne doit pas se condamner prématurément en transgressant l’appropriation collective du projet, annoncée par le discours fondateur. Le choix du siège dans un pays du Sud - et pourquoi pas celui annoncé de Tunis, susceptible de rallier, à plus ou moins brèves échéances, les réserves de Tripoli et d’Alger - et l’adoption de mécanismes d’exécution adéquats pourraient dynamiser son action et multiplier ses effets d’entraînement. Pour résister à la pesanteur ambiante, Il faut rester à l’écoute de tous et instaurer une politique d’adaptation régulière aux exigences. Il faut convaincre les plus récalcitrants de part et d’autre de la Méditerranée. Fût-elle une union à géométrie variable, l’UPM doit impliquer nécessairement l’Algérie et la Libye. Elle ne doit pas défier la solidarité de la communauté maghrébine ou ignorer les attentes de l’aire arabe, alors que la nouvelle configuration ménageait tous les acteurs européens. Autre nécessité, elle doit « éviter que le Sud méditerranéen ne devienne "le pare-choc" de l’Europe face à l’Afrique » (Forum de Réalités, Tunis, 11 juin, 2008). La crédibilité du projet est à ce prix.
D’autre part, règle d’or de la gestion des affaires internationales, on ne peut occulter la donne politique dans un projet de cette envergure. Comment créer une communauté de prospérité, de coopération et de solidarité, sans assurer un climat de paix ? Il faudrait peut-être inaugurer la mise sur pied de ce processus par la création, dans le cadre de ce partenariat, d’un comité ad hoc pour faire valoir des solutions aux conflits et différends, traiter les questions graves de l’aire telles que la question palestinienne. Peut-on négliger cette conditionnalité de la réussite !
Pr Khalifa Chater,
vice-président de l’Association
des études internationales
http://chaterkhalifa.info
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