La crise, ce n’est pas pour tous !
L’écart ne cesse de se creuser entre les très hauts salaires (1700 cadres dirigeants touchent en moyenne 1,7 million d’euros par an) et la grande masse des rémunérations qui constituent la base de la pyramide salariale.
Si cet écart grandit d’année en année, c’est bien sûr parce que les uns augmentent régulièrement dans de fortes proportions tandis que les autres se voient appliquer un pourcentage d’augmentation qui dépasse rarement le taux annuel d’inflation, notamment pour le tiers de l'ensemble des salariés qui touche un salaire inférieur à 1,3 SMIC et la moitié qui touche entre 1,3 et 2 fois le SMIC...
Le journal Les Echos a publié il y a quelques jours le palmarès annuel des rémunérations des dirigeants du CAC 40. Les chiffres astronomiques avancés par le journal montrent, s’il en était besoin, que les grands patrons français ne connaissent pas la crise.
En tête, Michel Rollier, gérant de Michelin, a reçu 4,5 millions d’euros au titre de l’année 2010. La deuxième place revient à Frank Riboud, PDG de Danone (4,4 millions d’euros). Bernard Arnault, PDG de LVMH, complète le podium, avec une rémunération de 3,9 millions d’euros. Citons encore quelques-uns des noms qui figurent dans la suite du classement : Jean-Paul Agon (L’Oréal), Maurice Lévy (Publicis), Christopher Viehbacher (Sanofi-Aventis), Philippe Varin (PSA), Gérard Mestrallet (GDG Suez), Christophe de Margerie (Total) se situent au-dessus du seuil des 3 millions d’euros !
La rigueur ne semble plus à l’ordre du jour. Ces dirigeants ont vite oublié les serments faits au plus fort de la crise et les « bonus » (rémunération variable s’ajoutant chaque année au salaire fixe) qui sont repartis à la hausse. Ainsi Louis Gallois (EADS) ou Frédéric Oudéa (Société Générale) avaient fait savoir qu’ils renonçaient à leurs primes mais toucheront cette année de confortables bonus supérieurs au million d’euros. Et l’on peut même parier que Carlos Ghosn, récemment mis en difficulté par la grotesque affaire d’espionnage du groupe Renault et contraint de renoncer à sa part variable pour sauver sa tête, ne s’imposera pas longtemps un tel régime.
Se garder une poire pour la soif
Les salaires (part fixe et part variable) sont loin de constituer la seule source de revenu des grands patrons français. S’y ajoutent généralement de juteuses retraites additionnelles, servies par l’entreprise à ses anciens dirigeants. Les Echos indiquent par exemple que Ben Verwaayen, patron d’Alcatel-Lucent ou Henri de Castres, PDG d’AXA, bénéficieront d’une pension complémentaire équivalente à 40% de leur rémunération.
Il faut mentionner également les « parachutes dorés », ces indemnités mirobolantes grâce auxquelles même les patrons désavoués par leur conseil d’administration peuvent partir les poches pleines. Un code de bonne conduite mis au point par le MEDEF propose de plafonner le montant de ces indemnités, qui ne devrait pas dépasser deux ans de rémunération, soit entre 2 et 5 millions d’euros. Mais seule une quinzaine d’entreprises du CAC se sont alignées sur cette norme, pourtant peu contraignante…
Autre source de revenu : le cumul des postes d’administrateurs. Une récente étude du cabinet Heidrick & Struggles montre que la France détient le record européen en la matière : 6,5 membres (soit environ la moitié d’un conseil d’administration du CAC 40) siègent en même temps dans au moins trois autres CA (contre 4 membres en Allemagne et 3 au Royaume-Uni). En France, les PDG eux-mêmes pratiquent ce cumul, qui leur permet non seulement d’entretenir leurs réseaux mais aussi de toucher des jetons de présence et de bénéficier souvent de pensions (55 000 euros par an en moyenne pour un ancien administrateur).
Prototype de ces grands patrons cumulards, Henri Proglio qui dirige EDF et siège au CA de CNP assurances n’a abandonné le CA de Véolia Environnement que contraint et forcé. Quant à Carlos Ghosn, il aime souligner la modicité du salaire que Renault lui verse : 1,2 million d’euros seulement ! Mais il se garde bien de rappeler que Nissan, dont il est également PDG, lui a versé un autre salaire plus élevé (6,8 millions d’euros pour 2009-2010), qui s’ajoute ainsi au premier !
Nouveaux cadeaux fiscaux
Les grands patrons français peuvent ainsi affronter la crise l’esprit léger et les poches lourdes (salaires fixes, bonus, retraites, parachutes dorés, jetons de présence accumulés). Ils ont d’autant moins de raisons de s’en faire que Nicolas Sarkozy fait tout son possible pour contenter ses amis les plus fortunés et éviter toute atteinte à leur patrimoine.
François Baroin, ministre du Budget, propose ainsi un allégement de l’ISF qui ne toucherait plus que les variations annuelles du capital (et non le stock total de capital) et qui ne s’appliquerait qu’aux patrimoines supérieurs à 1,3 million d’euros (contre 800 000 euros aujourd’hui), libérant ainsi plus de la moitié des assujettis à l'ISF.
Ce projet de nouvelle réforme de la fiscalité a été validé le 11 mai dernier en Conseil des ministres. Elle prévoit que l’allégement de l'ISF et la suppression du bouclier fiscal coûteront 1,7 milliard d'euros.
Le ministre assure que cette réforme sera autofinancée. Il avance une hausse de la fiscalité sur les successions et une taxe supplémentaire pour les revenus de plus de 2 ou 3 millions d'euros, qui sera anecdotique. Pire, le gouvernement compte sur la lutte contre la fraude fiscale pour équilibrer ses comptes mais on ne voit pas pourquoi cet argent devrait servir à baisser l’ISF…
En pratiquant ainsi, le gouvernement reconnaît par là même son erreur, démantelant de nombreux points du « paquet fiscal » qui ne l’avaient pas été… et va sans doute à nouveau s’empêtrer dans de nouvelles mesures prises à la va-vite pour récupérer ce 1,7 milliard …
Pendant ce temps, les salariés, eux, doivent se contenter de miettes. Comment qualifier autrement la prime « Sarkozy ». Les entreprises ayant augmenté les dividendes de leurs actionnaires seraient obligées de verser une prime à leurs salariés. A première vue, l’idée paraît plutôt favorable en imposant une meilleure répartition des bénéfices de l’entreprise.
Mais premier bémol : celle-ci ne touchera que les entreprises de plus de cinquante salariés ayant versé des dividendes, soit seulement 3 millions de personnes ! Deuxième bémol : il faut que ces entreprises aient augmenté leurs dividendes, ce qui est absurde : Total par exemple, a prévu de verser environ 5 milliards d’euros à ses actionnaires cette année alors que son taux de dividendes n’a pas progressé. Les salariés de la richissime multinationale ne toucheraient donc aucune prime. Enfin, le montant de la prime ne sera pas imposé par l’Etat mais devra être négocié au sein des entreprises. Vu l’état du dialogue social en France, bien rares seront les salariés qui pourront bénéficier d’une prime significative.
Elle va pousser aussi les salariés à espérer que leur entreprise augmente les dividendes et donc à être solidaires des actionnaires. Elle entretient la confusion entre revenu et salaire. Et c’est une nouvelle niche fiscale : les primes déjà versées pourront être étiquetées « prime dividendes » et bénéficier ainsi de l’exonération de cotisations sociales prévue dans cette proposition.
Celle-ci n’a en fait qu’un seul but : faire croire que le gouvernement fait une politique sociale. Certes, Laurence Parisot s’ébroue en répétant sur tous les médias son opposition à cette prime Mais cela permet surtout à Nicolas Sarkozy de faire semblant de tenir tête au MEDEF.
Gageons que le peuple français ne se laissera pas prendre à cette nouvelle comédie…
Photo Creative Commons : C'est la crise par alter1fo (http://www.flickr.com/photos/alter1fo/2996210203/)
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